TERRES AUSTRALES
et ANTARCTIQUES
FRANçAISES
JOURNAL
Campagne 1955-1956
Jean DERAMOND
Médecin du Service de Santé des T D M
Avant-propos.
L’affectation
d’un médecin militaire outre-mer relevait d’une logique pas toujours accessible
à l’intéressé. Arrivé la première fois à Dakar et reçu par le Médecin Général
Le R.. je lui avais fait part de mon souhait d’être affecté à un service mobile
d’hygiène et de prophylaxie en avançant ma formation à dominante
micro-biologie; je me suis retrouvé en poste fixe à Kaédi. Poste f ixe si l’on
peut dire : voir Mauritanie.
A la
suite de mon premier retour en France et mon affectation au 1/3em R.A.C
(Régiment d’Artillerie Coloniale) une nouvelle affectation outremer devait, en
ce printemps 1955, survenir à assez bref délai.
Depuis
1945 je n’avais pas fait de campagne militaire et j’avais de fortes chances
d’être expédié en Indochine. Or après la défaite de Diên Biên Phu survenue un
an auparavant, le travail en Extrême Orient avait perdu tout intérêt et
consistait essentiellement à assurer le rapatriement des morts.
Une
circulaire du Service de Santé tomba opportunément : les Terres Australes et Antarctiques
Françaises recherchaient un Médecin ayant déjà une certaine expérience.
Les
T.A.A.F comprenaient alors les îles St Paul et Amsterdam, Kerguelen et la Terre
Adélie.
Conditions
de séjour un an en célibataire, les épouses n’étant pas admises à suivre leur
mari.
L’alternative
était simple : 30 mois en célibataire en Indochine pour un travail pas
passionnant et dans une atmosphère de défaite majeure ou 12 mois aux T.A.A.F
avec la possibilité de compléter le séjour à 30 mois en famille à Madagascar
mais là, au TAAF dans un climat d’isolement physique et moral total.
En
plein accord avec Vonette la décision fut rapidement prise et ma candidature
adressée à la Direction. Restait à être désigné et semble-t-il le Colonel, chef
du personnel, n’était pas décidé à me donner satisfaction. Ayant fait le voyage
à Paris pour aller aux nouvelles, je suis tombé, place du champ de Mars, sur un
Capitaine du 1/3em RAC. “Que faites-vous à Paris Toubib”? Je lui fis part de
mes inquiétudes quand au succès de ma demande. “ Docteur, je suis membre du
R.P.R je vous fais un mot, vous allez voir de ma part le député...” ma réponse
fut immédiate “mon capitaine même R.P.R je ne jouerai jamais cette carte-là”.
Le
Chef du personnel avait un copain Corse à placer, l’Administrateur des Terres
Australes retint ma candidature car j'avais le profil souhaité et voilà comment
fin Octobre 1955 je pris l’avion à destination de Tamatave port d’embarquement
à Madagascar pour les Terres Australes. J’étais désigné pour être chef de
District à l’île Nouvelle Amsterdam.
Nous
avons fait escale au Caire où, au cours du repas servi, nous eûmes droit à un
film de propagande sur l’armée Égyptienne. La tension suscitée par le problème
du Canal de Suez était déjà très grande.
Le
séjour aux terres australes ayant fait l’objet d’un journal des événements, il
m’a semblé indispensable de transcrire intégralement la relation de ce séjour.
A la relecture, j’y ai retrouvé tout ce qui a pu justifier un constat consigné
dans une note:
“On
parle souvent des terres australes et pour ceux qui n’ont pas vécu dans ces
terres cela représente la grande aventure, les terres inconnues battues par les
tempêtes, les milliers de bêtes sauvages bizarres et étranges: éléphants de
mer, orques, otaries, albatros, manchots etc. au fond pour tous, c'est la
Grande Aventure.
Or
détrompons nous il n’y a pas d’aventure, il n’y a pas de découverte. C’est un
voyage lointain, certes, sportif bien sûr, il n’est que d’évoquer le
débarquement à la Nouvelle Amsterdam ou un lâcher de ballon-sonde par un vent
de 140 à 150 Kms/heure, mais il n’y a rien que n’importe lequel d’entre nous ne
puisse faire ou refaire.
Voilà
une donnée qui bouleverse bien des notions.
Non
il n’y a pas d’aventure mais il y a autre chose que l’on passe sous silence
comme un mal que l’on veut ignorer mais qui fait de la vie dans les terres
australes quelque chose d’étrangement grandiose. Cette autre chose c’est
l’isolement, c’est, pendant un an, la vie en équipe réduite dans un circuit
réduit sans autre secours qu’un message de 25 mots échangé chaque semaine par
télégraphie le fameux 'titititatita' de nos radios.
25
Octobre, Tananarive- Le personnel se rassemble devant Air-France. Certains sont
encore éprouvés par le voyage Paris Tana de la veille. Tout le monde cependant est
là, sourire aux lèvres.
8 h
45 décollage à bord d’un DC 3 à l’aérodrome d’Ivet. 55 minutes après l’avion se
pose sans histoire à Tamatave. Seul l’avion permet de ressentir aussi vivement
la différence qu’il peut y avoir entre les plateaux et la côte et pourtant il
fait bon à Tamatave et sa mauvaise réputation me paraît un peu surfaite.
L’embarquement
des marchandises se poursuit pendant que nous prenons place à bord du
“Galiéni”. C’est un bateau neuf, moderne mais qui malheureusement n’est prévu
et luxueusement prévu que pour 12 passagers. Le reste de la mission se trouve
relégué dans une cale transformée, pour les besoins de la cause, en dortoir. La
différence entre cabines et dortoir est vraiment trop sensible. Les esprits
survoltés à l’approche du départ se heurtent un court instant puis tout rentre
dans l’ordre. Le champagne vient arroser le départ proche. Le bateau lève
l’ancre ce jour à 20 h 45.
Mercredi
26 Octobre.
Journée
calme dans l’ensemble, 2 poissons volants, un troupeau de marsouins et vers 8 h
du soir un bateau à l’horizon c’est tout.
En ce
qui concerne la mission il reste une truite vivante sur les 200 emportées de
Madagascar et les arbres fruitiers destinés à la Nouvelle Amsterdam donnent de
la bande.
Pour
moi la journée s’est passée à lire. Je ne suis pas malade, mais j’ai l’estomac
légèrement barbouillé et cette sensation de ne pas être en pleine forme, en
pleine possession de mes moyens m’est désagréable. J’ai pris en compte,
aujourd’hui, les dossiers concernant la Justice (le chef de mission étant aussi
officier d’État Civil et juge de paix à compétence restreinte) et les contrats
des malgaches embarqués à Tamatave.
Jeudi
27 Octobre.
Le
temps fraîchit, la houle se creuse et mon pauvre estomac n’a pas pu garder son
petit-déjeuner. Deux malades peu graves à la visite ce matin. Toute la journée
j’ai été mal en point et cela a failli devenir plus grave quant il a fallu
descendre dans la soute pour la distribution d’équipements.
Ce
midi nous étions au 25° Sud. J’ai passé la journée sur le pont et je continue à
ne pas apprécier le voyage en mer.
Vendredi
28 Octobre.
La
mer est chaque jour un peu plus dure, la température baisse, les albatros ont
fait leur apparition ce matin dans le sillage du bateau.
Les
premières mesures en vue des opérations de débarquement ont été prises, mais il
reste encore 4 jours de navigation avant d’arriver à Kerguelen.
Le
Capitaine Mécanicien du bord a installé mon poste de radio et la musique couvre
agréablement le bruit de machines.
Je
note, sans commentaire, qu’au point de vue mal de mer, la journée a été plutôt
mauvaise.
Samedi
29 Octobre.
La
courbe d’aggravation du mauvais temps est une courbe régulière, inéluctable. La
mer forme maintenant de véritables murs d’eau, tantôt à bâbord tantôt à
tribord. Le vent souffle en tempête dans les antennes du bateau. Les embruns
balayent de temps à autre le pont. Dés que l’hélice déjauge les moteurs
accélèrent leur rythme.
La
lune éclaire cette mer tourmentée et puisqu’il faut trouver une comparaison la
mer fait penser à ces scènes de cinéma montrant des tempêtes terribles.
La
vie du bord continue, une brebis a mis bas, mais “Napoléon” le taureau est
dit-on couché depuis ce matin. Il me faut moi-même pour écrire une bonne dose
de persévérance.
Lundi
31 Octobre.
Le
Dimanche s’est passé sans histoire, ni meilleur ni pire. La mer est encore
houleuse, la température est à 12°.
Aujourd’hui
Lundi nette amélioration de l’état de la mer, ce soir, le bateau ne tangue
pratiquement plus. La température a encore baissé, 8° à 17 h et nous essuyons
quelques giboulées.
Le
point à midi: 64°26’ long Est, 42°25’ latitude Sud.
Mardi
1er Novembre.
Il
est 10 h15 dans le fuseau de Kerguelen. Nous venons d’avoir Kerguelen en phonie
à la radio du bord. La-bas, le vent a soufflé en tempête cette nuit à la
vitesse de 50 à 70 nœuds, la mer a 4 à 5 mètres de creux. Voilà qui promet pour
les opérations de débarquement.
Ici à
bord le temps est frais, la mer houleuse; nous sommes poussés par un vent de
Nord-Ouest assez fort. Cela va nous faire gagner quelques miles.
18 H
10 la passerelle signale la terre, l’îlot du ”Rendez-vous” est en vue. Nous
voguons droit sur lui et à 18 h 30 nous virons à 3 miles de l’îlot. A 6 h
demain matin nous serons dans la baie du Morbihan.
Mercredi
2 Novembre.
C’est
vers 5 h que je me suis réveillé ce matin. Le “Gallièni”, depuis 1 h a franchi
la passe “Royale” et vogue dans la baie du”Morbihan”.
Quel
spectacle grandiose nous attendait. Cette baie est fermée sur le 3/4 de sa
circonférence par des sommets couverts de neige et porte les larges balafres
blanches des glaciers. Le vent violent, incisif fait chanter les cordages.
6 h
05, le “Gallièni terminant sa première course victorieuse vers les terres
australes, mouille à 1/2 mile de “Port aux Français” saluant des trois coups de
sirène rituels le silence matinal de la vaste baie.
Les
opérations de débarquement commencent aussitôt. Le bétail est débarqué sans
encombre, moutons, canard, visons et le taureau “Napoléon”. Le matériel suit.
Arrêt à 19 h.
Jeudi
3 et Vendredi 4 Novembre.
Journée
de débarquement à Kerguelen. Je me réserve d’y revenir au cours de la traversée
vers Amsterdam.
A
noter hier soir une tempête de neige et une multitude de pétrels nocturnes dont
des centaines, éblouis par les projecteurs du bord se sont abattus sur le pont.
Les matelots ont viré le tout par-dessus bord assurant aux charognards un
véritable repas de fête.
A
midi j’ai déjeuné à la Résidence. Avant j’avais été filmer les éléphants de
mer.
U…,
le quartier-maître de la marine, que j’avais demandé au TAAF en complément de
personnel, s’est vu confier le Landing-Craft et s’est révélé un excellent manœuvrier.
Samedi
5 novembre.
Journée
de navigation, presque veille d’arme car demain on en sera aux préparatifs et
mardi, nous serons devant l’île “Nouvelle Amsterdam”.
Rien
à signaler dans la journée. L’équipe Amsterdam semble se souder chaque jour
d’avantage.
Nouvelles
de France: Ben Youssef reconnu Sultan du Maroc! Elle est bien bonne.
Lundi
7 Novembre.
J’ai
eu ce matin en phonie Amsterdam et le météo Chef de Mission H…. Très bonne
impression, je pense que tout se passera bien à la relève.
Le
lieutenant E.. du 7e Génie a monté la deuxième portière, nous sommes donc prêts
à débarquer.
En
vue d’Amsterdam à 10 h, au droit de la cale à 11 h. L’état de la mer interdit
tout débarquement.
Le
Gallièni à du mal à trouver un mouillage, le trouve et perd immédiatement une
ancre. Le Commandant de bord se replie sur un autre mouillage après être passé
à 50 mètres de la côte. Plus question de débarquer aujourd’hui.
Mardi
8 Novembre.
Le
temps ne s’est pas amélioré, bien au contraire. La cale est toujours
impraticable. Tout le monde à bord a mis une ligne à l’eau et il a dû être pris
300 à 400 kilos de poissons dans la journée;
Peut-être
demain tentera-t-on de débarquer.
Jeudi
10 Novembre.
Nous
sommes toujours devant Amsterdam. Bruine, pluie, vent et mer houleuse.
Nous
nous vengeons sur poissons et langoustes. Nous avons fait une pêche très
sportive après avoir mis trois fois le youyou du bord à la mer
1
message passé vers la France.
Vendredi
11 Novembre.
Le
vent très violent s’est levé vers 11 h ce matin. A 16 h, la chaîne d’ancre
casse et le bateau prend une gîte de 12° dérivant sous le vent soufflant à 60
Km/h. On appareille et l’on met le cap au large.
Samedi
12 Novembre.
Nous
mettons cap à terre vers 8 h. La cale est toujours impraticable, mais je
réussis à décider le “pacha” à tenter un débarquement du personnel entre la
pointe Goodnechaft et la Recherche. L’opération aura lieu à 14 heures. Nous
passons un message sur Amsterdam.
Nous sommes
prêts. Avec le Second, nous allons faire une reconnaissance de la côte. Le personnel de l’établissement est là
sur les rochers, on nous indique un point où, éventuellement, nous pourrions
débarquer. Nous revenons vers 15 h avec une barque pneumatique, les boudins
sont pratiques mais le fond, percé, rempli d’eau, rend les manœuvres
difficiles. Entre autres, l’arrimage du courrier est véritablement pénible.
Nous
réussissons à passer le courrier. Le personnel (P… biologiste, F… radio,
D… météo et moi) est hissé sur un rocher de deux mètres de haut. Une très forte
houle rend la chose plutôt dangereuse.
Prise
de contact et visite du camp. J’ai débarqué avec un seul pantalon de rechange
et c’est vraiment peu de chose.
Dimanche
13 Novembre.
L’attente
commence, nous descendons matin et soir voir si la cale est praticable. La
houle est extrêmement violente. Je commence à prendre en compte Santé et
Commandement.
Lundi
14 Novembre.
Rien
de spécial sinon que mes premières impressions se confirment. À savoir que
l’hygiène est loin, très loin de régner aussi bien dans le camp que dans les
baraques et à l’hôpital. L’hôpital en particulier est loin d’être l’hôpital
idéal annoncé. La chambre du médecin est un foutoir sans nom. La douche, le
cabinet de toilette et les W.C sont infects.
Tentative
de débarquement à la cale: 3 types à l’eau dont A… l’ingénieur météo Chef de la
mission sortante. La portière utilisée pour cet essai est fichue.
Mardi
15 Novembre.
Ce
matin le débarquement commence sérieusement malgré une mer encore houleuse. En
lovant une haussière celle-ci se tend brutalement sous la traction de la
portière et j’ai la jambe écrasée contre le rocher. Résultat contusion
importante du mollet et du quadriceps droit. Pour moi c’est fini pour aujourd’hui.
On
débarquera ce jour-là 40 tonnes de matériel.
Mercredi
16 Novembre.
L’état
de la mer est bon et permet un travail assez suivi. Ma jambe me permet de
conduire un 4X4. Mr P… jeune administrateur, brille par ses remarques
déplacées.
Jeudi
17 Novembre.
On
termine le débarquement à 11 heures. Le Chef de mission et le médecin partants
embarquent.
Je
suis heureux de me retrouver le patron et de pouvoir enfin commencer à
travailler comme bon me semble.
A 17
heures départ du Galliéni.
J’allais
oublier un événement pourtant de taille, à 16 h arrivée du SAPMER avec le bon
courrier de France.
(Le
Sapmer était un Langoustier qui tous les ans venait, de St Malo, faire campagne
dans les eaux des îles St Paul et Amsterdam et qui repartait après 5 mois de
campagne avec 200 tonnes de queues de langoustes et 800 tonnes de poisson
congelé.)
Vendredi
18 novembre.
J’aménage
ma chambre et commence le nettoyage. Je surveille en même temps le déballage
des caisses.
Samedi
19 novembre.
De
mon côté, j’empierre l’entrée de l’hôpital et j’attaque le cabinet de
toilette-douche. La crasse dépasse encore ce que j’imaginais. La journée
passera entièrement à faire du nettoyage et du lessivage.
Le
lieutenant du Génie et ses hommes font un travail considérable. Ils finissent
le déballage des caisses de vivres et nettoient le camp. Ils évacuent la cale
et plantent la tente. Mais comme manifestement la tente ne tiendra pas les 6
sapeurs ne logeront pas sous cette tente.
Lundi
21 novembre.
Hier
soir j’ai été mal fichu et je suppose que la crise de paludisme larvé n’était
pas loin. Les efforts de ces derniers jours n’étaient pas étrangers à cet état
de choses.
Je
reprends donc les événements de cette journée de Dimanche. Elle a commencé avec
un soleil radieux et une mer d’huile. Immédiatement tout le monde s’est
précipité vers la cale pour pécher. J’ai profité du beau temps pour suivre la
côte de rocher en rocher. Il y avait des otaries partout et il fallait faire
attention pour ne pas se trouver nez à nez avec une gueule menaçante et bien
armée. Nous avons été soufflés également par le nombre de langoustes qu’il y
avait dans les trous de rochers. A 11 heures, en remontant nous avons aperçu
les orques. Nous avions ainsi l’explication de la quantité fantastique
d’otaries qui se trouvaient à terre.
J’ai
passé l’après-midi avec D… météo, à faire le pain. Je l’ai surtout
regardé faire. Nous n’avons réussi qu’a avoir du plâtre ou presque. J’ai quitté
la table, fatigué.
Ce
matin je me suis prélassé au lit jusqu’à 7 heures, puis j’ai fait, tout au long
de la journée de petits travaux: déballage des caisses de médicaments,
nettoyage de la pièce dentisterie, surveillance de la mise en route du chantier
marine, prospection d’une carrière de gravillons et de l’aire de ramassage de
l’eau. J’ai découvert la coulée aux capucines et les premiers Phylicas. D…
(ingénieur météo) m’a fait dévier sur l’installation d’une antenne. J’y ai
passé pratiquement mon après-midi. F…(Adjudant chef radio) a dépanné mon poste
que j’avais malencontreusement branché (suivant son avis) sur une prise 220 V.
(le camp était éclairé par une centrale qui s’arrêtait la nuit, l’éclairage
restant assuré par des accumulateurs 24 V) donc ce soir j’ai pu écouter de la
musique.
Au
point de vue général j’ai fait nettoyer le plancher du réfectoire. Deux autres
malgaches remettent en état (peinture) le Château d’eau. E… et son équipe ont
attaqué ferme l’aménagement de la marine (hangar de stockage près du point de
débarquement). L…, un des 6 sapeurs s’occupe spécialement des jardins.
Le
Sapmer est revenu de St Paul. Son boulanger est venu nous faire le pain et l’a
très bien réussi. Nous avons mis ce matin le canot à la mer. U… a ramené pas
mal de poisson. Avec les langoustes que le Sapmer lui a fait passer, cela
faisait une bonne pêche.
Mardi
22 Novembre.
J’ai
peu dormi cette nuit et me suis réveillé très tôt. J’ai terminé le déballage
des caisses de médicaments et j’ai attaqué la mise en état du débarras. Quel
fouillis. Je n’ai pas pu terminer ayant été invité à déjeuner à bord du Sapmer
(le médecin de l’établissement devait aussi assurer le soutien médical du
bateau de pêche). Une barque nous a pris à la cale l’Adjudant-chef radio et
moi. Bon déjeuner à bord mais surprise désagréable au dessert quand nous avons
appris que nous étions prisonniers pour plusieurs heures, les barques de pêche
ne devant rentrer qu’à 18 h. Outre l’inquiétude, des vents qui tournaient et
forçaient, il y avait ce malaise du séjour à la mer qui ne m’allait pas du
tout. Nous avons réussi cependant à prendre pied à terre à 19 H.
Au
point de vue poste, les sapeurs continuent à fournir un travail considérable.
Ils ont terminé l’enduit à la marine et dégagé les abords.
Une
constatation s’impose, les radios sont peu nombreux et deux sur trois donnent
un coup de main, mais les météos brillent par leur isolationnisme. A part D…
les autres ne s’occupent vraiment que de la météo. Il me paraît difficile de
changer cet état de choses. D…, le chef, étant un très gentil garçon mais
vraiment très peu enclin aux activités annexes. Cette opinion n’a rien de
définitif et ne demande qu’à s’infirmer.
Mercredi
23 Novembre.
Le
Gallieni a dû toucher Tamatave aujourd’hui. Avec un peu de chance, le courrier
sera en France Lundi. Dans un an exactement notre périple sera terminé, Quel
heureux jour!
Aujourd’hui
vent et pluie, mer agitée. J’ai fait pas mal de choses, mais j’ai une certaine
tendance à me disperser. Il faut dire que je suis un peu effrayé par le travail
de rangement et de remise en état à faire. J’ai attaqué le laboratoire, c’est,
après le cabinet de toilette, le morceau qui me rebutait le plus. Demain je
ferai la pièce stérilisation et essaierai de préparer un premier nécessaire
seringues, boite d’urgence. 2 malades à soigner aujourd’hui, c’est formidable.
J’ai
fait une partie de ma lessive et terminerai demain. Le détachement a attaqué
l’électrification de la marine; noyer le câble dans la lave est un gros travail
qu’ils n’ont pas terminé.
D…
attaque à nouveau la fabrication du pain. P…, le biologiste a piqué ce midi une
crise monstre de découragement. La faune du pays serait d’une telle pauvreté
qu’elle ne fasse l’objet d’aucune étude intéressante. A noter également que F…
le mécanicien et G…, un ancien de la terre Adélie auraient eu un accrochage
assez curieux. Influence du climat? découragement, irritabilité possible?
Jeudi
24 Novembre.
Journée
de travail dans son ensemble mais travail toujours aussi varié. Laboratoire, ce
matin, puis lessive. Vers 10 heures, j’ai été voir les travaux de la marine et
j’ai été avec P… tuer une otarie pour prélèvements. L’après-midi j’ai terminé
le nettoyage du labo. J’ai cru que
je n’en verrai jamais la fin. J’ai lavé le lino puis l’ai encaustiqué. Ce soir
mon labo avait de la gueule. Comme distraction, je me suis payé à 19 h en
attendant le dîner une demi-heure de marteau piqueur. J'ai aplani un tronçon de
la route menant à l’hôpital.
Demain
je continuerai les travaux à l’hôpital et j’aurai à m’occuper de mon premier
hospitalisé.
Vendredi
25 Novembre.
Les
gens de la météo se sont mis au travail ce matin. Ils ont rangé leurs caisses.
Cet après-midi ils ont donné un coup de main pour débarquer les 10 tonnes du
Sapmer. le repas du soir a été mis à 19 h 30 au lieu de 20 heures. Il semble
que tout doucement l’atmosphère change mais il faut aller doucement très
doucement et je suis persuadé que l’exemple vaut mieux que la persuasion,
surtout la persuasion à coup d’ordres donnés.
Les
travaux d’aménagement de la marine se poursuivent, les fenêtres et la pose de
l’électricité sont pratiquement terminées.
Pour
moi, je commence à pouvoir me tourner dans cet hôpital. J’ai fait aujourd’hui
deux stérilisations. J’ai au moins des seringues prêtes et une pince à agrafes.
Samedi
26 Novembre.
Ce
matin j’ai commencé ma journée par un consultant venu du Sapmer. Une
pneumopathie aiguë. Il m’a fallu restériliser les seringues. J’ai profité du
temps passé à surveiller le poupinel pour arranger, avec de la basane, une
paire de protège bottes. Cela m’a pris une bonne partie de la matinée, puis
j’ai été mettre la main à la pâte. Le pain devient de plus en plus joli. D… se
donne à fond à son métier de boulanger; U… s’y met aussi très bien.
A la
suite de mon message notant le travail et la tenue des sapeurs du Génie, R…,
l’administrateur supérieur des TAAF a transmis le message à Madagascar dont
dépend le détachement.
J’ai
ouvert cet après midi les boîtes chirurgicales... C’est un véritable désastre.
Boites mal conditionnées, outils rouillés, cela venant après l’état dans lequel
j’ai trouvé l’hôpital, je suis songeur sur la valeur de mon prédécesseur en
tant que Médecin.
A 7 h
du soir, nous avons été tuer un taureau. E… était le tireur d’élite, j’avoue
qu’il se défend bien. Nous avons réussi à abattre le taureau boiteux que nous
avions repéré hier.
Dimanche
27 Novembre.
J’ai
passé la journée au camp. Après avoir fait ma toilette, assisté aux couleurs et
vu le départ de P… et 5 sapeurs, je me suis mis à la menuiserie. J’ai fait deux
portemanteaux et un crucifix en bois d’épave. Après avoir terminé la
menuiserie, j’ai attaqué la salle d’opération. J’ai fait une boîte de
compresses, une boîte de cotons. J’ai vérifié les instruments d’une boîte
d’appendicectomie et l’ai reconditionnée. J’ai terminé la journée par les soins
aux malades du Sapmer.
Le
moral est bon, mais je dois noter un fait qui m’inquiète un peu, c’est, depuis
que j’ai débarqué une sorte de dégoût, de mal au cœur perpétuel comme si mon
mal de mer se prolongeait. Je suis sensible d’une façon excessive à toutes les
odeurs, c’est vraiment gênant. Pour la mission R.A S aujourd’hui.
Lundi
28 Novembre
Cinquième
journée, je crois, de beau temps et de calme plat absolu. C’est quelque chose
de formidable. Ce matin à quelques milles, on voyait souffler les baleines. Les
bœufs ou plutôt les taureaux s’agitent et descendent la nuit jusque dans le
camp.
Ce
soir nous avons eu Ker en phonie; j’ai bavardé avec P… (Médecin contractuel
breton) et avec O…, l’administrateur.
Le
détachement du Génie est définitivement installé à la marine, E… attaquera
demain le problème de l’eau.
P…
avec un radio et un météo est monté à la Dive et a été jusqu’au Fernand. La
falaise du Fernand pratiquement inaccessible est remplie de nids d’oiseaux
(Albatros essentiellement).
Moi,
j’ai passé la journée en salle d’opération, nettoyage des outils, confection de
compresses, vérification des boîtes. J’ai réussi cet après-midi une
stérilisation à l’autoclave. Rien n’était prévu pour assurer un fonctionnement
rapide de cet autoclave, réservoir à pétrole vide, bidon de réserve vide, pas
d’alcool à brûler pour la mise en route. Il aurait fallu quatre heures au moins
et plutôt six au Dr D…. pour être prêt à opérer s’il avait eu une urgence.
Reçu
un message de Vonette.
Mardi
29 Novembre
A
noter aujourd’hui encore un jour de beau temps. Un troupeau de marsouins au
large, troupeau important et l’attaque du problème de l’eau.
La
journée a été vraiment très agréable, la température extérieure douce, le
soleil bon, pas de vent et une mer paraissant d’huile; je dis paraissant car en
fait une houle de NE submergeait la cale de façon régulière.
J’ai
“briqué” la salle d’opération. Il reste bien sur pas mal de choses à faire,
mais il y a un ordre d’urgence. Telle qu’elle est maintenant, la salle
d’opération est prête à fonctionner. Je sais où se trouvent les diverses choses
dont on peut avoir besoin. J’ai des compresses, de l’alcool, du pétrole pour la
stérilisation etc. et des seringues stériles, il y a du progrès!
E… a
attaqué les aires de ramassage. C’est un travailleur consciencieux, amoureux
d’un travail fini. D’autre part il mène très bien son équipe. Je pense que les
résultats de son séjour seront excellents.
Les
météos semblent vouloir coopérer. Attendons rien ne servirait de brusquer les
choses.
Mercredi
30 Novembre
Voilà
le mois de novembre enterré. Il reste maintenant à peine un an avant de
retrouver ma petite famille. J’espère que cette année va vite passer.
Aujourd’hui
j’ai fait un travail considérable et pourtant j’ai fait peu de choses, un
séchoir à linge, un porte-serviettes et surtout j’ai vidé la fosse “Perfecta”.
En fait de fosse Perfecta c’était surtout une fosse à purin. J’en ai
véritablement bavé, mais j’étais dégoutté plus par le laisser aller de mon
prédécesseur que par la merde que je remuais. Fort heureusement j’ai pu prendre
après une bonne douche.
E… et
son équipe sont pour plus d’un mois attelés aux aires de ramassage.
Les
météos sont toujours désespérément en dehors du coup!!!
Jeudi
1er Décembre.
Gros
travail effectué au futur bassin d’alimentation en eau de pluie. Tout le monde
s’y est mis, y compris 2 types de la météo, c’est formidable. Pourtant la
discussion à table à midi ne laissait pas prévoir ça. En effet, les météos ont
pris ouvertement à parti l’administration et Mr R… l’ADSUP°. Pas mal de choses
ont été critiquées. L’équipement qui leur a été fourni, la prolongation
obligatoire du séjour à 16 mois, l’application programmée du paiement de
l’alimentation. Mr R… est baptisé “Monsieur sans scrupules". Je dois
reconnaître que c’est en partie vrai.
Au
cours des travaux, nous avons découvert sous une première couche de lave une
poche d’eau. Nous avons récupéré ce soir 800 litres d’eau.
Une
constatation en à côté: le nombre de taureaux par rapport au nombre de vaches
est faramineux. Les vaches existantes sont très maigres alors que les taureaux
sont gras. J’ai vu ce soir, un taureau chasser une vache pour prendre sa place
sur une tache d’herbe.
Vendredi
2 Décembre.
Journée
pleine d’intérêt car elle m’a
instruit sur pas mal de choses.
Dans
l’ordre chronologique, les éléphants de mer en train de muer ne vont pas à
l’eau. Pour conserver un certain degré d’humidité à leur peau, ils s’arrosent
continuellement de sable. J’essaierai de filmer cette scène.
Une
coulée de lave se superpose à une autre coulée de lave et le spectacle de ces
tunnels de lave est assez impressionnants.
En
faisant la fouille du bassin d’eau, nous sommes tombés dans une coulée. En
l’explorant, nous avons trouvé une quantité de squelettes. Ce sont des
squelettes d’oiseaux apportés vraisemblablement là par l’eau qui doit couler
dans ce tunnel. P… suppose qu’il y avait autrefois, avant les rats et les chats
importés par les voiliers ayant fait naufrage, quantité d’oiseaux sur l’île.
Enfin
ce soir alors que je remettais sur le tapis une histoire de limitation de
promenade sur l’île s’est révélé une antipathie franche entre G… et F… et j’ai appris ainsi pas mal de
choses (les deux faisaient partie de la mission précédente).
Les
météos ont fait preuve de bonne volonté aujourd’hui. Par contre j’ai dû
rappeler à l’ordre F…, le chef mécanicien qui sans autorisation a fait tourner
le “Duvan” jusqu’à 11 h hier au soir.
Tout
cela est bien compliqué, mais j’ai quand même la ferme impression que je gagne
du terrain et je me félicite de plus en plus d’avoir attendu.
Lundi
5 Décembre.
Je ne
me souviens pas pourquoi, Samedi soir, je n’ai rien noté sur le cahier. Sans
doute me suis-je laissé entraîner par ma sculpture sur bois. La journée de
samedi s’est passée en menus travaux à l’intérieur de l’hôpital.
Le
détachement du Génie a travaillé à l’aménagement de son dortoir, armoires,
gouttières cimentées pour l’évacuation de l’eau de pluie.
Hier
Dimanche, après les couleurs et une scopie faite au malade du Sapmer avant
qu’il regagne le bord, nous sommes partis accompagner P… à la Recherche.
P…
est parti camper plusieurs jours au milieu des otaries. Nous avons passé une
journée splendide.
Dans
l’ordre, arrivée à la Recherche, sur un tapis d’herbe courte nous avons planté
la tente puis nous sommes allés voir les bébés otaries déjà marqués. Nous avons
assisté à la charge furieuse d’un vieux mâle. Repas sur l’herbe sous un soleil
délicieux; à quelques mètres des otaries dormaient sur l’herbe. L’après-midi
films et photos sur les otaries; j’ai filmé la charge du vieux mâle répondant
aux provocations de P…. Il est amusant de voir le mâle chambrer sa ou ses
femelles les empêchant d’aller à la mer. A noter aussi que si un mâle prend la
fuite vers la mer, immédiatement d’autres mâles s’acharnent sur lui...”malheur
au vaincu”.
J’ai
dans mes bras de toutes petites otaries qui viennent de naître, ce n’est pas
joli, ça une tête de têtard, par contre la fourrure est vraiment splendide,
noire, d’un brillant anthracite.
Dans
l’après-midi, nous avons été jusqu’à Good-Year; nous avons vu en passant
l’inscription du trois mât “Velor”, voilier ayant fait naufrage sur l’île.
L’inscription porte, outre le nom de l’armateur le nom de cinq matelots tous de
Bordeaux.
Nous
sommes rentrés vers 18 heures, contents de notre journée. J’ai fait toilette
pour pouvoir me mettre en tenue pour la soirée. En effet nous fêtions hier au
soir la Sainte Barbe la patronne des Sapeurs.
D…
avait préparé une Ste Barbe déshabillable qui a donné lieu à bien des amusements,
corrects bien sûr. Gâteaux, crème, champagne etc. rien ne manquait à la fête.
Je me
suis couché tard mais content de ma journée.
Lundi,
j’ai attaqué et j’y ai travaillé toute la journée, la confection d’un rayonnage
pour les médicaments.
Mardi
6 Décembre.
J’ai
travaillé ce matin aux ferrures pour mes étagères, ce travail me déplaît, mais
pourtant il faut le faire. J’ai passé une partie des commandes de matériel; le
fait de penser déjà au mois d’avril me réconforte.
Au
point de vue Camp, le génie continue son travail. Pour le moment ils en sont au
terrassement. C’est un travail de romain, la lave, lorsqu’elle est compacte,
est aussi dure que du granit. D’autre part les moyens mécaniques sont
inexistants, pas de perforatrice, pas de compresseur.
La Météo
après deux jours de bonne volonté a retrouvé son isolationnisme. Le chef D…,
ingénieur de la météo est un type lamentable. Un moment au débarquement, j’ai
cru qu’il se révélait comme ayant de gros moyens. Il est retombé dans sa
routine qu’il considère d’ailleurs comme ayant une certaine grandeur. Le reste
de l’équipe météo suit en bloc.
Sans
doute serai-je obligé d’en venir, comme je l’ai déjà dit, à des mesures
coercitives. Je recule ce moment le plus possible car l’erreur est au départ.
Rien n’est fait au départ pour préciser la position des types. On compte sur
leur bonne volonté, donc quand ils font leur travail et rien que leur travail,
on ne peut rien leur reprocher. On peut toujours leur dire qu’ils n’ont pas
l’esprit de “Mission”, (il n’y a plus de mission), qu’ils n’ont pas l’esprit
d’équipe etc. Qu’est-ce que ça
peut bien leur faire, pour eux comme pour moi le traitement tombera à la fin du
mois? Problème difficile...
Mercredi
7 Décembre.
Décidément
il est dit que, au moment critique les météos feront toujours preuve de bonne
volonté. Aujourd’hui G… est venu au chantier et G… et D…, les deux piliers de
la Météo ont accepté l’idée d’une corvée hebdomadaire touchant tous les
services.
Nouvelles
du camp: le Sapmer nous a envoyé son frigoriste et le frigo a été remis en état
de marche. Le Capitaine Barbanton nous a envoyé du pain fait par le boulanger
du bord, un vrai régal.
J’ai
deux malades pour urétrite, un Sapeur et un marin du Sapmer. Il est curieux de
voir que ces gonos contractés à Madagascar sont à sortie très retardée et
donnent lieu à des affections particulièrement résistantes.
La
perforatrice “Warshop” a été dépannée, du coup E… a pu faire sauter un quartier
de roche important.
Enfin,
nouvel anticyclone sur l’île nous amenant un temps extraordinairement beau.
Jeudi
8 Décembre.
Un
beau temps remarquable donne à l’île une atmosphère printanière. Si l’eau ne
baissait pas dangereusement dans la mare, nous nous réjouirions pleinement d’un
temps pareil.
Profitant
du beau temps, U… a été à la pêche: petits bleus et langoustes. Ce soir dans
son casier, il a remonté 45 langoustes. Toujours à propos de langoustes, j’ai
préparé des langoustes à l’américaine pour demain. J’ai montré au cuisinier
comment faire.
Les
météos ont raté leur sondage ce matin le ballon-sonde ayant accroché au passage
les antennes radio.
La
perforatrice marche, du coup le génie fait sauter la montagne à tour de bras;
en fait de feu intérieur, ils ont surtout trouvé des poches d’eau qui truffent
la lave.
Personnellement
j’ai passé ma journée au futur cabinet de dentisterie. Je ne suis pas trop
mécontent de mon boulot, mais je suis quand même démoralisé par la perspective
de tout le travail que j’ai à faire pour rattraper les deux années de je m’en
foutisme qui ont précédé. Ce matin encore j’ai découvert de belles choses dans
la vitrine de dentisterie: des aiguilles dans des tubes à essai inutilisables,
deux nécessaires de transfusion rouillés, le caoutchouc cuit, une seringue qui
marinait dans de l’alcool etc. tout ça me décourage un peu.
Le
frigo marche, on peut dire à peu de frais puisque le frigoriste de Sapmer l’a
remis en état en quelques heures même pas. Le soir la chambre froide était à 3°
c’est un succès.
Même
jour 23 heures: D… vient nous chercher pour nous montrer un bateau qui passe au
large tous feux allumés. Il a dû passer plus près de l’île avant que nous nous
en apercevions.
Vendredi
9 Décembre.
Levé
tôt ce matin. Avant d’aller déjeuner j’ai assuré la stérilisation des
seringues. J’ai passé une partie de la matinée à chercher une panne
d’électricité. Ensuite j’ai fait de l’administration en l’espèce j’ai rédigé
trois télégrammes.
A
midi j’ai dégusté les langoustes à l’américaine très réussies. Tout le monde, y compris D… le
difficile y a fait honneur.
Cet
après-midi j’ai embauché tout le monde, boys, jardinier, U… etc. même
l’Adj-chef radio pour curer un point d’eau envahi par la terre et les joncs? Nous
verrons aux prochaines pluies ce que cela donne. Nous sommes un peu braqués sur
le problème de l’eau actuellement car le problème devient sérieux. E… continue
à faire la fouille du bassin à
coup d’explosifs. Le travail avance et sera probablement terminé Mercredi
prochain.
Je
pense que tout marche bien. Un télégramme de R… m’invite à revoir ma commande
de vivres. Je le ferais volontiers car indubitablement il y a eu et il y a
encore des abus mais c’est un problème difficile et épineux
Samedi
10 Décembre.
Un
fait marque cette journée, c’est la bonne volonté évidente de Météos qui
étaient prêts à déblayer le Camp.
D…
n’est toujours pas dans le coup. D’ailleurs est-il jamais dans le coup? Ce
soir, comme je laissais entrevoir la possibilité, pour lui, d’envoyer les
couleurs demain matin, il m’a répondu: « Je ne le ferai probablement
pas, je n’aime pas le travail inutile ». mais inutile à son point de
vue qui est un point de vue bien particulier.
Moi,
par contre ce matin, j’ai perdu mon temps à réparer un rabot qu’un maladroit
avait sérieusement abîmé. J’ai aiguisé la scie circulaire et j’ai pu scier une
magnifique plaque de contre-plaqué en chêne pour recouvrir mon bureau.
Cet
après-midi j’ai remis en état la chaudière de chauffage central, changé les
tuyaux qui ne tenaient plus que par la suie qui était dedans. J’ai fait un
drôle de travail et qui me satisfait.
Le mécanicien a ajusté et raccommodé, pour moi, des tuyaux car nous
n’avons pas de tuyaux pour la chaudière.
E… et
les sapeurs ont meublé l’un sa chambre les autres leur chambrée.
Le
frigidaire que nous avions remis en route n’a pas résisté à la chaleur qui régnait
dans la cuisine (on a fait le pain). Ce soir nous avons du sortir la viande.
Dimanche
11 Décembre.
Fait
marquant: Découverte de Louise.
Veau
femelle de quelques mois prisonnière dans une coulée de lave. Le sauvetage sera
fait le lendemain.
Je
reprends cette journée du Dimanche à son début. Je me suis réveillé très tôt
vers 6 h-1/4. J’ai dépanné la douche pour F…. qui, son savon sur la tête
n’arrivait pas à avoir de l’eau chaude.
Toilette
et préparatifs pour une longue randonnée à travers l’île. 8 H moins 5 E…, P… et
moi envoyons les couleurs.
8
heures phonie avec Ker. Je donne la petite gazette de la semaine et discute
avec R de l’utilité de l’achat d’un compresseur. Ça a l’air de marcher.
8 h
1/2 nous prenons, D… météo, E… et moi la route du faux sommet. Nous partons au
pas de montagne bien lestés de boissons et de vivres. Vers 9 h, nous découvrons
dans une coulée une petite génisse. Son état est lamentable car depuis pas mal
de jours elle doit être prisonnière sans eau et avec très peu de chose à manger.
Ma joie est grande car c’est le début du petit élevage dont je rêve. Le tout
est de sauver la pauvre bête, ce qui s’annonce pas facile.
Nous
reprenons la route et à 11 h nous sommes sans histoire au faux sommet. D…
change le cylindre du thermomètre enregistreur que les météos ont placé là à
l’altitude 700 mètres et après nous être désaltérés nous repartons. Le soleil
cogne très dur, le temps est splendide et les UV nous chauffent drôlement la
peau. De 11 h 1/2 à midi nous allons du faux sommet au cratère central. Photos
dans le cratère central, D… s’embourbe à plusieurs reprises. Nous mettons le
cap sur le cratère explosif que nous contournons puis nous nous dirigeons vers
le cratère de la Dive. C'est 100 mètres avant le cratère de la Dive que nous
déjeunons fort bien au bord de l’eau par un temps délicieux.
Vers
14 h, nous traversons, par son milieu le cratère de la Dive, contournons en
partie le lac bleu puis nous attaquons la Dive par sa face Nord sans trop
grande difficulté. Vers 15 h, nous sommes au sommet de la Dive écornés par
quelques flammèches de brouillard. La mer s’étant de toutes parts à l’infini.
Il est d’ailleurs curieux de voir la mer de si haut, si près cela donne à la
bande d’horizon une largeur inusitée.
Nous
descendons la Dive vers Entrecastraux en longeant une falaise appelée “Chaussée
de Kerguelen” sans doute parce que l’orientation donne la direction de Ker.
15 h
30 nous sommes au bord de la falaise d’Entrecastraux, les joncs nous gênent
pour prendre des photos, nous longeons donc la falaise à une cinquantaine de
mètres du bord. A l’extrémité Ouest de la falaise nous trouvons un petit rocher
en promontoire d’où nous pouvons admirer et photographier la falaise avec ses
milliers d’albatros sur leur nid, au point que certaines zones de terrains
paraissent blanches et au pied de la falaise la roockerie de manchots que nous
regardons à la jumelle car nous sommes à 700 mètres à la verticale de cette
roockerie.
Spectacle
grandiose et impressionnant qui nous donne la désagréable impression de petitesse
et de vulnérabilité pour l’homme qui le contemple.
D’Entrecastraux,
nous passons au Fernand. Cela n’a l’air de rien et ce ‘passons’ est plein de
saveur pour ceux qui ont franchi ce kilomètre et celui qui lui succède dans la
direction du camp. Des mousses d’une épaisseur fantastique recouvrent un relief
tourmenté fait de larges failles succédant à des escarpements. Le pied
s’enfonce et s’enfonce surtout de façon irrégulière. On peine, on s’enfonce, on
tombe, on se relève avec mille difficultés et l’on recommence. Je compare ça et
en pire à une neige tôlée dont la croûte ne résiste pas toujours à la pression.
Nous avons mis, je crois 2 heures pour faire trois ou quatre kilomètres. Nous
avons vu au passage la falaise du Fernand qui est encore plus haute et plus
verticale que la falaise d’Entrecastraux, encombrées elle aussi de nids
d’albatros
Après
les mousses, les joncs, joncs denses de 1 m 5 de haut où nous avons peiné
terriblement avant d’attaquer la descente. En attaquant la descente vers le camp
nous avons levé 2 sarcelles, apport d’une mission précédente et nous avons
trouvé dans les mousses un petit canard tout en duvet. Espérons que les chats
ne le mangeront pas. A propos de chat, j’ai oublié de signaler que Michey,
c’est la chienne du camp, a levé un chat sauvage à Entrecastraux.
Du
Fernand nous avons piqué directement sur le camp en laissant loin sur notre
gauche la Recherche. Nous avons bataillé deux heures dans les joncs. Aux abords
du camp que nous avons fait de nuit nous avons été gênés par les pierres, mais
nous sommes rentrés dans une forme excellente après une journée remarquable.
Lundi
12 Décembre.
J’ai
fait du bureau presque toute la journée. Le matin à 8 heures nous avons
récupéré la génisse qui a bu de l’eau et du lait à même le seau.
E…
continue à faire sauter la lave.
L’ambiance
du poste est excellente. Toujours un beau temps exceptionnel.
Nous
avons mis la couveuse en route, mais l’armoire frigo semble définitivement en
panne.
Bien
que cela ne soit pas consigné dans mon journal, je relate ici la mise en route
de la couveuse qui, apportée par une mission précédente, croupissait dans un
magasin.
La
mise en route de cette couveuse a posé deux problèmes, un “philosophique”!
l’autre bassement matériel:
- Le
problème philosophique était de passer d’une juxtaposition de missions
successives à un programme établi dans la durée. J’explique : les missions
arrivaient avec une dotation en animaux vivants surtout dans les premiers temps
des poules pondeuses. La fin de mission arrivant on sacrifiait les poules
laissant aux suivants le soin de relancer l’élevage et les condamnant à
repartir à zéro. Je me suis donc heurté au front des météos quand j’ai imposé
un rationnement sur les oeufs afin de pouvoir être en possession de la
soixantaine d’œufs qui m’étaient nécessaires pour lancer la couveuse.
-Le
problème matériel m’a opposé au mécanicien affirmant la mise en route de la
couveuse au prétexte que le courant était interrompu la nuit, ce qui était
exact. Il a donc reçu, en bonne et due forme l’ordre d’activer des batteries de
sous-marin je crois batteries en verre de 1 volt 5 mais en quantité suffisante
pour assurer les 110 volts nécessaires au fonctionnement des résistances de la
couveuse. C’est ainsi que l’élevage de poulets a été lancé à la Nouvelle
Amsterdam.
Je
n’ai, malheureusement, pas eu de solution pour l’armoire frigo définitivement
en panne.
Mercredi
14 Décembre.
Épuisé
hier au soir par une journée que j’avais commencée à 5 h-1/4 et terminé à 18 h
30 je ne reprends le journal que 48 h après.
Hier
peu de choses à signaler sinon que le soir j’ai eu un accrochage avec F… le
mécanicien; c’est un type qui fait son travail, mais rien que son travail et
encore j’ai l’impression que, dans son travail, il fait surtout ce qui lui
plaît. Il se pourrait que d’ici le mois d’Avril, je sois obligé de sévir.
E…
avance lentement dans son travail. Il lui faut un cubage considérable de
pierre. Je pense toutefois que ce premier chantier sera terminé mi-Janvier.
Hier
matin j’ai travaillé de 5 à 7 h1/2 à poursuivre le curage de la mare au-dessus
de l’hôpital. J’espérais une pluie ces jours-ci mais toujours rien. Ensuite
j’ai participé au chantier d’E… et l’après-midi, j’ai tapé la commande
“Mécanique”.
Aujourd’hui
le programme a été sensiblement le même: 5 à 7 h 30 la mare, 8 h à midi
commandes et coup d’œil dans le camp. 14 à 18 h Chantier. Le soir je suis
content de voir la journée se terminer.
Rien
à signaler à part ça. Ah si, la truie ramenée de Kerguelen est en chaleur, mais
le verrat est au dessous de tout. Il faut croire que le climat est vachement
sédatif!!!
Jeudi
15 décembre.
Après
une nuit complète et une journée passée à de petites bricoles, je suis bien sûr
moins fatigué.
Ce
matin nous avons expédié des légumes au Sapmer par les marins qui sont venus
récupérer de la ferraille pour lester leurs casiers. En contrepartie, nous
avons eu ce soir la visite du Chef frigoriste venu s’occuper du frigo et du
boulanger avec une dizaine de pains bien levés.
E… a
terminé la fouille du bassin principal et espère terminer le travail au complet
demain soir.
Louise
la génisse (la truie s’appelait Manon) se porte bien, elle broute maintenant
consciencieusement et le soir elle a la panse bien remplie.
La
couveuse après quelques émotions (commutatrice insuffisante) est définitivement
en route avec 60 oeufs.
P… a
eu des difficultés avec son installation électrique. Je cite le fait car
l’installation électrique est ici à la mesure de tout le camp c’est-à-dire que
tout a été fait par des amateurs, sans aucun ordre, sans aucune technique, sans
moyens, avec la plus grande fantaisie. Ce qui explique que l’électricité marche
mal, que le frigo installé à côté des cuisinières ne tienne pas, que les
mouches pullulent sur la viande etc. on pourrait multiplier les exemples à l’infini
et ce n’est pas tout. Non seulement ce qui a été fait a été fait dans le style
provisoire mais en plus ce n’est qu’un aspect du même esprit, rien n’est
entretenu, rien n’est fait pour durer aucune solution d’avenir n’a été
envisagée. Les mâts d’antenne rouillent à leur pied, les tendeurs de haubans ne
servent plus à rien, les carrosseries des jeeps sont comme des passoires, les
baraques Fillod sont bien touchées.
Si
l’on veut transformer Amsterdam en établissement permanent, il faudra changer
bien des choses.
Vendredi
16 Décembre.
Parlant
d’électricité hier, je ne pensais pas que les événements viendraient rapidement
confirmer ce que je disais. J’ai passé la matinée, avec le radio M… à essayer
de comprendre quelque chose à l’installation de l’hôpital et à trouver
l’origine des variations de tension aux prises. Pendant deux heures, nous avons
cherché à identifier les phases. On pense à une intervention chirurgicale où
les appareils marcheraient de façon fantaisiste et où l’électricien serait
obligé de rechercher, pendant 2 h l’origine de la panne.
Cet
après-midi nous avons construit avec U… et D… un abri pour la farine.
E…
aura terminé demain midi la fouille du bassin principal et du bassin annexe.
Faits
personnels, je me suis levé à 4 h1/2 et j’ai été jusqu’au monument Ribeau,
jeune homme de 18 ans des Côtes-du-Nord tombé d’une portière lors du premier
débarquement à Amsterdam et perdu en mer.
Au
retour j’ai ramené un gorfou sauteur capturé la-bas. Nous avons pu ainsi, tout
à notre aise, photographier l’animal au camp.
En le
poursuivant, je suis tombé sur l’herbe, la cellule dans ma poche en a pris un
coup. L’axe du galvano est probablement fichu, c’est bien gênant.
Ce
soir j’ai sommeil, ces nuits très courtes qui rappellent le mois de juin en
France sont vraiment gênantes d’autant que les fenêtres des baraques Fillod ne
comportent pas de rideaux.
Samedi
17 Décembre.
Journée
tranquille pour moi. Je me suis réveillé à 4 h1/2, j’ai mis mon poste radio en
route et me suis rendormi jusqu’à 7 h. Cela m’a fait un bien énorme.
Ce
matin j’ai mis de l’ordre dans ma chambre et presque terminé le cabinet de
dentisterie.
Cet
après-midi, j’ai regardé au microscope l’eau du vieux bassin d’alimentation
d’eau, pris des photos de Louise, mis des fers à mes godillots. Au fond, de la
bricole mais cela fait du bien de temps en temps, ça repose.
Travaux
généraux: E… n’a pas terminé la fouille du bassin, il s’en faut de quelques
heures, mais cela l’a touché beaucoup plus que de raison.
Nous
avons entrepris ce matin de vider la coulée dans le bassin (l’ancien) de façon
à savoir la réserve d’eau dont nous disposions. Nous avons tiré 10 M3 environ
et il en reste encore un peu dans la coulée. P… y a trouvé des “petites bêtes”
(petits crustacés) et en est tout content. C’était amusant de le voir faire
tirant son petit filet dans l’eau avec autant de sérieux qu’un pêcheur
professionnel de langoustes.
Un
accrochage encore entre F… et G…. Ah on dit des femmes !
Enfin
fait capital pour l’hôpital, il n’y a plus de courant sur le 110 volts. Si
jamais j’ai une urgence rien ne marchera. Lundi, il faudra se transformer en
électricien. Que d’énergies dépensées sur des bricoles et pourquoi?
Parce
que, depuis des années, ‘on Bricole’ dans cette mission.
Lundi
17 Décembre.
Deux
mois que j’ai quitté Breil, Vonette et les enfants, grande Sylvie, petite Anne
et mignonne Floflo. Le temps passe doucement et j’ai hâte de le voir passer.
Parce que je suis loin de ma Mie et aussi parce que ce métier d’Administrateur
me pèse ce soir. Une foule d’hérésies me sautent aux yeux parce que tout pêche
par la base et qu’en conséquence quoique l’on fasse il est impossible de faire
du bon travail. Je n’en continuerai pas moins dans la voie que je me suis
tracée.
Hier
Dimanche nous avons fait de l’exploration de cavernes, en général l’état du sol
et des voûtes n’est pas merveilleux. Nous avons trouvé une foule de squelettes
subfossiles d’oiseaux. P… ne les a pas encore identifiés de même qu’il n’a pas
trouvé d’explication au fait que ces oiseaux soient venus crever là car c’est
un fait les oiseaux sont venus crever là.
Aujourd’hui
Lundi, E… a implanté son bassin. U… a calfaté son doris. L…, sur mes
instructions a planté des pommes de terre. Il faudra que je lui demande combien
de Kgs.
Je
n’ai pas fait un gros travail gêné dans mes projets par le fait que je ne peux
faire marcher ni les brosses électriques ni la perceuse sans brouiller les
liaisons radio. Je perds un temps considérable à faire le travail à la main.
Une
petite intervention ce matin, un abcès de la fesse.
Il a
plu hier soir, 8 mm., cela a fait monter légèrement l’eau dans la coulée mais
le problème de l’eau ne sera pas résolu tant que E… n’aura pas terminé le
bassin.
J’allais
oublier un fait important. Hier Dimanche j’ai reçu un message de L’ADSUP annonçant
qu’une retenue pour l’alimentation serait faite à compter de Janvier sur les
salaires. Cela a provoqué auprès des météos, les seuls civils du poste, une
réaction violente allant jusqu’à une révolte ouverte, menaçant de faire grève
etc. Aujourd’hui ça s’est un peu tassé mais G… reste toujours très virulent.
Pour éviter que le coup ne retombe sur mon dos, j’ai demandé à R… que la mesure
ne soit pas appliquée aux gens rapatriables en Avril car eux n’ont pas le choix
et ne peuvent faire l’objet d’aucune sanction. Les autres, s’ils ne sont pas
contents, je peux toujours leur proposer de prendre le bateau en Avril.
Je
suppose que nous en avons pour une semaine à entendre parler de la question et
les conversations animées ne sont sans doute pas terminées.
NDLR:
cette mesure unilatérale, cette rupture tacite de contrat, ont été le début
d’une rupture entre l’Administration centrale et l’établissement, rupture qui
se confirmera tout au long du séjour.
Mardi
20 Décembre.
Une
journée qui s’annonçait très moyenne et qui est devenue une journée très
chargée. Ce matin dés 7 h je me suis mis au polissage des fers de cornière pour
mon étagère. J’ai profité du matin pour faire ce travail avant que la radio ne
m’interdise de me servir de la brosse électrique.
Après
ça j’ai lavé un pantalon treillis car bientôt je n’ai plus rien à me mettre
sinon des pantalons de laine.
J’ai
fait une toilette un peu complète, depuis deux jours je ne m’étais pas rasé et
midi est arrivé.
Cet
après-midi je comptais aller donner un petit coup de main à E… au cratère Dumas
et ensuite aller tuer un taureau au monument Ribaud pour l’envoyer au Sapmer.
Cela paraissait simple et c’est là que j’ai passé l’après-midi la plus dure
peut-être de mon séjour.
Tout
d’abord le travail au cratère Dumas n’avait rien de reposant. Nous avons
préparé la carrière de gravillons, en l’espèce une sorte de scories aux arêtes
drôlement coupantes. Les chaussures ont d’ailleurs compris leur douleur dans
cet amas de mâchefer.
Après
ça nous sommes partis à Ribaud. Mais du plus loin que les taureaux nous aient
vus, ils se sont mis à remonter; Dare-dare on les a poursuivis puis tirés. E… a
tiré blessant un taureau à la première balle. Il le double. “Manque de pot” une
vache passait devant juste au moment où il appuie sur la gâchette, et une vache
par terre une. Le taureau ne tarde pas à tomber à son tour. E… tire un deuxième
taureau; sans doute je m’étais mal exprimé car je n’avais pas du tout
l’intention de descendre trois bêtes à Ribaud. Une seule suffisait à notre
bonheur surtout que, sans nous en rendre compte nous étions montés à plus d’un
kilomètre de Ribaud.
Bref
nous voilà en pleine nature avec trois bêtes sur les bras deux taureaux et une
vache. J’envoie un sapeur qui était avec nous au poste, il est 18 h15 nous
devions avoir le Sapmer à la radio nous pouvions ainsi lui faire savoir que
nous avions de la viande. J’envoie M… chercher la jeep et j’attaque le
dépeçage, quel travail! M… en a bavé pour trouver un chemin. Nous avons eu
mille peines pour charger ces demi taureaux (je les avais coupés en deux par le
travers) sur la jeep et la remorque. Puis il a fallu trouver un chemin pour
rentrer.
Entre
temps E… et moi étions descendus à la côte pour essayer de héler une barque du
Sapmer. Ils étaient tous dans les parages en train de relever leurs casiers,
mais pas un ne s’est dérangé. Quand ils sont en pêche le ciel peut tomber,
encore des Bretons...
Nous
avons fait trois fois le chemin pour trouver des passages accessibles à la jeep
puis arrivés au cratère Dumas, la jeep a continué et E… et moi sommes
redescendus à Ribaud dire aux gens du Sapmer que nous leur donnerions de la
viande le lendemain à 7 h à la cale. Nous sommes rentrés directement au camp
puis nous sommes repartis à la rencontre de la jeep qui n’était pas encore arrivée.
Bref nous nous sommes mis à table à 20 h30 fourbus mais contents de notre
randonnée qui en définitive se terminait bien.
La
journée n’était pas finie pour moi. Deux malades du Sapmer débarqués dans
l’après-midi m’attendaient plus un malade du camp cela me faisait trois malades
à soigner.
Il
est 10 h30, j’en ai terminé, mais j’en ai ma claque.
Mercredi
21 Décembre.
Encore
une journée bien remplie. Ce matin je me suis levé à 6 h. J’avais à peine
terminé de m’habiller que par mes fenêtres j’apercevais le capitaine de Sapmer,
B…. Il venait à terre pour ses malades et en même temps il amenait son boucher
pour tuer la grosse truie “Manon”. J’ai donc dû partager ma matinée entre les
malades, une petite intervention et les honneurs du camp fait au Capitaine.
L’après-midi
a passé sans que je m’en rende compte, j’ai bûché un peu le traitement de la
Syphilis, j’ai cherché quelques médicaments et il est 18 h. Pardon, j’ai rédigé
trois télégrammes officiels et préparé une réponse épineuse à un quatrième.
E… a
terminé l’implantation de son bassin, fait le relevé topo pour la descente du
tuyau d’alimentation pendant qu’une équipe faisait l’approvisionnement du
chantier en gravillons.
Ce
matin 7 h nous avons embarqué la viande pour le Sapmer, tout s’est bien passé à
la cale.
Le
Capitaine B… a déjeuné avec nous à midi, il a trouvé qu’il y avait au poste une
ambiance du tonnerre.
Aujourd’hui
journée de vent, on commence à trouver qu’il fait meilleur dedans.
Jeudi
22 Décembre.
Je
travaillais ce matin à 5 h sur mes bouquins de thérapeutique, mais je me suis
gelé, il faisait 15° dans la chambre et je n’ai pas pu tenir le coup. A 6 h1/2
j’ai été me promener sur la grève voir quelques otaries et les éléphants de
mer.
A 7
h1/2 j’ai repris le travail d’ajustage de mon étagère à médicaments. J’ai dû
interrompre pour attaquer les soins du malade du Sapmer resté hospitalisé et
d’un autre malade que l’on venait de m’amener.
Cet
après-midi j’ai travaillé à faire des compresses et des cotons et à préparer
une stérilisation pour demain matin.
E… a
fait le plan de la conduite d’eau pendant que ses sapeurs approvisionnaient le
chantier en scories.
Un
pépin, le 4X4 Dodge est en panne jusqu’à la prochaine relève, l’usure a
provoqué la rupture d’une rotule.
Les
météos brillent toujours par leur abstention.
D…,
radio et U… ont fait les charcutiers une bonne partie de la journée.
Samedi
24 Décembre.
J’ai
travaillé, hier, toute la journée à l’étagère à médicaments. J’ai cumulé les
en...nuis et vraiment à 6 h hier soir, j’étais plutôt démoralisé. J’ai accroché
quand même. P… est venu à ma rescousse et à 11 h heures nous rangions les boîtes inutiles Je me
suis couché immédiatement après, vraiment très atteint. Une bonne nuit là
dessus et il n’y paraissait plus rien.
Ce
matin j’ai peint puis fait les soins de mes hospitalisés et nettoyé le matériel
de trois jours.
E…
lui aussi piétine, l’approvisionnement du chantier n’est pas terminé, mais,
étant donné les pistes, il ne faut s’étonner de rien, après 48 h de travail le
Dodge est hors service, deux remorques de jeep sur trois sont en réparation.
J’ai
envoyé ce matin à R… un télégramme qui mérite que je le note car, en principe,
il devrait faire du bruit, le voici: “Honneur rendre compte constations
suivantes: primo tous travaux effectués à ce jour à la Nouvelle Amsterdam
présentent un cratère provisoire devant entraîner par la suite soit un
entretien onéreux soit renouvellement des dépenses : baraques Fillod, ancienne
adduction d’eau, jardin, installations électriques, routes, évacuation des eaux
usées.
Absence
de plan d’ensemble, absence d’études sérieuses entraînent déjà de grosses
difficultés dans exécution travail actuel et dans prévisions pour travaux à
venir.
Secundo:
personnel des services rarement disponible pour travaux longue haleine en
raison de l’esprit particulier, de compétences variables, ou de travaux
accessoires effectués à l’intérieur de chaque service: récupération du retard
accumulé dans entretien du matériel.
Apportons,
pour l’instant, modifications en notre possibilité dans application programme
prévu dans l’esprit d’une installation permanente. »
Dimanche
25 Décembre.
La
veillée de Noël s’est très bien passée. Repas à 19 h30 puis préparatifs pour le
réveillon. Tout le monde était en tenue de ville. J’avais invité les Malgaches
à la veillée. Nous avons écouté tout en grignotant un buffet froid, des chants
de Noël et de la musique d’orgues. Je dois noter le silence religieux qui aux
abords de minuit marqua cette audition. L’ambiance fut ce que je voulais
qu’elle soit, c’est-à-dire sans tomber dans le religieux à outrance l’ambiance
d’une veillée de Noël, d’un anniversaire de la naissance du Christ.
D…
avait fait un travail énorme, une crèche de personnages découpés dans du
contre-plaqué et artistement dessinés. Les radios avaient préparé un arbre de
Noël en philicas. Enfin nous étions reliés aux récepteurs radio de la station
ce qui nous a permis d’entendre deux messages de ‘Joyeux Noël’ l’un de
Madagascar venant du Président des radios amateurs, l’autre de Casablanca.
15 h
nous quittons le camp pour aller à “ Good-Year Creack” ainsi appelée car un
pneu de cette marque est venu s’y échouer.
Mardi
27 Décembre.
Hier
soir il n’était pas question d’écrire car nous sommes rentrés éreintés (nous
étions partis à 7).
Je
reprends donc le 25, 15 h, arrivée en haut de l’abrupt qui surplombe la crique
vers 17 h 30. Nous descendons, très pratiques nous nous laissons glisser sur
les joncs. Au passage, sur notre droite, nous photographions des albatros sur
leur nid et de jeunes albatros.
Arrivée
au pied vers 18 h30 absolument suffoqués par l’odeur d’otaries. Il y a sur la
plage plus de 200 otaries et 80 petits, ça fait un bruit d’enfer et ça pue...
Nous
dînons et prenons le bivouac contre un rocher pour être à l’abri des chutes de
pierres. J’avais repéré un bon coin et je l’ai apprécié par la suite. Vers 21 h
il bruinait très fort, je me suis glissé sous le roc et est fait un parapluie
de mon matelas pneumatique. J’ai bien dormi.
Réveil
maussade à 4 h du matin dans le crachin et le brouillard; beaucoup sont trempés
jusqu’à la peau. Nous différons notre départ vers la roockerie du Fernand qui
était notre véritable but. Nous mettons plus d’une heure à allumer un feu car
tout est trempé.
6 h,
nous dégustons un bon café puis comme le temps se lève nous tentons le passage
vers le Fernand un sommet qui surplombe la mer. Une erreur probable dans
l’heure des marées et des rouleaux énormes nous empêcheront de passer. Nous
sommes un peu déçus. retour vers l’anse de Good Year. Nous sommes obligés de
nous frayer un passage, tant à l’aller qu’au retour de mettre en fuite quantité
d’otaries. P… en compte 750 environ sur les deux kilomètres de plage que nous
faisons (plage est un bien joli mot pour ces amas de gros blocs).
Nous
faisons des photos à Good Year, assistons à un accouplement d’otaries puis
attaquons la remontée, remontée pénible sous un soleil brûlant, encore
aujourd’hui j’en ai le dos tout rouge et chaud.
Nous
rentrons au camp à 18 h et nous nous précipitons sur les boissons fraîches
comme au plus beau temps de la Mauritanie, drôles de Terres australes.
21 h,
je dors terrassé.
Journée
du 27.
E…
continue d’approvisionner son chantier et a attaqué la tranchée pour la
conduite de descente d’eau.
D…
(chef de station météo) fait une drôle de tête... J’ai l’impression que quelque
chose ne va pas et de plus il semble qu’il ne domine pas du tout la situation,
écrasé par ses responsabilités tant comme chef de station à l’échelon local que
comme chef de station à l’échelon international. NDLR : La Nouvelle Amsterdam
et Kerguelen assuraient la couverture Météo de tout l’Océan Indien Sud, océan
particulièrement fréquenté par les lignes commerciales et les grands bâteaux de
pêche en particulier Japonais et Russes.
D…
n’a pas ses hommes en main et semble en difficulté pour les prévisions météo
ayant moins d’expérience que son subordonné G… en poste depuis 8 mois, un
ancien de terre Adélie de surcroît.
J’ai
rédigé, ce matin, un chiffré d’une centaine de mots. NDLR : les messages étant
acheminés par les radios en graphie n’avait aucune confidentialité y compris
les messages personnels de 25 mots que nous échangions chaque semaine avec la
famille. Le chef d’établissement disposait donc d’un code lui permettant de
chiffrer les messages officiels devant rester confidentiels.
R…,
en réponse à mon télégramme est tombé complètement à faux. J’ai dû mettre pas
mal de choses au point et en particulier mettre les météos dans le bain, ça
devait arriver. Je ne sais pas encore quelle sera la réaction, mais à mon avis
il ne devrait pas y en avoir car l’erreur est faite à Paris: recrutement
quelconque, conditions de travail non précisées.
Mercredi
28 Décembre.
Le
chef de mission a fait la lessive, il a même lavé le linge du lieutenant très
occupé à son chantier. G… est monté travailler 2 heures au chantier ce soir!!!
D…
est toujours aussi sombre, d’après ses camarades météos, il “cherche sa
fréquence”.
E…
prépare son chantier pour couler la dalle sans à coup Vendredi. Le travail est
très soigné, on sent que les sapeurs ont pris leur travail à cœur.
J’ai
entamé le rangement de la pharmacie, que de médicaments gâchés!
1er
Janvier 1956.
Nous
avons terminé l’année 55 par une action d’éclat: hier de 4 h1/2 à 19 h30 avec
une 1h 1/2 d’interruption à midi nous avons coulé la dalle du bassin. 17 Personnes
étaient sur le chantier.
Les
météos ont fait leur part et même D… s’est vu obligé de venir donner un coup de
main. C’est un succès. Le travail a été extrêmement pénible, quelques chiffres
donneront une idée: béton coulé 30 m3 environ soit 75 tonnes, eau pompée et
ramenée avec la jeep 7.550 l environ, ciment 14 tonnes etc.
Sitôt
après avoir dîné les sapeurs ont été se coucher sans même prendre leur douche
tant ils étaient fatigués.
Pas
de réveillon hier soir et j’avoue ne pas en être fâché, cette fatigue extrême
de tous est venue fort à propos. Ce matin tout le monde est sur pied, on parle
encore de sieste, mais dans l’ensemble tous sont en forme.
J’ai
soigné mes deux malades, je suis monté jusqu’au jardin du ravin, j’ai lavé mes
chaussettes de laine et un pull et j’ai commencé à écrire. Je reprends après le
repas de midi, l’atmosphère du poste est bonne, l’année commence bien,
attendons la suite.
2
Janvier.
Je
mène maintenant de front 2 journaux, l’un journal de mission et d’archives,
l’autre journal personnel; certains événements intéresseront les deux, d’autres
n’auront qu’un retentissement plus limité.
Encore
une journée de repos pour le personnel qui en a largement profité.
J’ai
travaillé à ranger la pharmacie. A 18 h promenade à la mare aux éléphants de
mer. P…, aidé par E… a pêché des petites bêtes en voguant sur un radeau fait de
2 bidons et de 4 planches. Les éléphants de mer ont terminé leur mue et sont
partis, 4 ou 5 étaient encore là mais déjà à l’eau.
Il
fait des journées splendides, il faudra que je demande à la météo les maxima de
ces jours-ci. Dans le petit jardin du mât de pavillon deux glaïeuls sont
fleuris.
Louise
la génisse se porte bien et s’est liée d’amitié avec la chienne, amitié
exclusive puisque la chienne a rossé sa mère débarquée du Sapmer qui venait
renifler Louise d’un peu trop prés.
J’ai
volontairement mis l’accent, au cours du repas de ce soir, sur la satisfaction
que l’on pouvait éprouver un jour comme Samedi où toute l’équipe fonctionnait
la main dans la main. Les météos ont approuvé.
3
Janvier.
J’ai
reçu, aujourd'hui un message de R… qui vaut la peine d’être noté: « Vous
prie établir sous forme rapport annuel, une véritable monographie de votre
établissement comportant une description analytique par service et spécialité
ainsi qu’une synthèse générale. Stop. Insistez sur découvertes (lesquelles?)
effectuées et possibilités éventuelles-Stop. Procurez vous graphiques et photos
nécessaires pour illustration et faites établir plan schématique en annexe avec
projets en pointillés. Stop. Inutile vous étendre sur partie historique et
géographique déjà connues Stop. Adressez-moi ce rapport à Paris par Sapmer
Stop »
Je la
trouve bien bonne, je ne suis pas depuis deux mois sur l’île que l’on me
demande de pondre un bouquin ou presque. D’autre part je n’ai pas de papier
pour faire les photos. On verra bien, je ne sais pas si je dois être flatté de
la confiance ou confus que l’on me prenne pour une bête de somme.
J’ai
terminé le rangement de la pharmacie, elle est splendide et j’ai préparé la
dentisterie qui fonctionnera demain.
P…
avec ses bêtes continue à empuantir l’hôpital, il finit par troubler l’ordre
établi. Étant plutôt pointilleux sur la propreté, je m’accommode assez mal de
serviettes douteuses en bouchon près du lavabo, du lavabo puant l’otarie, de
crânes d’otaries à macérer attirant les mouches et empestant l’atmosphère.
D…
fait faire ses cartes météo par un sous-fifre, il n’est vraiment pas à la
hauteur.
E…
continue son petit bonhomme de chemin.
F… à
des hauts et des bas, quand il en a un coup dans le nez il est très drôle. A
jeun c’est un maussade.
4
Janvier.
Le
premier poussin est né ce matin. C’est au fond le premier grand succès de ma
mission puisque depuis deux ou trois ans personne n’avait pu se servir de cette
couveuse. Ce soir il y a 5 ou 6 poussins, demain j’espère qu’il y en aura 30 ou
40.
Le
Sapmer est mouillé en vue de l’établissement et j’ai envoyé D … à bord. Il
en profitera pour recopier l’horaire des marées.
Le
mur Ouest du bassin a monté de 60 Cms. J’ai l’impression que les sapeurs sont à
leur affaire et je continue à penser que le 15 janvier le travail sera bien
avancé
Je
continue à m’installer dans mon hôpital. Je découvre tous les jours quelque
chose. Aujourd’hui j’ai découvert la raison de cette odeur de croupi dans le
labo. En faisant l’installation d’eau on avait enlevé une lame de parquet et
par ce trou béant placé derrière un évier et un placard, je recevais les
effluves du sous-sol de la baraque. Contrairement à ce que l’on pouvait penser,
les baraques n’étaient pas posées sur une dalle, mais uniquement sur une
murette et les parquets flottent au-dessus d’un sous-sol plus ou moins humide
(plutôt plus que moins) et croupissant. D’où deux résultats, le premier
immédiat, quand on marche on fait trembler les meubles dans la pièce à côté, Le
deuxième éloigné, quand les traverses seront pourries, les parquets se
casseront la g... et je ne vois pas comment on les refera sans défaire
cloisons, électricité etc.
Je ne
sais pas si j’ai noté qu’il n’y avait même pas un bouquin de dentisterie
opératoire.
F… a
remonté aujourd’hui un derrick (grue) qui dormait dans un tas de ferraille. Une
foule de boulons avaient disparu. Pour nous ce derrick est une véritable
aubaine car nous allons l’installer à demeure à la cale, il nous permettra de
mettre le doris à l’eau les jours de beau temps.
5
Janvier.
J’ai
travaillé toute la journée comme une brute sans souffler un instant, vidé la
fosse ‘Perfecta’ qui n’a rien de parfait bien au contraire, gratté, passé à
l’émeri et repeint les tuyaux de la chaudière et la chaudière elle-même ainsi
que le seau à charbon. J’ai passé la deuxième couche de peinture ce soir de 5 h
à 6 h1/2. Je n’en sors plus quand je vois tout le travail qu’il y a encore à
faire, à l’hôpital, pour qu’il soit à mon goût.
- P…
est parti à bord du Sapmer.
- Le
mur du bassin monte bon train.
- On
a commencé (je suis monté travailler 3 heures) à décaper les aires de
ramassage; on enlève les mottes d’herbe avant de mettre du mâchefer et du
ciment.
23
heures (moins cinq) F… s’est encore endormi sans arrêter son groupe étant donné
qu’il était un peu parti ce soir. J’ai demandé à F… qui était encore à ses
émetteurs de le réveiller quand il aurait fini. Une chose m’étonne: F… a feint
d’ignorer marcher encore sur la Vandoeuvre. Or il n’était pas sans s’apercevoir
à 10 heures qu’on n'avait pas changé de groupe.
6
Janvier. (rapporté le 7).
Journée
de tempête ou le travail à l’intérieur était recommandé.
Ce
matin j’ai fait de l’administration, rédigé des télégrammes et préparé la
vacation phonie de Samedi. J’aurai pas mal de choses à dire à R…
A 13
heures 30, immédiatement après le repas, je suis parti sous une pluie battante
(on devrait dire fouettante tant elle cinglait rabattue par un vent de 60 à 70
Km/h) jusqu’à la mare aux éléphants de mer. Puis, de la mare, je suis revenu
par le bord de mer et les rochers jusqu’à la cale. Je me suis arrêté longtemps
pour contempler la mer et j’ai beaucoup pensé à ma petite Mie.
L’après-midi
travail au ralenti avec E… sur des commandes de matériel.
Le
soir j’ai coupé les cheveux à trois météo: D…, D… et G…. C’est très utile de
savoir couper les cheveux. Tout d’abord, surtout quand à Amsterdam on est le
seul à savoir couper correctement et prouver de façon évidente que l’on sait
faire autre chose que de la médecine (s’il était besoin de le prouver). Ensuite
cela permet, pendant la séance de petites conversations qui sont parfois
instructives. Enfin cela crée une obligation, une dette, petite bien sûr mais
finalement non négligeable. Dette d’autant plus marquante que c’est à la fois
le Médecin et le Chef d’Établissement qui veut bien couper les cheveux à ces
messieurs.
Je me
suis couché tôt abruti par un mal au crâne terrible laissant ce journal au
lendemain. C’est effectivement le 7 janvier à 9 heures du matin.
Jeudi
12 Janvier.
Je ne
pensais pas que j’arriverais à m’absenter d’Amsterdam. Les circonstances ont
voulu que je n’aie pratiquement aucune décision à prendre.
En
effet, Samedi matin à 9 heures le capitaine du Sapmer passait le message
suivant: « J’ai l’intention d’aller faire un essai à St Paul, si vous êtes
d’accord, je passerai vous prendre à 17 Heures ». Autorisation demandée à
Kerguelen à 10 heures; réponse à Midi: ‘d’accord’. Il ne me restait plus qu’à
préparer l’expédition, ce qui avec une bonne douche (celle du Samedi) m'a pris
une bonne partie de l’après-midi. A 17 heures, nous étions à la cale.
Depuis
le matin, il faisait un temps de chien. Pluie, vent, tempête. E… et moi qui
devions embarquer, contemplions la cale où les rouleaux venaient déferler avec
vigueur. J’avais enfilé bottes et pantalon ciré, imperméable caoutchouc, cheich
en “serre étoupe”.
Vers
18 heures, le Sapmer est sorti de la pointe Hosken, gris dans le crachin gris
sur une mer grise, c’était impressionnant. Une barque s’est détachée du bateau
et est venue nous chercher. Le patron François est un as de la manœuvre. Il
mouille un pavé à l’arrière qui lui sert d’ancrage et laisse filer un oeil sur
la cale et un oeil sur la houle qui vient. Au moment propice il se laisse filer
un peu plus et accoste. Nous avons embarqué nous et notre matériel en quelques
secondes auparavant un bon paquet de mer nous avait lavé sans dommage. Aussitôt
François passe le filin autour du treuil qui sert à relever les casiers et qui,
embrayé sur le moteur, tourne en permanence au centre du bateau. Le bateau est
ainsi rappelé en arrière. Il était temps, un énorme rouleau déferlait à nouveau
sur la cale. Je trouve la dextérité de ces marins, bretons il faut le dire,
vraiment extraordinaire. Un moment après nous grimpions à bord du Sapmer par
l’échelle-pilote. Après avoir salué la mission de deux coups de sirène, le
bateau a mis le cap à faible allure sur St Paul.
Dimanche
4 h 1/2 du matin.
Les
barques de pêches, il y en a 8, sont déjà en mer. Tous les matins ces barques
métalliques en alliage léger sont mises à l’eau. Tous les soirs elles sont
embarquées et il ne reste plus sur le pont qu’un petit couloir pour passer de
l’avant vers l’arrière. Pour descendre à terre il nous faudra attendre que
l’une d’entre elles revienne avec sa charge de langoustes. Or quand les patrons
de barque sont en pêche, et il sont réellement patrons, plus rien ne compte que
le tonnage de langoustes qu’ils vont ramener. Bloqués à bord, P…. qui avait
déjà embarqué quelques jours avant pour étudier les poissons, E… et moi étions
réduits à observer la pêche du bord, une trouvaille du capitaine B… pour
diversifier et augmenter les captures. La manœuvre consistait à descendre un
immense carrelet au palan du bord, à jeter par dessus bord les têtes de
langoustes et un moment après à relever le carrelet, la poche du filet plus ou
moins gonflée était ouverte sur le pont et les poissons fouettant le plancher
de leur queue étaient piqués au crochet et traités. Une chaîne était prête, au
bordage une équipe vide le poisson, une autre parfait le nettoyage; une autre
brosse le poisson à l’eau de mer coulant à flots. Les poissons sont rangés en
cageots et 2 fois par jour descendu en cale à -25°. Alors que les queues de
langoustes terminaient dans les assiettes françaises le poisson, lui, était
destiné au commerce local de La Réunion. Le petit poisson, mis de côté, servait
de “boette” pour les casiers et était réparti entre les différents patrons de
barque.
11
heures, les premières barques rappliquent, les filets de langoustes montent le
long du bord, un marin au dynamomètre annonce la pêche: 500 Kgs, 800 Kgs.
chaque patron est à la part et gagne d’autant plus qu’il pêche. Ce matin la
pêche est bonne, les langoustes sont belles, du coup on nous oublie ou presque.
Pourtant
à 14 heures, Jules qui est de Cancale et qui pêche à l’entrée du cratère nous
enverra à terre. Nous débarquons dans un mouillage parfait après avoir franchi
la passe ouvrant le cratère à la mer. (noté lors de la saisie: L’île St Paul
est un volcan unique dont le cratère de 1200 mètres de diamètre s’élève à un
peu plus de 200 mètres au-dessus de la mer. Une petite partie nord, effondrée à
laisser pénétrer la mer à l’intérieur du cratère par une passe basaltique ne
dépassant pas 2,50 mètres de profondeur et donc seulement accessible aux
petites embarcations. )
Notre
premier travail est de prendre des photos au cas où nous ne pourrions pas redébarquer.
Photos de ce que furent l’usine et les installations de la Langouste Française,
1928-1930. Photos de la plaque commémorant l’observation française du
passage de Vénus devant le soleil, 1874. Photos de la plaque commémorant le
passage du ‘Bougainville’ et du ‘Tonkinois’. Puis nous nous attardons sur les
rookeries de manchots. Il y a là une multitude de gorfous sauteurs et nous
mitraillons à cœur joie.
Nous
allons ensuite vers le fond du cratère par rapport à l’entrée et tombons sur la
fameuse fontaine d’eau chaude. Elle est à quelque 30 centimètres au-dessus de
l’eau et la légende veut, qu’à St Paul on se baisse à la mer pour attraper une
langouste, on se tourne, on la plonge dans l’eau bouillante et l’on attend
qu’elle cuise. L’eau aurait diminué de température, elle est encore très
chaude. Eau douce naturellement.
Nous
poussons notre promenade un peu plus loin et tuons trois lapins.
18
heures 30, la barque est là pour nous prendre. Jules nous invite à aller
relever encore quelques casiers et nous rentrons à bord à la nuit tombante. Les
langoustes sont embarquées, puis suivent les barques, leur arrimage à bord est
un long travail et il fait nuit depuis plus d’une heure quand la soupe est
sonnée; il est 21 h 30; La journée a été bonne pour nous et pour le Sapmer qui
a pêché 14 tonnes de langoustes, ce que pêche un langoustier breton en un mois.
Nous
nous couchons sitôt après avoir mangé avec l’intention de débarquer de bonne
heure le lendemain matin. Couchage de fortune sur un bateau déjà surchargé en
hommes d’équipage (63 pour un bateau de 800 tonneaux, je crois).
Réveil
à 5 heures. Une barque viendra nous prendre à 6 h 30. Nous voilà à nouveau dans
le cratère. Il fait un temps splendide, nous décidons en priorité de nous
mettre au travail. Nous armons le doris laissé par le Sapmer et nous voguons
sur l’eau du cratère. Nous allons vers le fond où nous devons explorer des
épaves et poser deux jalons pour pouvoir nous aligner lorsque nous
travaillerons dans la passe. Nous retrouvons les débris signalés par le SAPMER
de la barque de sauvetage laissée par le ‘Tonkinois’ en 1848 et emportée par
une tempête ayant déferlé par dessus la digue naturelle.
En
suivant notre alignement nous revenons à l’entrée du cratère où nous relevons
quelques fonds: 2m35, 3m40, 4 mètres; il semble que la passe serait aménageable
et le cratère offrirait un mouillage remarquable.
11 H
30: le travail est arrêté, nous mangeons, victuailles fournies par le bord puis
nous nous lançons à l’assaut des pentes du cratère. Les pentes sont très
abruptes, presque verticales à la fin, culminant à 260 mètres. Et pourtant les
manchots sont à 200 mètres d’altitude. Ils sont venus là planter leur nid et
c’est amusant de les voir escalader à petits sauts les pentes abruptes du
cratère.
Nous
dérivons sensiblement vers la droite pour observer une vingtaine d’albatros
posés là. La vue sur la mer que l’on surplombe est absolument vertigineuse.
Nous approchons les albatros et seule la crainte de leur bec puissant et
tranchant nous empêche de les toucher.
Nous
passons un long moment à observer ces voiliers de l’air, leur vol est si étudié
qu’un rien suffit à l’interrompre: une plume mouillée, un obstacle dans le vent
car l’albatros ne décolle que contre le vent et après un pédalage laborieux. Un
albatros prêt à se poser nous aperçoit, trop tard, son vol est déséquilibré et
il s’abat sur nous tout bête.
Nous
reprenons notre ascension presque verticale vers le sommet du cratère, de
l’autre coté c’est un terrain qui descend en pente douce vers la mer. Nous ne trouvons
sur ce plateau pas âme qui vive; les lapins semblent même avoir disparu, sans
doute une épizootie.
17
Heures, nous redescendons; nous avons l’impression que la barre est en train de
‘forcir’ à l’entrée du cratère. Nous nous hâtons. La barque, entre temps, est
venue puis est repartie. Nous sommes bien ennuyés ne tenant pas du tout à
rester là. D’autant moins que depuis 48 h nous voyons Amsterdam pourtant
distante de 60 miles et pour les marins c’est un signe de gros mauvais temps en
perspective.
Nous
guettons les mouvements des barques; entre temps je vais tuer 4 lapins. L’un
d’entre eux est galeux jusqu’à la pointe de la queue, gale infectée, peu
ragoûtante. C’est peut-être l’explication de la disparition des lapins.
Jules
est à l’entrée de la passe se grattant le menton. Il repart, nous désespérons.
Non, il a été faire un tour le temps d’enfiler son ciré et de s’armer de
courage car Jules s’est déjà” fait laver les fesses” à l’entrée du cratère
comme dit le capitaine B…. Au bout d’une longue attente nous entendons le bruit
rassurant de la barque rentrant dans le cratère. Nous en ressortons sans
encombre mais à toute allure. Il était temps et la période des vagues bien
calculée car derrière nous trois rouleaux successifs, bruyants, puissants
submergent la passe.
Nous
levons quelques casiers et rentrons à bord. La mer force, la barque danse, les
embruns volent, je me sens bien.
21 h
30 : le bateau quitte le mouillage, s’écarte un peu de l’île et se laisse
dériver, cela économise le gas-oil et comme les vents portent vers l’Australie
nous ne risquons pas de rencontrer de terre de sitôt.
Vers
2 heures du matin, le mardi 10, le bateau remonte vers l’île St Paul. Hier les
patrons ont pêché 22 tonnes de langoustes. Attiré par une belle pêche le patron
n’a nullement l’intention de rentrer à Amsterdam. Le capitaine me dira plus
tard que, à 4 h du matin il était sur les lieux de pêche mais qu’il n’a pas pu
mettre une barque à l’eau. D’ailleurs le temps devient de plus en plus mauvais,
le baromètre baisse et la météo reçue d’Amsterdam est franchement mauvaise. Le
bateau se met à la cape. Je me lève vers 6 h, fait mon lit mais je suis déjà
mal en point. Je déjeune et restitue quelques minutes après. Je traîne sur le
pont jusqu’à 9 h et suis obligé d’aller m’étendre. Midi, une tempête du
tonnerre. Le bateau est toujours à la cape remontant le vent à 2 ou 3 nœuds.
J’essaie de déjeuner et n’arrive pas au bout du repas vomissant jusqu’au sang.
Inquiet je me rejette sur ma couchette.
Dans
la soirée, le bateau quitte la cape pour venir sous le vent d’Amsterdam car
depuis ce matin nous faisons route au Nord-Est. La mer prend pendant une heure
le bateau par le travers. Je suis jeté, deux fois de suite, en bas de ma
couchette de fortune.
20 h
nous sommes au mouillage près de la pointe de Novara. La mer est plus calme.
J’avale un potage volontiers mais ne peux pas le garder. Je retourne sur ma
couchette et avale, allongé, 4 biscuits et un bout de chocolat que je garde.
Mercredi
11: J’ai fait partir, hier au soir, par le radio du bord, le télégramme
lettre-avion “télav” qui sera retransmis ce matin. Rien ne pourrait m’empêcher
d’être au rendez-vous d’amour de ma Mie. Nous sommes toujours au mouillage, la
cale est impraticable.
14 h
: François marin de 1 m 75 et 100 kgs ou presque est décidé à nous envoyer à
terre. La cale n’est pas meilleure que le jour de notre embarquement mais il
faut débarquer si nous ne voulons pas repartir à St Paul. Le débarquement, bien
conduit, se passe bien. Mais une lame enlève le fusil que j’avais posé pour
attraper E… et le fusil est perdu.
15 h
: je reprends contact avec ma chambre. Gilbert, le boy, fait chauffer la douche
car j’ai oublié de signaler que nous avons vécu trois jours à bord du bateau de
pêche puant le poisson et la langouste; où l’eau est rationnée car la provision
embarquée doit faire toute la campagne. Comme dit le capitaine B… entre deux
chiques: « la propreté du bateau pas question de s’en occuper tant qu’il y
a du poisson ». Les bordages disparaissent sous le sang caillé des
poissons vidés là. Les têtes de langouste conservées comme ‘boette’ pour le
poisson puent très vite et il y en a des tonnes.
Une
bonne douche, bien rasé, changé, me voilà neuf et à nouveau terrien.
12
Janvier, 21 h: j’ai mis aujourd’hui les papiers à jour. Je n’ai pas fini,
demain j’aurai encore des télégrammes de commandes à passer.
J’ai
eu ce soir, par une phonie avec R… des renseignements sur la ‘Monographie’
qu’il me demande: « je ne vous demande pas une critique de ce qui existe
dans le camp. Je vous demande de mettre en valeur ce qui a été fait au point de
vue radio, météo... photographiez les arbres que vous avez planté... »
Tout se résume à ça. Je suis littéralement sidéré par la légèreté, par le
manque de sens pratique, du sens des réalités d’un type qui est Administrateur
Supérieur. Je me demande ce qu’un type comme ça donnerait à la tête d’un autre
territoire. J’en suis effrayé. Ainsi la politique de l’autruche continue. Les
chiottes du dortoir sont bouchés, les appareils radio fatigués, les jeeps n’en
peuvent plus, la bétonnière est en panne... mais le pommier a 1 m 20 et les
glaïeuls sont en fleur. C’est merveilleux. Tout doucement je me mare. Je sens
très bien que R… ne tient pas du tout à ce que je raconte tout ce que je
constate, tout ce que je vois. Je n’y tiens pas plus que ça à une condition:
que ça marche sinon ce sera une belle histoire à raconter avec des vues en noir
‘et des en couleurs’.
13
Janvier, un vendredi: journée calme. J’ai rédigé quelques commandes ce matin
puis je suis monté au chantier donner un coup de main. Cet après-midi vrai
temps de cochon. Impossible de travailler à l’extérieur. J’ai donc terminé le
nettoyage de l’hôpital par la pièce radio puis j’ai fait un peu de
thérapeutique. Vraiment rien de sensationnel à part que j’ai menacé D… un
météo, de le rapatrier en Avril s’il continuait à trouver les conditions faites
(paiement de 9000 frs par mois pour la nourriture) inadmissibles.
14
Janvier: les petites histoires météo continuent. D… (chef de station) m’a remis
un état d’heures de nuit. Je la trouve bien bonne.
D’autre
part la Météo Nationale Paris a envoyé un télégramme à D…, D…, G… et G les
invitant à présenter une réclamation au sujet du paiement de la nourriture.
Ceci a été fait sur une intervention de Madame D… à Paris.
D… qui
a été avec P… à la Recherche ce matin a raconté à P… qu’il en avait assez, que
ses collègues avaient décidé de faire la grève au point de vue travaux annexes
et servitudes, que lui ne pouvait pas ne pas faire corps mais qu’il sentait
bien que je me renfermais. Tout ça m’amuse car ils ne savent pas jusqu’à quel
point je suis décidé à ne pas laisser faire, si toutefois R… veut bien montrer
un peu d’autorité.
Point
final à tout ceci, ce matin sans le savoir j’ai préparé le terrain à une
méchante parade. J’ai moi-même assuré la corvée de poubelles considérant que
c’était mon tour. Samedi prochain, je demanderai aux météos de bien vouloir la
faire. Ce sera largement leur tour.
- Le
bassin d’E… continue de monter. Il ne sera pas terminé le 15 comme je
l’espérais mais quand même il est en bonne voie; j’y ai travaillé un peu ce
matin.
- Cet
après-midi détente et vers 17 h baignade. J’ai cherché pendant 10 minutes à
voir le fusil tombé à la mer à la cale. L’eau qui fait 17° était presque aussi
bonne qu’en... Bretagne. Des poissons en quantité.
- On
a abattu, ce soir, un taureau qui se promenait avec une langue pendant
largement au-dehors. La langue était très infectée portant une très large
blessure latérale droite. On a jeté la dépouille à la mer.
-
Reçu message de France.
Dimanche
15 Janvier.
Journée
encore plus calme qu’hier.
J’ai
commencé la journée en démontant le poste de la mission qui a grillé hier soir
sur une saute de courant.
A 9 h
envoi des couleurs avec le détachement du Génie. Tenue: chemise blanche, cravate
noire.
Cet
après-midi nous avons terminé avec P… un travail commencé ce matin, le relevé
des inscriptions taillées dans la pierre qui existent au voisinage du camp;
inscriptions du XIX em siècle époque où les bateaux déposaient les phoquiers à
terre pour un ou deux ans.
-
Après le relevé des inscriptions, nous avons été à la mare aux éléphants de mer
où j’ai filmé P… en 16 mm pour un film: “biologiste au travail”.
Paulian
marquait les éléphants de mer venus muer dans la mare car ils arrivent, muent et
un ou deux mois après repartent la mue terminée alors que d’autres viennent les
remplacer.
La
journée s’est achevée, déprimante, le vent de Nord ayant amené une bruine
chaude qui nous a donné un climat malsain (25° dans ma chambre).
file://localhost/Users/jeanderamond/Desktop/BLOG%20DOC+PHOTOS/TAAF/Photos%20TAAF%20en%20png/Image%206.png
16
janvier.
J’ai
été réveillé ce matin à 6 h par une souris, une vraie bien sûr, qui s’attaquait
à 4 biscuits que je croyais bien inaccessibles. Pendant plus d’une demi-heure,
j’ai observé la bestiole. Je lui ai tendu un piège et me suis amusé à la voir
enlever le biscuit sans faire partir la tapette. Puis je me suis levé et après
le petit-déjeuner, j’ai pris 2 souris dans l’hôpital.
Ce
matin j’ai fait du papier. J’ai envoyé un confidentiel sur les météos. Je
suppose que, comme pour les deux premiers, celui-ci restera également sans
réponse. C’est tellement plus facile pour résoudre les difficultés: les
ignorer. Je ne m’en fais pas outre mesure bien décidé à dételer après une
expérience honnête de six mois si je n’obtiens pas de directives strictes. Les
mots, ce n’est pas mon fort.
J’ai
ensuite préparé et fait une stérilisation;
Cet
après-midi j’ai fait le dentiste. je suis en train de m’empoisonner l’existence
sur une grosse carie chez un malgache, carie que je n’aurais jamais traité si
G…, ancien mécanicien dentiste, n’avait pas mi son nez là-dedans. J’ai ensuite
traité un 1er degré à F…, 1er degré que j’ai obturé par un émail. Le résultat à
première vue est champion. F… a dit à Espagnon qu’il était content. Étant donné
ma 'grosse expérience’ de la dentisterie, c’est un succès.
J’ai
ensuite potassé, une fois de plus le traitement des urètrites à ‘gonio’. J’ai,
en effet, un sapeur que je n’arrive pas à guérir. Il a pourtant reçu des
millions de pénicilline et de la strepto, des cures de propidon, bref le grand
jeu et je suis bien empoisonné. Plus de propidon, pas de TABDT pour essayer un
traitement de choc. J’hospitaliserai le type demain et je verrai.
Le
midi j’ai fait mettre la nappe, servir les apéritifs et améliorer le menu pour
fêter l’arrivée il y a un an d’une moitié de la mission. Ce qui m’amuse c’est
que, très certainement, je vais semer le trouble dans l’esprit des météos qui
après avoir pensé que je devenais distant doivent penser que je cherche un
rapprochement. La fin de la semaine les mettra, sans doute encore, un peu plus
dans l’embarras.
17
Janvier.
Journée
variée, comme beaucoup de journées ici, puis j’aime bien avoir l’œil un peu
partout, par exemple sur le bassin qui continue à monter, sur le jardin devant
la météo que je fais mettre en état, sur l’arrière de la cuisine que je fais
nettoyer, sur la viande que découpe Petit Louis etc. donnant, d’ailleurs, un
coup de main ici ou un autre là.
Ce
matin j’ai fait de la médecine avec mon hospitalisé histoire de ne pas perdre
la main. Mais que de travail pour un seul malade. Pour faire, par exemple un
lavage d’urètre il faut récupérer le bock, le laver, chercher un caoutchouc,
encore une chance qu’il soit en bon état, faire bouillir caoutchoucs et canule,
faire bouillir de l’eau sur une primus, laisser refroidir l’eau, faire les
soins, nettoyer le tout et le ranger en tout 2 h sans parler de l’I.V etc.
C’est un travail qui, pour un médecin, n’est pas des plus amusants.
J’ai
eu avec D… l’ingénieur une assez longue conversation sur l’esprit des météos et
leur travail. Peut-être cette conversation aura -t-elle été extrêmement utile
et aura -t-elle évité une prise de position trop violente de ma part.
Ce
soir nous avons eu un ciel absolument ravissant après une journée de pluie.
Tous les tons pastel de la palette y passaient. Il y avait, entre autres, des
nuages d’un rose extrêmement tendre et un vert d’une pureté remarquable.
18
Janvier.
Levé
à 6 h 30. J’ai largement rempli ma journée. J’ai nettoyé les abords de
l’hôpital et j’ai mis en route le feu pour éliminer les détritus amassés
derrière la cuisine. J’ai mis la stérilisation de mon matériel en route. Mis en
route un petit chantier au jardin puis je suis parti avec P…. P… travaille très
souvent au chantier. Il m’avait demandé si un jour je pourrai le filmer tuant
et dépeçant une otarie. Nous sommes donc partis vers 9 h, caméra, pied etc. et
pendant 2 h j’ai filmé.
11 H:
je suis rentré pour soigner mon malade. A 14 h, j’ai rangé un peu de matériel
médical, mis des rustines à une paire de gants qui me servent à des travaux tout
venant. Enfin j’ai été au jardin donner un coup de main à monter un mur en
maçonnerie.
Vu à
18 h, avec D…, le magasin météo. Je suis parti ensuite en tournée d’inspection
des cavernes et des jardins. J’ai encore découvert un dépôt de matériel qui est
en train de pourrir. Un tour au chantier d’E… qui avance bien ces jours-ci et
il était 19 h 30. J’oubliais qu’à 11 h 30 j’ai posé une magnifique toile
cirée verte au réfectoire qui s’harmonise bien avec la peinture qui a été
refaite par les sapeurs un jour de pluie. Le réfectoire est maintenant des plus
avenants. Il ne reste plus qu’à revernir la bibliothèque.
Il a
fait, aujourd’hui, un temps splendide, si cela pouvait durer quelques jours
cela avancerait les jardins.
19
Janvier.
Journée
qui ne s’est pas goupillée totalement comme je l’aurais souhaité mais qui a été
cependant vraiment très profitable au point de vue de la marche de
l’établissement. Tout d’abord R… a répondu à deux de mes chiffrés et cela m’a
beaucoup instruit:
- 1
si j’ai le droit de réquisitionner quelqu’un pour assurer les corvées, aucun
texte ne m’autorise à demander, aux agents des services, de venir travailler
sur un chantier.
- 2
R… ne demande pas mieux que de prendre des sanctions vis-à-vis d’un type, mais
à condition que ce soit moi qui enterre le type. Or de mon point de vue tout le
personnel de l’Établissement est prêt à faire ce que moi je lui demanderai et
seul R… est visé par l’état d’esprit du camp et par la mauvaise volonté. Je ne
vois donc pas pourquoi, moi, je sévirais.
J’ai
eu ensuite un long entretien avec D… préférant mettre les choses au point avant
de répondre, à R…. Cet entretien a été très fructueux. Tout d’abord ça a été un
contact humain; D… voulait me parler, mais il n’osait pas. Il avait de son côté
pas mal de choses à me dire, pas mal de points à préciser. Sa femme est malade
depuis 3 ans et il avait besoin d’argent; c’est pour ça qu’il est parti. Il
était, à Paris, chef d’un service de 70 types, bien sûr ça le change.
Il
est prêt à faire toutes les corvées que je demanderai; il me demande seulement
de mieux définir les taches de chacun.
Rétrospectivement
je pense à cette semaine qui vient de s’écouler et à l’esprit que j’avais
acquis m’étant engagé, même, assez loin dans une voie qui, maintenant, me
paraît fausse.
Poussé
par R…, j’avais mis les travaux entrepris sur le plan prioritaire et tous
devaient contribuer à ces travaux (R… dixit). Or rien ne m’autorisait à le
faire, ni les textes en vigueur qui m’ont été précisés ce matin par le chiffré
de R…, ni la répartition du travail chacun ayant son travail à faire et bien
souvent le travail technique étant fort prenant.
Donc
erreur au départ puis, je dois le reconnaître, erreur de jugement aidé par les
critiques fréquentes de P… et quelques fois d’E…. Or je crois que P… n’est pas
objectif. Il n’est pas objectif parce qu’il éprouve, pour D, une antipathie
notoire et cela le fait prendre en grippe tout le service météo.
Moi
dans tout ça, j’ai peut-être commis quelques injustices fort heureusement pas
flagrantes. J’ai par exemple enlevé à G… la corvée de chasse, j’ai enlevé à G…
ses jardins, j’ai enlevé à D… les magasins. Il semble donc, et ce n’était pas
mon intention, que j’ai éliminé la météo de la vie du camp alors pourquoi
m’étonner si, la Météo se repliant sur elle même, s’est résignée à ne rien
faire.
L’art
de conduire les hommes est un art difficile, je m’en rends compte. Un seul
point reste acquis jusqu’ici, je n’ai rejeté personne et il me semble que j’ai
quand même réussi à me faire prendre en considération, à m’imposer. Qui vivra
verra.
La
journée: j’ai perdu 2 h ce matin à remettre une primus en état pour faire les
stérilisations.
-
Travail hospitalier.
-11 H
: j’ai plongé pour la troisième fois. Les fonds étaient splendides.
Malheureusement je n’ai pas retrouvé le fusil.
Cet
après-midi j’ai travaillé avec F… et les Malgaches à mettre un peu d’ordre dans
le camp. Les vieilles caisses sont rangées. Le tas de fûts vide est commencé.
Il nous a fallu vider 80 fûts d’eau croupie pour pouvoir les entasser.
Après
le repas, j’irai nettoyer et ranger mon labo car je l’ai laissé ce matin dans
un désordre qui me fait honte surtout vis-à-vis de P… qui, manque de bol, est
venu se faire soigner ce soir. Or je suis toujours en train de le rappeler à
l’ordre. Il faut dire qu’il exagère (un petit brin de critique). Un exemple:
hier il dépèce une otarie. Je lui dis avant de quitter le bord de mer :
« lavez vous donc les mains à l’eau de mer, le lavabo puera moins
l’otarie ». Il reconnaît et s’exécute mais ce soir ayant gratté la peau de
cette otarie il vient directement au lavabo pour se laver les mains et laisse
devant la porte un chiffon plein de sang. De ce point de vue, il est
impossible, mais il faut que je me surveille car il commence à prendre la
mouche sur ce sujet et au sujet des rations fort copieuses qu’il se sert à
table et qui font la base des plaisanteries quotidiennes au réfectoire.
21 h
45: j’ai remis de l’ordre dans mon labo, salle de soins, tout est impeccable et
je suis satisfait.
20
Janvier: journée partagée entre l’hôpital et le chantier. J’ai donné un petit
coup de main à E… car il y avait quelque temps que je ne l’avais pas fait. J’ai
fait l’approvisionnement en sable.
Ce
soir je suis descendu à la cale voir D… et F… pêcher. J’ai moi-même tenu la
gaule et jeté une balance. En 5 minutes, 8 langoustes. Quant au poisson une
touche toutes les 10 secondes. Les petits bleus dévorent littéralement les
appâts.
D… et
F… ont fait la corvée de poubelles. C’est la première fois que F… participe à
une corvée générale (au débarquement, il était de permanence au poste radio).
Il y a, en ce moment un vent de bon esprit qui souffle sur l’Établissement,
pourvu que ça dure!
Ce
soir je n’ai pas pu prendre les informations de Paris les postes français
débitant de la musique ininterrompue. Y a-t-il une grève?
21
Janvier.
Le
fait marquant est la récompense que Dieu a accordée à ma persévérance. J’ai
plongé aujourd’hui pour la 4em fois. J’ai passé dans l’eau glacée
vraisemblablement plus d’un quart d’heure et finalement j’ai pu récupérer le
fusil tombé à l’eau il y a dix jours. Je suis rentré complètement frigorifié,
obligé de m’enfermer dans ma chambre avec le radiateur à fond, mais j’étais
content. Bien sûr le fusil après ce séjour dans l’eau de mer n’est pas dans un
état mirobolant, mais il tuera encore pas mal de rats.
- Le
doris, grâce au “Derrick” récupéré à la ferraille, peut-être maintenant
facilement mis à l’eau. Aussi les parties de pêche vont bon train: U…, D… ce
matin, D…, M… et moi cet après-midi. Mais le poisson n’était pas décidé à
mordre, une dizaine de petits poissons seulement. M… et D… ont été victime du
mal de mer. Reçu à 18 h mon message du Samedi. Ce message est d’ailleurs
admirablement conçu, c’est un message plein d’amour.
Dimanche
22 Janvier: partis à 7 h 30 nous sommes rentrés à 19 h. Nous étions sept. Nous
avons fait un périple confortable et tout s’est fort bien passé.
A 10
h, nous étions à l’éperon rocheux qui la dernière fois avait été l’obstacle
insurmontable. Cette fois la marée devait être basse vers midi; nous en étions
sûr car nous avions surveillé les marées les jours précédents. Les rouleaux
arrivaient contre les rochers, mais cela n’avait rien d’inquiétant. Nous étions
là, regardant, ne sachant trop que faire. Habitué aux baignades, je me suis mis
en slip et avec facilité, mouillé jusqu’au c.. seulement, je me suis retrouvé
de l’autre côté du rocher. A l’envers on peut grimper sur cet éperon. Je me
suis donc trouvé bien placé pour récupérer, de ce poste, grâce à une bonne
ficelle, les uns après les autres, les sacs gonflés de vêtements. J’ai assisté
au passage des six autres qui, avec des fortunes diverses, sont arrivés de
l’autre coté. Les moins favorisés en ont été quittes pour une douche. Un autre
passage difficile cinquante mètres plus loin. Là nous avons pu passer sac au
dos, mais sur 50 m nous avions les fesses à l’eau et nous marchions sur des
pavés rudement glissants. Ce n’est pas tout, d’un rocher en surplomb tombait
une cascade d’eau fraîche qui était plus désagréable que la mer elle même. Nous
sommes arrivés, ensuite, sans encombre au pied du Fernand. Mais il ne restait
plus qu’une centaine ou deux de manchots. Les autres, la mue terminée étaient
repartis en mer. Nous avons été déçus mais avons profité du manque d’intérêt du
lieu pour remettre le cap rapidement vers “Good Year”. Il était midi et demi.
Nous avons repassé les points difficiles vers 1 h . La mer était plus basse
qu’à l’aller et nous avons pu le faire, partout, avec nos sac au dos. Nous
avons fait halte sitôt l’éperon dépassé pour casser la croûte à quelques mètres
de nous une petite cascade fournissait l’eau douce. Nous avons vu, d’ailleurs,
au Fernand des cascades
magnifiques; L’île est divisée en deux zones, une zone peu accidentée où se
trouve le camp et sans eau; elle se perd à l’intérieur des coulées de lave qui
se superposent. L’autre partie se termine sur la mer par des falaises
impressionnantes, falaises d’où tombent de nombreuses cascades. Nous étions à
la plage de Good Year. Vers 16 h, nous avons remonté les 300 m de pente sans
difficulté cette fois . j’ai même remonté un morceau d’épave pour faire des
cadres pour quelques photos de manchots. Le retour au camp s’est fait au train
promenade. Toutefois en arrivant mon genou n’en pouvait plus. Il est un peu
gros ces jours-ci et me fait mal. Une bonne douche a été la bienvenue, il
restait encore de l’eau chaude.
- Je
me suis endormi en écoutant mon poste vers 21 h 15. je n’avais pas oublié mon
message vers ma Mie, comme tous les soirs et ma prière.
Lundi
23 Janvier.
J’ai décidé,
ce matin, de m’atteler deux ou trois jours aux jardins car :
1-
l’aspect de ces jardins est déplorable avec bidons, caisses, planches dans tous
les azimuts.
2- nous sommes en ce moment dans une
période de creux au point de vue légumes et il faut que je pousse un peu le
jardinier aux fesses.
Aussi
depuis ce matin je travaille au jardin près de la météo et il commence à avoir
de l’allure, dans 48 h il sera splendide, du moins je l’espère. L…, un sapeur
scelle des piquets pour constituer un pare-vent car les vents d’ouest ne
laissent rien pousser. F…, le jardinier malgache, retourne les planches et
plante.
-
Pendant ce temps, E… et ses sapeurs terminent les murs du bassin.
Je pense que demain soir ce sera complètement terminé. Il ne restera plus qu’à
faire les enduits et le
-
-
-
le bassin pourra recevoir de l’eau. Après ça on s’attellera aux
aires de ramassage;, mais j’ai l’intention de lancer un appel au peuple pour ce
travail.
-
Pendant ce temps F… et ses Malgaches continuent à empiler les bidons vides et
s’attaquent aux bidons pleins. Voilà pour la vie du camp. Nous avons eu ce soir
un message du capitaine B…. Il est toujours à l’île St Paul et il fait une
bonne pêche et pour qu’il le dise, il doit prendre ses 15 tonnes de langoustes
par jour. Il viendra, un de ces jours pour “faire de la viande” à Amsterdam. A
ce sujet, j’ai reçu un message de R… me demandant de tenir une comptabilité de
ce qui est livré au Sapmer et je suis sûr que c’est à moi que va revenir le
beau rôle d’apprendre, à B… que la compagnie Sapmer va vraisemblablement payer
la viande. Je vais bien trouver le moyen de m’en tirer sans me mettre en cause
car B…. est un type épatant et je ne tiens pas du tout à être en mauvais termes
avec lui.
Mardi
24 Janvier.
E… a
terminé le mur du bassin ce soir. Les sapeurs attaqueront le crépissage Jeudi
et, sans doute, la semaine prochaine, passera-t-on aux aires de ramassage. Il
semble que ce chantier doit être terminé vers la mi-février.
- U…
a péché aujourd’hui une soixantaine de langoustes. La mer est d’huile et se
prête admirablement à la pêche.
-
Moi, comme je me l’étais fixé hier, j’ai travaillé toute la journée au jardin.
J’ai abattu un travail considérable. J’ai quitté à 16 h 30 absolument H S. J’ai
mis en route, en la chauffant au bois de caisses, la chaudière et ce soir, à 19
h j’étais douché et redouché? J’en avais bien besoin car la poussière traverse
tous les vêtements tant il fait sec. Rasé, pomponné, en pleine forme, j’ai pris
le fusil sauvé des eaux et en attendant le repas j’ai tué cinq rats.
Il
est 21 h 30 et je ne tarderai pas à aller au ‘plume’.
Mercredi
25 Janvier.
Il y
a trois mois le Galliéni quittait Tamatave. Dans neuf mois, nous guetterons ce
départ du bateau et dans trois mois, nous guetterons le départ du courrier. Le
temps est ainsi morcelé 3, 9...
- Ce
matin reprenant ma casquette de chef de mission j’ai fait du papier. J’ai
préparé le classement de divers documents qui traînaient ; j’ai passé quelques
messages de commandes.
- Cet
après-midi j’ai fait un essai qui me comble d’aise. J’avais depuis longtemps
l’idée d’utiliser les joncs qui foisonnent pour faire des rideaux protecteurs
pour les jardins. J’ai fait, cet après-midi, un panneau de 1 m 20 sur 2 m qui
se tient vraiment très bien et semble très efficace. Reste à déterminer la
résistance du matériau.
-
J’ai trié les semences ce matin et j’ai donné 5 variétés de salades à semer au
jardinier. Je suis en ce moment continuellement sur leur dos honteux de m’être
fait piéger comme un novice dans l’art d’utiliser les autochtones (ici ce sont
des Malgaches).
- Le
Sapmer est revenu dans les eaux de la Nouvelle Amsterdam. « Nos
eaux » comme dit le capitaine B… dans son message de ce soir nous
demandant de lui tuer 8 bêtes pour demain. Le bateau est venu faire un petit
tour devant la mission et nous a salué de trois coups de sirène. Nous avons
répondu par un salut aux couleurs.
-
J’ai préparé ce soir des pochettes pour mettre mes négatifs à l’abri.
Jeudi
26 Janvier 1956.
Levé
ce matin à 4 h 30, je passe sur l’arrière de l’hôpital, pas une bête à
l’horizon. Un temps gris, un vent soufflant en tempête; c’était plutôt triste.
Je vais jusqu’à la météo, le baromètre dégringole, la pluie commence. Avec les jumelles, je cherche loin,
très loin (pour Amsterdam), quelques rares bêtes. A 5 h E…, P… et U… font
surface à leur tour et nous partons chacun dans une direction. Je tire le
premier taureau qui s’écroule. Je l’abandonne un instant pour chercher un
deuxième taureau et quand je reviens mon taureau est déjà à 100 mètres, je le
tire en hâte, le manque et commence à courir après mon taureau blessé et dont
les naseaux saignent. Je m’éreinte à le poursuivre et suis finalement obligé de
l’abandonner complètement écœuré.
Je
reviens et, après une longue approche, je tue deux taureaux. J’allais revenir
quand un troisième taureau, un taureau clair, magnifique, énorme se présente.
Je le tire, il tombe, essaye de se relever, je le double. Le taureau s’écroule
la langue pendante. Je m’approche prudemment pour le saigner. Le taureau se
lève, il a deux balles au défaut de l’épaule. Et le taureau tout doucement s’en
va en boitillant mais bien décidé à ne pas crever... Comme il se trouve perdu
dans un champ de scories, je me contente de le suivre en le dirigeant vers un
point accessible pour la Jeep et, après une bonne trotte, je suis obligé
d’achever le taureau d’une balle dans la tête car il ne voulait plus avancer et
manifestait le désir de faire face. Mais il était sorti du champ de scories.
je
suis rentré fatigué pour déjeuner. J’ai l’impression que cette fatigue idiote a
retenti un peu sur le moral de la journée.
Pendant
ce temps, les gas du Sapmer avaient débarqué et étaient déjà partis dépecer les
bêtes. Le temps est toujours aussi mauvais. Vers 8 h, un marin vient me voir et
me dit: “j’ai deux dents qui me font très mal, elles m’ont fait souffrir
pendant 8 jours à St Paul. Je me trouvais devant une obligation, moi qui n’ai
jamais arraché de dent, opérer. J’ai d’abord exploré les deux dents, une
prémolaire et une molaire côte à côte. Il n’y avait pas de doute, il fallait y
aller. Une bonne anesthésie, je dégage consciencieusement la première dent et
l’arrache en un rien de temps. J’étais d’autant plus aise que je sentais le
malade crispé et craintif. Il ne voulait pas croire que la première dent était
déjà venue. Je n’ai guère eu plus de difficultés pour la molaire. Le marin du
Sapmer était enchanté... et moi donc!
Peu
après j’ai repris les soins dentaires d’un malgache de l’établissement et
j’étais en train de nettoyer les instruments quand est arrivé un marin qui
s’était donné un solide coup de couteau dans un pied en dépeçant un taureau.
Puis
il y a eu le petit défilé de presque la totalité des marins débarqués, 8 en
tout, chacun venant demander une petite consultation à la sauvette. Je
finissais par la trouver saumâtre.
Cette
fois le temps était franchement mauvais; Sur 8 bêtes 4 seulement avaient été
embarquées. Un marin submergé par une lame a failli partir à la mer... Je
n’étais pas là, pour une fois ce n’était pas à moi de jouer.
L’embarquement
de la viande était interrompu. J’étais ennuyé car je ne tenais pas à voir 4
bêtes s’abîmer. Cet après-midi, avec le lieutenant du Saper j’ai été à Ribault
voir s’il était possible d’embarquer au moins la viande. Puis je suis revenu à
l’hôpital faire des cotons et des compresses.
Vers
18 h la mer ayant légèrement molli la viande a été embarquée. J’ai assisté à
l’opération comme photographe. Les hommes coucheront à terre ce soir. Nous
avons sorti les lits de camp. Le lieutenant prenant la chambre de malade.
18 h
30, nous écoutons à mon poste du Mozart; E…écoute avec moi. Nous liquidons une
tablette de chocolat à la noisette.
Repas:
j’ai pris le lieutenant à ma droite. G… me tend une petite boîte de confiture
pour me demander mon avis sur la consommabilité. Je sens la boîte. D…, de la
deuxième place à ma droite, passant devant le lieutenant m’envoie d’une petite
tape la boîte au visage. Fort heureusement je m’en tire sans mal, la confiture
ayant tenu mais trouve le geste un peu cavalier, surtout en présence d’un
invité, je prends la boîte et l’applique vivement sur D…. qui lui ramasse la
confiture sur sa chemise... Il faut dire que je commence à être fatigué des
plaisanteries incessantes que D… fait au sujet de tout et même à mon sujet.
M’étant mis au diapason nous en sommes à la mise en boîte perpétuelle. Fatigué
j’avais justement, ce midi, demandé à D… de cesser ce jeu. Il m’a répondu que
c’était amusant et le seul amusement. Je vais donc changer de tactique et
monter d’un cran. Ma petite Mie aura beau jeu de dire qu’en manifestant trop
d’activités manuelles on finit par passer pour plus bête que l’on est. Ce à
quoi je répondrai que l’on peut à tout instant manifester son autorité avec
d’autant plus de poids, justement, que l’on est apte à faire autre chose et une
foule d’autres choses tout en faisant son métier.
D’ailleurs
le problème n’est peut-être pas aussi, grave qu’il peut paraître tel que je
l’expose ce soir. D… a quitté la table tôt sans un mot. Réalise-t-il. Nous
verrons demain.
27
janvier.
La
nuit porte conseil dit-on. Espérons que le conseil aura été bon. En effet, ce
matin me trouvant seul au réfectoire avec D…, j’ai cassé le morceau. J’avais
besoin de D… pour faire le pain cet après-midi. Ayant demandé qui était
disponible à la météo cet après-midi et D… m’ayant répondu « je vais
voir » sur un ton toujours très dégagé. J’ai répondu que de toute façon le
disponible remplacerait D… qui m’était nécessaire. D… ayant ajouté « si
c’est un ordre »... J’ai embrayé immédiatement et lui ai dit que je
n’avais pas du tout apprécié la plaisanterie d’hier au soir et que j’étais
fatigué des piques incessantes qu’il m’envoyait. Évidemment D…. n’a pas
desserré les dents de la journée. Si on ajoute à ma sortie de ce matin le fait
qu’il s’est levé, pour la première fois depuis le début du séjour, très tôt ce
matin on comprend son état d’esprit...
Même
si cela n’arrange pas l’atmosphère de l’établissement, je pense que ce petit
coup, venant après quelques remarques aura l’avantage de secouer un peu D… dans
son travail car il ne donne pas l’impression de s’arracher.
-Les
marins du Sapmer sont toujours là. Le temps est encore plus mauvais qu’hier et
ce matin étant parti pour couper des joncs j’ai pris une bonne saucée. Pas de
chance j’avais justement du renfort ce matin avec U… et deux marins.
- E…
a dû lui aussi cesser le travail à 9 h. les sapeurs se sont mis au travail au
réfectoire. Ils ont gratté les meubles; ils les ont revernis. Ils ont peint les
encadrements de fenêtre.
- L…
continue à aménager les jardins. J’ai été faire ce soir un tour au jardin du
‘Capitaine’. Les chardons envahissent tout. De plus en plus je me rends compte
que depuis deux mois les jardins ont été terriblement délaissés.
Voilà
c’est tout pour aujourd’hui et c’est déjà pas mal.
Ce
soir, entre 9 et 10 h j’ai mis mon linge à tremper; 7 chemises et 2 treillis.
J’avais fait chauffer les douches pour les marins du Sapmer et avais ainsi de
l’eau chaude.
28
Janvier.
Je me
suis réveillé très tôt ce matin mais je suis resté au lit n’ayant rien d’autre
de mieux à faire. A 6 h 30 je me suis levé et voyant le Sapmer arriver devant
l’établissement, je me suis habillé à la hâte et je suis descendu à la cale.
J’ai ainsi embarqué les marins en tenant la ‘bosse’. L’embarquement s’est bien
passé.
Je
suis remonté déjeuner, ai taillé les agaves du petit jardin du mât de pavillon,
ai soigné une dent à un sapeur, B… ingénieur des TP, qui m’a avoué qu’il
reviendrait plus volontiers n’ayant pas eu mal. Après avoir nettoyé les
instruments j’ai attaqué le lavage du linge couleur que j’avais mis à tremper
hier soir profitant de l’eau chaude des douches. J’ai terminé vers 11 h après
avoir mis à tremper mes chaussettes de laine.
J’ai
été faire une petite visite au chantier d’E… et suis redescendu répondre à un
message officiel.
- Après
le repas du soir, j’ai assisté au dépeçage d’un taureau pour notre provision de
viande. C’est la première fois qu’un taureau est tué et dépecé dans les
conditions que je préconise depuis mon arrivée. C’est-à-dire près du camp pour
économiser la Jeep, dépecé pendu à un portique pour éviter que la viande soit
souillée, et le mot est modeste, par la terre.
- Je
pensais, également, à une amélioration à apporter au camp. Pour lutter
efficacement contre les rats, et il y en a des multitudes dans le camp, il faut
les affamer. Donc après l’opération, viande, mouches, il y aura l’opération
rats.
Il
est 10 h 30; J’ai reçu à 18 h le message venant de ma Mie. J’écrirai demain.
Dimanche
29 Janvier.
J’ai
mis à profit ce Dimanche de repos pour repasser mes 7 chemises et les
pantalons. Cela m’a pris une bonne partie de la matinée.
Immédiatement
après le repas nous avons mis le canot à l’eau. C’est la première fois que le
canot va à l’eau à Amsterdam et nous avons été jusqu’à Ribault pour pêcher.
C’est un plaisir de voir ce canot filer avec le Johnson de 10 chevaux à
l’arrière. Nous sommes restés peu de temps car le vent fraîchissait rapidement.
Nous sommes donc revenus prudemment à la cale où, grâce au derrick, nous avons
hissé le canot à terre sans encombre malgré son poids: 350 kgs. Je me félicite
encore de mon idée de faire récupérer le derrick (je n’ai pas mal aux chevilles
mais au genou).
En
descendant chercher du câble pour U… dans une coulée, j’ai découvert 2
squelettes d’otaries. J’ai appelé Paulian et avons en compagnie de B…exploré la
coulée qui est une des plus belle que j’ai vu jusqu’ici : très homogènes,
voûtes de lave vitrifiée, sol de lave cordée.
Rentré
vers 17 h j’ai lavé mes chaussettes de laine, 5 ou 6 paires. Puis j’ai été
soigner la nouvelle génisse ‘Julie’ qui tire beaucoup moins sur sa corde et qui
a sifflé, ce soir, ses deux litres de lait, du lait en poudre dans un seau sans
lever le museau. Comme elle commence à brouter, je pense qu’elle est sauvée.
L’établissement est donc riche de deux génisses.
L’atmosphère
du camp est bonne. D… fait toujours non pas la tête mais le renfermé. Cela ne
prouve pas son intelligence, mais est-ce que l’on s’attendait vraiment à ce
qu’il fasse preuve d’intelligence? Un avantage certain c’est qu’il travaille
beaucoup plus depuis cette histoire et notamment s’occupe personnellement des
cartes météo.
P…
m’a parlé de F… qui lui a fait des confidences. Malgré les deux ou trois
accrochages du début, F… s’estime très heureux. Il redoutait la venue de deux
officiers (NDR une première sur l’île) et s’en trouve maintenant très bien.
L’autre jour il avait hâte de nous voir revenir de St Paul et débarquer du
Sapmer. Je dois dire que depuis quelque temps j’obtiens de lui tout ce que je
veux et F… de dire « le capitaine il sait ce qu’il veut »
D…,
météo, s’est proposé pour la corvée de poubelles. D… est toujours très
serviable donc dans l’ensemble tout marche bien. Je ne parle pas des trois
radios, ce sont trois militaires, avec eux il n’y a pas d’histoires.
En
conclusion et puisque au début de la semaine je prétendais qu’il est possible
de monter d’un cran, je pense que tout est bien ainsi et je compte persévérer
dans la voie d’un demi-tour de vis.
Lundi
30 Janvier.
Les
activités ont été multiples aujourd’hui. U… a repeint le canot. F… travaille à
une remorque de récupération pour transporter le canot. D…, après avoir été se
promener à la Recherche, range des fûts vides, il y en a toujours. E… et ses
sapeurs travaillent au bassin.
J’ai
commencé ma journée très tôt. Je constate que cela ne me réussit pas car
j’arrive ce soir à 6 h vanné et légèrement pessimiste. Il faut dire que j’ai
essuyé un échec. J’ai commencé dès 6 h 30 à couper des joncs, me suis arrêté
vers 8 h 30 et j’ai recommencé cet après-midi avec U…. Nous avons essayé de faire
un rideau de joncs avec de la ficelle, ça n’a pas marché et j’ai perdu mon
temps.
Je
continue à me battre pour les jardins et les résultats sont lents à venir. Il y
a cependant deux belles planches de pommes de terre et les semis de laitues (5
variétés) ont bien levé.
Enfin
D…, toujours lui, toujours la météo, signe aujourd’hui sa réaction, il devient
méchant. Je n’ai jusqu’ici que deux petites indications: D… m’a dit qu’il lui
était de plus en plus difficile de nous donner un coup de main car on le charge
à la météo d’une foule de corvées. D’autre part ayant dit l’autre jour que je
ne savais pas qui avait la machine à écrire en compte, je ne me suis pas encore
occupé des inventaires, D… m’a fait remarquer que c’était lui. Il m’a gentiment
montré l’inventaire de passation de service et a tourné les pages pour me
montrer ma signature. J’ai fait semblant de ne pas remarquer son geste.
Passons, on verra bien. De toute façon j’attache une importance peut-être un
peu trop grande à ces faits, mais il y a la part de la déception. Je dois me
rendre à l’évidence l’Équipe telle que je la concevais foire, elle foire à
cause des météos et de moi peut-être. Il y a en tous cas une chose que je
comprends mieux maintenant c’est B…me disant: « surtout exigez de partir
comme chef de mission, si vous n’êtes pas chef de mission refusez de
partir ». Je comprends également les allusions de A…, Ingénieur météo
d’une classe supérieure au reste de l’équipe et qui était mon prédécesseur
comme chef de mission. A… et V… étaient des météos qui en voulaient... Ils sont
partis, contents de partir et volontaires pour le premier tour de relève
intermédiaire... Ce qu’il y a de curieux, c’est que l’on m’avait prévenu des
difficultés que je rencontrerai avec l’ancienne équipe or je coiffe à peu près
l’ancienne équipe et vlan! les nouveaux arrivants mettent tout par terre.
P…
met ça sur le dos d’un complexe que font les météos, ce sont des techniciens.
Or leur niveau culturel est extrêmement bas, seul D… qui est chef de station a
ses deux bacs mais c’est tout et pourtant ils se prennent au sérieux, ils sont,
ce sont eux qui le disent, des scientifiques.
J’ai
beau retourner le problème, il m’échappe pour l’instant. Tout ce que je sais
c’est que ce n’est pas marrant.
Mardi
31 Janvier.
Journée
de mauvais temps; il a plu toute la journée avec un vent violent et un ciel
bas, bouché donnant aux baraques Fillod une bien triste mine.
C’était
la journée rêvée pour une explication des gravures. Elle a eu lieu sans que je
le veuille et elle m’a bien ennuyé. En effet j’avais convoqué les chefs de
service pour 14 h 30 à mon bureau. Je cherchais avant tout un contact humain.
Dés les premières paroles, la guerre a éclaté. Je ne sais plus qui l’a
déclenchée mais très rapidement D…, prenant la contre-offensive s’est mis tout
le monde à dos. J’avais beau faire des efforts pour arrêter D…, rien à faire.
E…, F…et D… s’envoyaient des boniments à la figure se battant à coup d’heures
de travail, de difficultés etc. J’ai écouté la séance, toute l’après midi les
météos ont ruminé et ce soir à table c’était sinistre.
Je
suis rentré dans ma chambre à 21 h absolument désemparé. J’ai saisi ma Bible et
après avoir fait une prière fervente, j’ai lu. J’ai lu des passages
intéressants et surtout en lisant j’ai pensé à Tournier, aux contacts humains
de Tournier; il fallait à tout prix rétablir le contact. Quand D… est rentré
dans sa chambre, voisine de la mienne puisque je l’hébergeais à l’hôpital, je
l’ai invité à venir bavarder un instant avec moi. Nous nous sommes expliqués, en
hommes, sans chauvinisme. J’ai laissé de côté mes critiques, mes jugements.
J’ai cherché à y voir clair et il semble que grâce à Dieu les choses sont en
train de s’arranger.
J’ai
relu, avant de continuer, ce que j’avais écrit le 19 Janvier. Je crois que j’avais
raison ce soir-là et que j’avais fort bien vu les choses. Pourquoi suis-je
revenu en arrière. Il a fallu, je pense, l’histoire du pot de confiture à la
figure. Les réactions se sont suivies en chaîne; D… de son côté a fait la tête
et nous allions en arriver à l’irrémédiable, c’est-à-dire d’un côté le régime
coup de triques et de l’autre la mauvaise volonté, l’obstruction sous toutes
ses formes.
Autre
événement de la journée: les sapeurs ont rangé les bouquins et les disques au
réfectoire. Ils ont taillé des planches pour les jardins.
J’ai
commencé les inventaires à l’hôpital, cela m’a permis de refaire les boîtes de chirurgie osseuse.
J’ai
fait avec du miel qui avait reçu de la poussière un nougat sensationnel qui a
été très apprécié mais qui me vaudra quelques soins dentaires supplémentaires.
1er
Février.
Tout
marche bien ce matin. D…, très ouvert, se met en frais pour soutenir la
conversation sans tomber, toutefois, dans les plaisanteries habituelles. J’ai
eu à 14h tous les météos dans mon bureau. Il y a eu un malentendu. Tous m’ont
juré leur bonne volonté. Je reviens à ce que je disais l’erreur est au départ.
J’exposerai dans un de mes rapports mon point de vue sur la transformation de
la mission en établissement, point de vue qui se confirme chaque jour
d’avantage. J’ai l’impression que R… à qui je l’ai exposé a très bien compris
puisque, en théorie tout au moins, il appuie mes demandes de matériel et de
personnel.
J’ai
eu, aujourd’hui, une phonie avec Ker extrêmement instructive.
1- R…
me tient fidèlement au courant de tout ce qui touche St Paul et Amsterdam. Il
m’a envoyé ce matin un message: « Ministre FOM autorise Clément Gérard
SPOIA (Société pour la pêche dans l’océan Indien, capitaux
franco-sud-africains) à se rendre à St Paul et Amsterdam avec mission
entièrement française pour étudier les possibilités pêche et installation
conserveries ». Ce soir, au cours de la phonie, il m’a confirmé le fait et
m’a dit ne pas en savoir davantage.
2- Il
suit attentivement mes commandes, du moins le dit-il, il a demandé que le
matériel en question me soit livré en Avril.
3-
Enfin l’entretien a été très cordial et R… a semblé s’intéresser vivement à ce
que nous faisions.
Bien
sûr la balance se rétablit un peu au détriment du Génie, mais pour lui il y a
ma sympathie. En tant que chef d’établissement, je suis obligé de ne pas tabler
sur mes sentiments pour faire, par exemple, la répartition des corvées.
Tout
va bien petite caille chérie. Je t’assure que je n’ai pas perdu quoique ce soit
dans cette aventure.
2 Février.
Ce
matin j’ai mis la dernière main au rétablissement de la situation. J’ai établi
un programme de corvées qui a l’assentiment de tous les chefs de services et si
ce programme est réalisé, je pourrai m’estimer satisfait.
E…,
un peu démoralisé (chacun son tour) par l’attitude de la météo, reprend du poil
de la bête. Il faut dire que je m’y suis employé à fond, étant libre, au moins
sur ce plan-là, de faire ce que bon me semble. Ainsi cet après-midi nous avons
travaillé tous les deux, seuls, le capitaine et le lieutenant, à l’aire de
ramassage pendant que les sapeurs approvisionnaient en mâchefer. Nous avons
fait du bon boulot.
F…,
l’adjudant-chef radio a monté un petit ampli du tonnerre pour le tourne disque
du réfectoire. Nous allons avoir à nouveau de la musique à partir de demain.
Donc
ça va nettement mieux. Ce qu’il y a de formidable c’est; qu’après cet à-coup,
tout le monde se trouve ragaillardi prêt à faire, chacun, son petit bout de
corvée.
Ce
matin j’ai fait du papier. J’ai envoyé à R… un message de 338 mots/ compte
rendu d’activité du mois de Janvier. J’ai également envoyé un message de P…
acceptant la proposition que j’ai été chargé de lui faire hier (chargé par R…)
à savoir un contrat de 6 mois pour aller détruire les lapins à Ker où tout au
moins diriger la lutte.
Vendredi
3 Février.
Levé
tôt ce matin à 6 h après avoir pris rapidement mon petit déjeuner, je me suis
mis au travail au jardin où L…, le sapeur, n’arrivait pas, jusque-là à mettre
sur pied une clôture.
À 8 h
E… est venu me donner un coup de main et vers 8 h 30 nous avons laissé L… se
débrouiller tout seul et nous sommes montés travailler à l’aire de ramassage.
J’y ai passé, en compagnie du lieutenant ma journée. J’ai travaillé comme un
noir (si l’on peut dire) et ce soir j’en ai vraiment ma claque. Je donne un
grand coup de main à E… car j’ai hâte de voir ce bassin terminé. Ensuite les
travaux que le génie entreprendra auront beaucoup moins d’importance et je
pourrai m’occuper des inventaires et de la monographie.
L’électrophone
‘maison’ a été mis en service ce midi et la musique en mangeant n’est pas
désagréable.
L’esprit
du poste est bon, pourvu que ça dure.
Samedi
4 Février.
Hier
soir j’étais anormalement fatigué. J’ai pris 3 Prémalines puis plus tard une
Boldolaxine.
Ce
matin j’ai traîné dans mon lit jusqu’à 7 H et me suis levé mal en point, pas du
tout en forme. Je n’ai trouvé aucun goût à mon café au lait. Fort heureusement
ça c’est arrangé dans la journée. Vu l’état je me suis mis au ‘repos à la
chambre’. En fait j’ai fait un peu de papier. J’ai fait un joli tableau pour la
répartition des corvées et j’ai pondu la note de service N°1. J’ai fait une
stérilisation et à 14 H, après avoir soigné Carmen, (ce n’est plus Julie car il
a été décidé de poursuivre les noms d’opéras et après Louise la génisse il y a
Carmen la truie) J’ai entrepris de traiter une dent du sapeur B.... Puis j’ai
mis mon linge blanc en savon profitant de l’eau chaude du Samedi. J’ai pris ma
douche, me suis rasé, beau comme un sou neuf. J’ai été donner un coup de main à
U… à dépouiller un taurillon d’un an. Nous avons mangé, ce soir, un excellent
foie de veau avec persillade.
A 18
H 30 nous avons bu, E…, B… et moi un excellent jus de pamplemousse avec eau
Perrier. Je fais procéder à une distribution mensuelle de jus de fruit,
Perrier, chocolat.
A 19
H, j’ai été faire un tour à la chasse aux rats. Il y a une nette diminution
dans la quantité de rats autour du camp. J’ai commandé, pour poursuivre la
lutte, du blé virus de l’Institut Pasteur.
P…
avait l’intention de sortir ce soir avec U… pour faire un essai de pêche au
lamparo. J’ai trouvé que la nuit était vraiment trop noire et je n’ai pas donné
mon accord.
Puisque
je parle pêche, j’ai fait récupérer par F… un vieux châssis de remorque de Jeep
qui était en train de pourrir. Il a été modifié, complètement repeint et nous
possédons, maintenant, une remorque pour amener le canot sous le derrick et le
mettre à l’eau. Trois hommes peuvent mettre très facilement à l’eau le canot
qui avec son moteur et son armement pèse près de 400 Kgs. Je jubile un peu car
les anciens d’Amsterdam ou de Ker m’avaient dit à Paris, quand j’avais fait ce
choix: “vous ne le mettrez jamais à l’eau”. Or ça fait la troisième fois que le
canot va à l’eau et cela n’a rien d’un exploit fantastique. il est bien
entendu, que quand la cale n’est pas praticable, il n’est pas possible de
mettre le canot à l’eau mais ces jours là il n’est même pas possible de
débarquer.
L… a
terminé sa clôture de protection contre le vent. Les bidons, planches, caisses
qui servaient de protection ont immédiatement disparu; encore 24 H de travail
et le jardin principal aura l’air d’un jardin.
J’ai
fait également ramasser, ce matin, une demi-douzaine de remorques de goémon, la
cale en était recouverte. Dans quelque temps, j’aurai un excellent engrais pour
les jardins.
Ainsi
l’établissement tourne, il tourne doucement car je n’ai pas de moyens et parce
que les météos, s’ils veulent bien faire des corvées, ne veulent plus
participer à un travail d’amélioration. Et c’est leur droit puisque aucun texte
ne les oblige.
Les
résultats sont bons et je ne rougirai pas, en Mai, quand je présenterai
l’établissement à R….
Dimanche
5 Février.
Vie
calme dans le poste aujourd’hui. Journée de repos pour beaucoup et pour moi
particulièrement. J’ai terminé ma lessive blanc ce matin et j’ai nettoyé à fond
le cabinet de toilette.
J’ai
écrit toute l’après-midi et vers 17 h 30 j’ai été me balader le long de la côte
avec E… et P…. Une courte conversation ce soir à table a expliqué cette
affinité. Un seul élément du même niveau intellectuel ou presque se trouve
éliminé, c’est D…. C’est que tous trois sont des idéalistes ayant le souci du
travail bien fait, ayant confiance dans les valeurs réelles de la vie, (P… de
plus est protestant), en un mot: ‘croyant’. Cette petite conversation a presque
été, pour moi, une révélation. Comme dit P…: « voyez vous ce qu’il y a de
malheureux c’est qu’en ce moment, en France, il y a des types comme vous, E…,
moi et puis il y a les autres. » Et ‘ces autres’ dédaigneux englobe
essentiellement D…. Je suis beaucoup plus nuancé dans mes jugements et si je
reconnais à P… une certaine
valeur, il est loin d’avoir la valeur d’E… et il n’est pas le type à pouvoir
juger, impunément, D….
Lundi
6 Février.
Je
suis un peu démoralisé ce soir. J’avais, peu après mon arrivée, préparé deux
boîtes de chirurgie et je les avais stérilisées à l’autoclave, autoclave que
j’entretenais, il avait été monté peu de temps avant mon arrivée. Aujourd’hui,
j’ouvre les boîtes pour faire l’inventaire. Tous les instruments étaient
recouverts de rouille. Je suis encore sous le coup de cette découverte. Les
outils minables que eux j’ai laissés à la traîne n’ont pas bougé. Je suppose
que l’autoclave ne marche pas et que le vide ne se fait pas après le passage de
la vapeur. Résultat des instruments sans doute mouillés par l’eau qui ici est
très corrosive et voilà. Depuis ce matin, je travaille à récupérer un à un les
instruments. Je les passe à la brosse du tour de dentisterie. J’ai fait une
boîte depuis ce matin 9 h, c’est désespérant.
Le
temps était très moyen aujourd’hui, la cale était cependant praticable ce matin
et U… et P… ont été à la pêche en doris. Ils ont ramené une vingtaine de
poissons ressemblant de loin à des rougets mais peu de langoustes, 5 ou 6.
E…
voit arriver, tout doucement, la fin de son bassin. Il aurait besoin de 24
heures de beau temps sûr pour pouvoir finir les fond, mais les jours de beau
temps sont rares en ce moment.
Les
météos ont fait la corvée des W.C mais c’est D… et D… qui l’ont faite. J’aurais
voulu y voir un autre que D... enfin on verra.
Mardi
7 Février.
Fatigué
mais heureux, le camp a tourné, aujourd’hui, vraiment comme je le voulais. F… a
fait la corvée de quartier, il a déblayé tout un tas de caisses qui
encombraient l’arrière de la cuisine. D…, a fait le pain et en même temps a
fait des madeleines délicieuses qui ont fait la joie de tous les gourmands. F…,
l’adjudant mécanicien a fait la corvée de poubelles. Le génie, auquel j’ai
donné un coup de main, a fait la corvée de viande. Les Malgaches pris d’une
saine émulation se mettent à être propres et j’ai trouvé, ce soir, le lavabo
inox de l’arrière-cuisine absolument impeccable.
Le
taureau, tué au voisinage du camp a été emmené en remorque sous le portique et
dépecé dans les règles de l’art par petit-Louis et moi. Je me suis amusé à
faire l’admiration des sapeurs par ma façon de désarticuler tête et pattes,
facile pour un toubib! ce soir nous avons une bête splendide, digne des
boucheries de France, pendue au portique.
Voilà,
je suis content, je crois qu’il n’y aura plus d’accrocs maintenant et si
l’autre jour j’étais prêt à convenir que l’on s’abaisse quelques fois à mettre
la main à la pâte, je considère ce soir que, moyennant un certain équilibre, il
faut s’intéresser à tout. Cela me rappelle un mot de B…, l’ingénieur qui fait
son service militaire à la Nouvelle Amsterdam comme sapeur de 2e classe à qui
je donnais quelques conseils pour ressemeler ses chaussures « décidément,
mon capitaine, vous savez tout faire ». si je cite ce n’est pas pour me
gonfler d’orgueil, c’est pour essayer de justifier ma tendance à toucher à
tout. Cela a certainement des inconvénients. Je crois que dans le cas présent
ça a des avantages? Cela permet de mieux diriger le travail de chacun tout en
ménageant les susceptibilités. Il y a un type que j’ai décidément retourné,
c’est F…. Je n’ai qu’à exprimer un vague désir et pour lui cela devient un
ordre exécuté avec célérité et précision.
Quelques
événements: - Le temps a été extrêmement calme. U… a mis le doris à l’eau pour
la nième fois. Il a ramené du poisson et 70 langoustes. Demain midi, au menu,
pâté de poisson et langoustes mayonnaise.
- E…
et ses sapeurs en ont mis un sérieux coup. Ils ont fait les trois quarts des
enduits extérieurs. S’il fait beau temps le bassin sera terminé demain soir et
la fin des travaux ne sera plus qu’une question que de quelques jours.
-J’ai
terminé le nettoyage des instruments rouillés. Une belle corvée! j’ai soigné
une dent à un sapeur, un drôle de boulot.
8
Février.
Levé
tôt ce matin, 6 h 30. J’avais l’intention d’aller au cratère Dumas chercher des
scories pour mettre devant l’hôpital, mais j’avais oublié qu’il me restait à
vérifier la deuxième cuisinière à mazout. J’ai donc fait le fumiste ce matin
puis sans l’avoir décidé je me suis retrouvé au jardin en train de monter un
petit mur en pierres sèches autour d’un laurier que j’ai découvert un jour par
hasard.
Vers 10 h, je suis revenu à l’hôpital où
j’ai repris l’inventaire d’une boîte de chirurgie tout en la rangeant.
Cet
après-midi, là encore, je me suis trouvé bousculé par les événements. À 14 h E…
avait une bétonnière de mortier en rabiot. Plutôt que de la gâcher j’ai été
faire le fond de la cressonnière. Après ça j’ai, pris une douche, j’ai été
faire le tour des jardins et voir les génisses qui sont dans une coulée à 500
mètres du camp.
E… a
profité du temps magnifique et sûr pour pratiquement terminer son bassin. Les
sapeurs ont travaillé de 7 à 14 h et c’est à l’arrêt du chantier qu’il restait
du mortier.
Les
orques ont passé et repassé à un demi ou un mille au large de l’établissement.
Ce sont de drôles de bestioles et ce jour-là, on n’a pas du tout envie de se
baigner.
G…,
le plus récalcitrant des météos est venu me donner un petit coup de main au
jardin ce matin; le geste valait d’être noté.
9
Février:
Journée
de beau temps encore, mer d’huile. Les orques sont restés des heures
aujourd’hui devant l’établissement.
U…
est sorti cet après-midi en doris, il a ramené deux gros poissons qui feront un
plat excellent pour demain midi.
Le
Lieutenant E… a travaillé à l’aire de ramassage et m’a prêté un sapeur pour
terminer la cressonnière.
Les
météos ont coulé un socle pour le pluviographe. Ils se sont mis à quatre pour
faire un socle de 30 cm de haut et de 60 cm de diamètre. C’était vraiment
amusant de les voir faire. J’ai cru, un moment qu’ils ne demandaient pas de
conseil à E… par amour propre ou par mauvais esprit. Pas du tout, ces messieurs
considèrent de bonne foi qu’ils n’ont pas besoin de conseils. Ils avaient
potassé depuis huit jours le bouquin “comment faire du béton”. Je l’avais vu
sur le bureau de D… il y a une semaine. Je suis mauvaise langue, mais j’ai beau
faire des efforts, je n’arrive pas à les aimer. Il faut dire que certaines
petites histoires viennent sans cesse apporter de l’eau à mon moulin. J’ai
appris, aujourd’hui, que G… avait tué 6 femelles allaitantes pour faire des
fourrures. Triple crime puisque les otaries sont entièrement protégées, puisque
c’étaient des femelles et parce que les petits étaient condamnés. Le chef de
mission précédent, H… , un météo aurait donné la permission, à chacun, de tuer
2 otaries. Ce qui me
dégoûte
c’est que, pour G…, le type qui ne tue pas d’otarie est un idiot qui défend les
intérêts des Terres Australes, ces vaches qui font payer la nourriture et il ne
comprend pas ça.
Autre
fait, les météos ne sont pas du tout d’accord pour m’aider à faire la
monographie car, disent-ils, cela servira à R… à faire mousser les Terres
Australes et à se faire mousser. Je mettrai les choses au point demain car avec
ou sans la participation de la météo, je ferai la monographie, mais dans un cas
je mettrai en valeur le service météo actuel, dans l’autre cas je l’esquinterai
gentiment avec le sourire.
À
part ça tout va bien à l’établissement; l’esprit y est aussi bon que possible
avec les individus qui composent l’équipe. Je pense que je suis arrivé à tirer
le maximum de ce qui pouvait être tiré.
Un
fait intéressant et capital: Madame E… a télégraphié à son mari que l’on s’occupait activement
de son remplacement. Je me réjouis à l’idée d’avoir à nouveau ici un contingent
du Génie.
Ce
matin j’ai pratiquement terminé la révision du matériel chirurgical et la prise
d’inventaire au brouillon. Cet après-midi il faisait si beau que j’ai été,
torse nu, travailler au chantier après avoir été photographier les éléphants de
mer.
J’ai
découvert dans un trou un petit figuier de 20 cms. Voilà pour la journée. E… me
donne un coup de main à remettre le camp en état. Il a fait descendre des pavés
pour boucher un trou infect derrière la cuisine et du petit gravier pour
étendre à l’entrée de l’hôpital.
Vendredi
10 Février.
Levé
à 6 h mais réveillé à 5, j’ai fait dès 6 h une stérilisation tout en terminant
en fait la prise d’inventaire du matériel de salle d’opération.7 h
petit-déjeuner puis j’ai travaillé à mettre en place les pavés qu’E… avait fait
descendre. Après les pavés, j’ai nettoyé le devant de l’hôpital et j’ai répandu
le gravier apporté par les sapeurs. J’ai un devant d’hôpital impeccable. J’ai
ensuite fait le dentiste. Enfin j’ai terminé la matinée en faisant ma toilette
et en lavant 2 paires de chaussettes nylon.
Cet
après-midi j’ai fait le Chef d’établissement. C’est-à-dire que j’ai fait le
'tour’. j’ai commencé par les génisses: Louise est superbe, elle prend de jour
en jour de l’embonpoint; Carmen est fortement éprouvée par le sevrage brutal
qu’elle a subi. Je pense que dans un mois cela ne se connaîtra plus.
Des
vaches, je suis passé au chantier d’E… où je suis arrivé pile pour donner un
coup de main. Les sapeurs fignolent le bassin, les bordures et demain l’ouvrage
sera entièrement terminé. Je suis descendu ensuite près de la cale compter ce
qui nous reste comme ciment, nous allons être juste... J’oubliais que, sur le
chantier, j’ai mesuré avec E… l’aire de ramassage qui en gros fait 550 m2 plus
les 75 m2 occupés par le bassin qui lui aussi recevra la pluie. Cela représente
625 m2 , je pense que ce sera suffisant pour approvisionner le camp en eau.
Je
reviens à la cale. J’ai profité du voisinage de la ‘marine’ et de la présence
d’U… pour jeter un coup d’œil dans son réduit. Les haussières sont déjà prêtes
pour le débarquement. J’ai vérifié les fusées lance-amarres et j’ai potassé
leur fonctionnement. Dans le même magasin, j’ai jeté un coup d’œil au stock de
cartouches.
Je
suis remonté au camp et j’ai été voir F… et ses deux Malgaches sur le futur
chantier qu’ils préparent. Nous allons faire un garage que F… avait déjà
entamé.
J’ai
été mettre en route le boy, T…, qui casse des cailloux pour boucher une mare
nauséabonde derrière la cuisine. J’ai pris mon thé vers 16 h puis avec E… j’ai
été piqueter la clôture d’un deuxième jardin. L… a en effet terminé
l’aménagement du jardin Météo et a attaqué un second jardin. À ce propos, je
crois que je n’ai pas parlé du jardin météo depuis le petit mur de pierres
sèches autour du laurier. L… a terminé une longue palissade en planches de
caisses, régulières qui, peintes en blanc sont du plus bel effet. J’ai récupéré
dans un coin où ils végétaient dans des caisses une vingtaine de thuyas et je
les ai fait planter le long de la palissade. C’est du plus bel effet.
Parallèlement F…. a éliminé l’herbe et les amoncellements de saletés qui
traînaient. Tout a été nettoyé, les vielles planches, les dizaines de vieux
bidons enlevés et ce soir, le jardin météo est vraiment agréable à regarder. Il
reste une vingtaine de bidons éparpillés, la réserve d’eau. J’attends la fin
d’une planche de salade pour les grouper dans un coin, demis enterrés, ce sera
quand même plus joli.
Voilà
donc un premier but atteint. L… a attaqué dés ce soir le second jardin. Il y a
à ce second jardin beaucoup moins de travail à faire. Mais d’autres jardins
attendent leur tour.
Après
ce tour de jardin, le piquetage, je suis rentré continuer mon travail de chef
d’établissement en récupérant un rouleau de photos pour la monographie pour le
porter à G… qui me les développera. J’ai profité de l’appareil photo vide pour
le nettoyer et l’huiler très discrètement afin de le préserver des embruns.
J’ai du plaisir à travailler avec mon Semflex, c’est vraiment un appareil
épatant.
Enfin
à 17 h 30 je mets mes journaux à jour: quelques lignes sur le journal officiel
et l’on pourrait presque dire quelques pages pour le journal destiné à ma Mie.
Samedi
11.
Aujourd’hui
il n’y a pas de doute, j’ai tiré ma cosse d’une façon remarquable et le bilan
de cette journée est absolument négatif. Je n’ai strictement rien fait. Si
quand même j’ai commencé la monographie. Ça n’a l’air de rien, je n’ai écrit
qu’une page mais cette page est capitale, elle est le démarrage et vraiment,
jusqu’ici, je ne savais pas par quel bout prendre le travail . Cette fois ça y
est et j’espère, avant la fin du mois avoir terminé l’ouvrage.
D’autre
part, cet après-midi, j’ai été à bord du Sapmer voir le capitaine B…. Il
fallait que je le vois tant au sujet de la comptabilité en viande, légumes
fournis et malades soignés que R… m’a demandé de contrôler que pour lui
annoncer d’homme à homme et pour sa gouverne personnelle l’arrivée d’une
société concurrente.
Puisque
j’en suis au Sapmer, le personnel de l’établissement est invité à faire une
croisière autour de l’île demain après-midi. Je ne laisserai ici que le
personnel devant assurer le service: 2 météos, 2 radios, 1 mécanicien.
Ce
soir, à table, j’ai annoncé la nouvelle de la croisière et j’ai en même temps
signalé que le fait de venir prendre une douche à l’hôpital n’autorisait pas
les gens à se servir de mes affaires de toilette (dentifrice, vitapointe..).
Qu’au cas où pareil incident se renouvellerait je me verrai dans l’obligation
de supprimer la séance de douches.
Dimanche
12 Février.
J’ai
reçu ce matin un message de France bourré de nouvelles de taille: Jean-Paul
amputé d’une jambe, c’est très triste, Simone enceinte c’est très heureux.
Mise
sur pied, avant 11 h, avec E…. des travaux à venir. Nous avons profité d’une
marée basse exceptionnelle pour aller voir l’emplacement du port projet R….
C’est vraiment de la folie furieuse. Il faudrait des milliards pour faire
quelque chose dans le coin indiqué.
Parlant
de R… et des projets, je me rends compte que je n’ai pas signalé, à la date
d’hier, la phonie que j’ai eue à 16 h avec Kerguelen. R… m’a franchement déçu.
Je lui ai posé la question: si un nouveau détachement du Génie vient en Avril
que devra-t-il faire? aprés un silence R… m’a répondu: « eh bien il
continuera les travaux commencés par le détachement actuel ». Or les
travaux prévus pour ce détachement seront terminés. Cela prouve deux choses:
que R… ignore ce que le détachement actuel fait ou doit faire, deux, ce qu’il y
a à faire ici. Autre impression désagréable, il y a à Ker un concasseur et un
rouleau compresseur. J’ai demandé à les récupérer. Or ces deux engins n’ont
jamais marché depuis qu’ils sont là-bas (3 ans je crois) et maintenant, au
moins pour le concasseur, il faut le renvoyer à Madagascar pour le retaper. Une
histoire de fou qui doit coûter cher à la France
Je
reviens à ce Dimanche. À 11 h, nous avons, à 14 sur 19 regagné le bord du
Sapmer. Comme nous avons tardé à lever l’ancre, j’en ai profité pour pêcher.
J’ai sorti trois fausses morues, un tazar et un cabot. Cela devait faire dans
les trente kilos de poisson.
À 15
h nous avons levé l’ancre et nous avons fait un voyage splendide autour de
l’île. J’ai pris 36 photos et un film 16 en couleur. Le film 16 ne sera
peut-être pas merveilleux car, pas habitué à la Paillard, j’ai commis quelques
erreurs.
À 18
h 30 nous étions de retour à l’établissement où nous attendait une excellente
poule au riz.
Lundi
13 Février.
Premier
jour des 9 mois qui nous restent à faire. Il y avait hier trois mois, nous
débarquions à quatre sur l’île, reçus par les membres de la mission sur un
rocher glissant avec ces mots très accueillants: « vous débarquez aussi!
on pensait que vous ne nous passiez que le courrier ».
J’ai
mis, ce matin, un peu d’ordre dans ma chambre puis j’ai profité du soleil
splendide pour aller faire deux ou trois photos. Chantier d’E…, mimosa. J’ai
peur que, lorsque le mimosa sera en fleur, le temps ne permette pas de faire
une photo.
Je me
suis attelé ensuite à la monographie après avoir mis en route L… qui place un
barbelé autour du jardin météo. J’ai pondu trois pages non sans peine, mais je
suis content de moi; c’est l’essentiel n’est-ce pas.
J’avais
l’intention de m’y remettre cet après-midi après avoir rédigé le message de
commande à ma Mie mais U… ayant tué un taureau et le temps se gâtant, j’ai été
lui donner un coup de main à ramener le taureau qui avait été crever dans de la
rocaille. Nous en avons bavé pour le sortir de là. Puis j’ai donné un coup de
main à Petit Louis à faire le boucher.
Le
soir est arrivé, un soir triste avec du crachin qui hâte la venue de la nuit.
E… a
cimenté le cône d’arrivée d’eau. Avec ses 15 m2 c’est le début de l’aire de
ramassage. Il en reste encore 535 m2 à faire.
U… a
pêché des langoustes pour demain et a fait un pâté de poisson avec une morue
dont les filets faisaient 6 livres.
L…
aidé par F… ont fait la moitié de la clôture, splendide, en consolidant par
trois fils de barbelés bien tendus la clôture existante trop perméable aux
taureaux.
Nous
avons changé Louise et Carmen de coulée. Carmen devient très sociable et ses
pattes sont pratiquement guéries.
Mardi
14.
Je
n’ai pas dû faire grand chose de suivi ce matin puisque je ne me souviens pas
de ce que j’ai fait: préparé et expédié le télégramme de commande, pris des
photos pour la monographie, le lâcher du ballon-sonde, travaillé à la
monographie, visité les jardins et le poulailler... C’est tout!
Cet
après-midi je suis monté au faux sommet. J’ai changé le diagramme, cela évitera
à G… de monter demain. Pour changer le diagramme je me suis gelé car l’abri
météo est sur un sommet bien ventilé et il faisait 7° avec un vent violent et
une pluie fine et très froide. Un vrai régal.
Ce
soir j’ai pris une leçon de tirage photo puis j’ai mis mes treillis à tremper.
Il est 22 h 20.
Nous
avons appris, par des bavardages entre radios, que Ker avait son hélicoptère et
que, détail plus intéressant le ‘La Pérouse’ quittait Ker le 18 mars. Nous
espérons ferme qu’il passera par ici pour prendre le courrier.
Mercredi
15.
J’ai
travaillé toute la journée à la monographie à part une séance de dentisterie.
J’y ai travaillé d’une façon un peu particulière en faisant de la botanique. En
effet il m’était difficile de parler de pâturages, de joncs etc. sans savoir
quelles étaient les espèces en jeu. Je me suis donc armé d’un bouquin et j’ai
ainsi déterminé 6 espèces qui jouent, dans l’île, un rôle de premier plan. En
cherchant j’ai pensé intensément à ma Mie en retrouvant une graminée qui
s’appelle ‘Briza maritima’ et qui pour nous deux est le ‘cœur tremblant ‘
Peu
d’évènements nouveaux sinon que le temps s’est gâté et que la cale, qui était
praticable depuis 12 jours, je crois, fait sans précédent dans mes annales, est
impraticable ce soir.
Jeudi
16.
Je
rectifie immédiatement, contrairement à ce que je croyais, la cale était
praticable hier soir et ce soir elle est praticable depuis 13 jours.
Nous
avons eu un anticyclone magnifique (à force d’entendre parler les météos, on
parle comme eux) qui nous a donné un temps splendide. Il a fait chaud, le ciel
était sans nuages, la mer calme.
Le
Sapmer qui hier avait disparu de notre horizon est revenu aujourd’hui pêcher
dans nos eaux. J’en ai profité, j’ai été à bord cet après-midi voir P… à qui
j’ai lu mes 13 pages de généralités sur l’île. J’y parle de plantes et
d’animaux et comme c’est son domaine, j’aime autant primo, ménager sa
susceptibilité, secundo, ne pas émettre d’idées qu’il soit susceptible de
contredire ensuite.
En retour,
il m’a lu les premiers éléments de son rapport sur les fonds de pêche et leur
possibilité puisqu’il est à bord du Sapmer à titre officiel chargé par R… d’une
mission d’étude.
J’ai
été à bord avec notre canot; comme le hors-bord est en panne nous avons nagé,
U… et moi, tous les deux. Cela m’a fait un bien énorme, mais j’avais rudement
mal aux bras en arrivant au bateau. Au retour je me suis longuement essayé à la
godille et le Marin n’était pas mécontent de moi.
Le
Lieutenant et ses sapeurs ont profité du beau temps pour avancer l’ouvrage.
F…,
l’Adjudant-chef radio est parti à bord du Sapmer, ce matin, réparer le sondeur.
Comme c’était son jour de repos, il en a profité pour se livrer aux joies de la
pêche. Je suis assez content de le voir ainsi car, au début, il s’enfermait
continuellement au milieu de ses postes radios. Un matin je lui ai dit qu’il
filait un mauvais coton, il était blanc et bouffi, et qu’il ferait bien de
prendre l’air. Sur le moment il a pris ça assez mal. Il faut dire que tenant à ce
que mon conseil soit suivi, j’y avais mis le paquet. Mais depuis il passe ses
jours de repos à l’extérieur. J’y gagne car il donne un coup de main par-ci
par-là et d’autre part il s’est transformé, halé en bonne forme et plus ouvert.
Bilan de l’établissement actuellement au point de vue esprit: bon. Tout marche
non pas à la perfection mais bien. Pourvu que ça dure.
Vendredi
17 Février.
Je me
suis levé à 6 h ce matin et j’ai pris une bonne douche. Après un rapide tour de
jardin, j’ai préparé le matériel nécessaire au travail de la journée. En effet
E… m’avait demandé de lui donner un coup de main pour essayer de fondre et
couler du brai dans les joints de l’aire de ramassage.
À 7 h
30 nous étions au chantier; toute la journée nous nous sommes escrimés à essayer.
Tantôt le feu chauffait trop, nous avons fondu une marmite en aluminium tantôt
le feu ne chauffait pas assez. Nous avons eu une bruine qui nous a rincé un bon
coup ce matin et de déboires en déboires la fin de la journée est arrivée ou
presque. Je suis descendu vers 18 h les yeux n’en pouvant plus à force de
recevoir des poussières, des escarbilles soulevées par le vent, et démoralisé
par l’échec
J’ai
fait pour ne pas abdiquer, une stérilisation de mes instruments de dentisterie
et j’ai repassé un pantalon treillis et une chemise de laine. J’avais lavé
mercredi et jeudi matin, en me levant à 6 h 2 treillis et 2 chemises. Il me
reste donc du repassage à faire.
Il
fait, ce soir, un temps de chien.
U… et
D… ont été à la Recherche ce matin. Ils ont retrouvé la brebis blessée et l’ont
attachée. Demain matin tous les sapeurs iront à la Recherche pour essayer de
ramener la brebis. Je ferai vraisemblablement partie de l’expédition.
Samedi
18 Février.
Je me
suis levé ce matin vers 5 h. Couché tôt hier soir je me suis réveillé très tôt
ce matin et je me suis levé rapidement.
J’ai
retrouvé E… au réfectoire vers 6 h 15 et après un bon petit-déjeuner nous avons
été faire un tour de jardin. Cela nous a permis d’établir un programme de
campagne pour les semaines suivantes. En effet, le bassin et l’aire de
ramassage seront terminés vers la fin du mois et à partir de ce moment là,
j’aurai un sapeur de plus à ma disposition pour les jardins. Je vais donc
entreprendre d’autres travaux.
À 7 h
30, les sapeurs du génie, le Lieutenant, le marin, un météo, un radio et moi
partons vers la Recherche récupérer la brebis capturée hier. Rendus à la
Recherche vers 8 h 30 nous y avons cassé la croûte puis nous nous sommes mis en
route après avoir tondu la brebis pour lui enlever 3 ou 4 kgs de laine.
Transportée d’abord sur une civière pour monter les pentes du plateau, nous
l’avons prise ensuite à tour de rôle sur les épaules. Elle pèse 63 Kgs. C’est
une brebis magnifique mais vieille (importée en 1951 à l’âge de 2 ou 3 ans). Elle
est atteinte d’une décalcification des pattes. Il est probable que, comme chez
les vaches, les pâturages trop acides créent un manque de calcium surtout
sensible chez les femelles, le poids de la bête venant aggraver la situation.
La
mission était terminée vers 11 h. La brebis est là; je vais essayer de la
soigner le temps de me rendre compte si elle est pleine ou non. Si elle n’est
pas pleine nous la mangerons.
Immédiatement
après le repas de midi, je me suis allongé sur mon lit, fatigué et plutôt
pessimiste. Je me suis endormi peu après et ai fait une sieste confortable
d’une heure. Ca allait bien mieux à 15 h. Une bonne douche, rasé de frais,
j’étais décidé. J’en ai profité. J’ai soigné B… à qui j’ai fait un pansement
dentaire du tonnerre puis après ça je lui ai coupé les cheveux, histoire de
changer. Enfin j’ai été avec lui développer 2 ou 3 photos. J’ai hâte d’avoir du
papier pour m’y mettre aussi.
La
soupe est arrivée rapidement. Le radio est venu au réfectoire avec le télav du
Samedi. Il fut, bien entendu, le bienvenu, oh combien!
Dimanche
19 février.
Pour
moi, une véritable journée de détente. Tout d’abord il a fait un temps
splendide, pas un nuage, pas une ride sur la mer, le drapeau, hissé tous les
Dimanches, pendant le long du mât.
Ce
matin, de très bonne heure, j’ai pris une douche, mon petit-déjeuner et j’ai
été me promener dans les environs immédiats du camp. J’ai essayé ensuite de
réparer mes mocassins qui n’en peuvent plus. Les essais de ce matin ont été
infructueux, J’ai préparé une colle à semelles crêpe et je ferai un nouvel
essai demain matin.
J’ai
coupé ensuite les cheveux à E… et j’ai traînassé jusqu’au repas de midi.
Après
midi, nous sommes partis, E… et moi, au bois de Phylicas. Nous avons fait une
promenade formidable. Je suis trop fatigué ce soir pour la relater d’autant
qu’il y en aurait pour un bout de temps; je le ferai demain matin.
Rentrés
à 18 h 30, nous avons bu un bon jus de fruit -Perrier offert par
l’établissement, pris une bonne douche et préparé une sortie en mer. Sous l’impulsion
de P… nous devions depuis longtemps faire une sortie de nuit pour essayer la
pêche au ‘lamparo’. J’avais refusé, jusque-là, à P… de laisser sortir le
bateau. Ce soir c’était le temps rêvé pour une expédition de ce genre: mer
d’huile, ciel dégagé, clair de lune, personnel disponible, donc pas
d’hésitation possible. (note à la saisie: le clair de lune n’était peut-être
pas la condition idéale). L’essai a duré une heure. Le canot a été mis à l’eau
pour la troisième fois aujourd’hui sans ennui. Mais alors qu’U… a pris plus de
100 kgs de poisson aujourd’hui, nous n’en avons pas vu la queue d’un. Rentrés à
22 h, tout s’est très bien passé.
Je
suis las d’une bonne fatigue, je vais me coucher.
Lundi
20, 9 h 30.
J’ai
déjà fait pas mal de travail ce matin, remis ma chambre en ordre, passé du
D.D.T (j’ai des pulvérisateurs de 20 litres) à la cuisine, le réfectoire, les
abords et l’écurie à cochons. J’ai été vers la mare aux éléphants de mer
récupérer des feuilles de gomme. Un bateau a dû être torpillé pendant la guerre
dans les parages d’où des ballots de gomme un peu partout et un
train
de pneus de camion marque ‘Good Year’ qui a donné son nom à la plage où il est
venu s’échouer. Le nouveau procédé de réparation de chaussure est en bonne
voie.
Je
viens, ce matin, relater notre promenade au bois. Quand on dit ‘bois’, on
imagine immédiatement des arbres au fût plus ou moins élancé, un
sous-bois, etc. Rien de tout ça à la Nouvelle Amsterdam où le vent couche
les arbres et où le Phylica pousse en courant littéralement sur le sol. On
voit, là, un arbre vertical tout jeune, en fait le tronc principal est vieux et
tourmenté et court sur le sol où il prend racine sur 3, 4 voire 6 mètres. Dans
le fouillis inextricable par les troncs et les branches poussent des fougères
qui atteignent 2 mètres par endroits. Le tout cache un sol irrégulier sur
lequel pas autre chose ne pousse, la lumière n’y parvenant absolument pas.
Nous
avons pénétré résolument dans ce fouillis et nous ne l’avons pas regretté car
nous avons bien ri. Imaginez le Nourson un pied sur une branche trouvée au
milieu des fougères, qui sent que devant lui se cache un vide et qui dit:
« adieu E… ». Au même moment la branche casse et le Nourson se trouve
dans les fougères par-dessus la tête. Notre avancée dans la forêt m’a rappelé
les aventures de Papa Bonhomme, gamin, dans les ronces, tantôt à 4 pattes sous
les fougères, tantôt de branche en branche au dessus d’un tapis vert et
trompeur. Nous avons traversé le bois non sans de multiples aventures que nous
avons essayé de fixer par des photos.
En
sortant nous avons trouvé un champ de toutes petites fougères d’une variété que
je ne connais pas. Ces petites fougères ont des tiges très longues, ramifiées
et tissent un feutrage qui peut atteindre 3 mètres, feutrage dense. Nous avons
entrepris de le traverser mais d’une façon bien originale. On s’élançait à plat
ventre sur le tapis de fougères qui enfonçait moelleusement sous nous. C’est
plus souple que du bon fourrage. Que de fois, dans cette randonnée, j’ai
pensé à ma Mie. Que de fois, j’ai imaginé la joie que nous aurions eu à nous
précipiter dans les mousses. Je me suis même dit que la rentrée au camp, le
soir, aurait eu des chances d’être assez pénible.
Il y
a une chose que je n’ai pas noté hier soir, mais à laquelle je pense: il y a 4
mois, je quittais Breil et dans 10 jours le tiers de notre séparation se sera
écoulé. Le tiers, je suis tout heureux de cette constatation.
19 H
15: journée calme où j’ai mené de front la monographie et la réparation de mes
chaussures. Je suis toujours à la recherche d’une technique pour coller de la
gomme. Je pense avoir trouvé, mais il faut que j’attende demain pour connaître
le résultat.
La
monographie avance; le plan est maintenant bien établi et les idées abondent.
La difficulté réside maintenant dans le fait de les mettre noir sur blanc et
surtout tout en ménageant les susceptibilités.
Nous
sommes obligés d’arroser les jardins, tous les points d’eau secondaires sont à
sec. Il faut donc approvisionner avec la citerne-remorque attelée derrière une
Jeep.
U… a
pêché pour demain des langoustes. Il y en avait tellement dans son casier qu’il
en a rejeté la moitié à la mer. Il faut que nous trouvions un emplacement pour
faire un vivier.
E…
semble ne plus trouver aucun intérêt aux travaux du bassin et de l’aire de
ramassage. Les travaux touchent à leur fin et le fignolage devient fastidieux.
D’autre part cette remontée, tous les matins, vers le bassin doit finir
par devenir monotone.
Mardi
21.
Journée
qui, quoique active, n’est pas spécialement positive une fois de plus. J’ai
fait une foule de choses. Je me suis occupé de mes chaussures ayant trouvé,
enfin, la solution pour les récupérer mais une solution qui demande du temps.
Je me suis occupé de la monographie qui a avancé d’une page ou deux, seulement
mais j’ai obtenu d’E…, ce matin, qu’il m’établisse, dés la semaine prochaine,
le plan du camp et des jardins et le plan intérieur des baraques Fillod. Je lui
donnerais, bien sûr, un coup de main.
J’ai
fait avec U… le bilan du magasin à vivres. J’ai essayé de donner des tuyaux au
cuisinier pour qu’il fasse un gâteau à la semoule de riz mais le résultat n’est
pas extraordinaire.
J’ai
été obligé de préparer du révélateur et du fixateur radio ayant une graphie du
maxillaire inférieur à faire. J’ai bataillé pour faire cette graphie au
Microsécurix, mais ça n’a pas marché. Pourtant j’ai réussi une radio formidable
de la main que j’ai faite à titre d’essai. J’ai au moins perdu trois heures à
ce jeu là.
J’ai
donné un coup de main aux météos, pour les encourager dans la bonne voie,
réveillé à 4 h 30, je me suis astreint à me rendormir et de petits sommes en
petits sommes, je suis arrivé à 7 h. Immédiatement après le petit déjeuner,
j’ai attaqué un travail que je voulais faire depuis quelque temps: c’est mettre
des piquets aux tomates et les émonder. J’ai préféré faire ce travail moi-même
car les premiers plans soignés par le jardinier malgache ont de la peine à
arriver à maturité. J’ai, ainsi, passé ma matinée au jardin. Je ne le regrette
pas, il faisait un temps splendide.
Cet
après-midi, par contre, je me suis bien rattrapé, si l’on peut dire. J’ai passé
4 h1/2 à la chambre noire. Tout ça pour rien. Je ne suis pas arrivé à
déterminer si les clichés sont loupés à cause des films qui sont périmés, à
cause de la cuve à RX qui est fatiguée ou à cause de ma technique. Je suis déçu
et comme il s’agit de quelque chose d’important sur le plan médical, je suis un
peu inquiet. Cela fait quand même pas mal d’ennuis. Les outils qui rouillent,
le Microsécurix qui ne marche pas. J’ai l’impression que le Docteur D… a oublié
pas mal de choses dans ses consignes.
Au
repas du soir j’ai eu une grosse discussion de physique avec un météo,
discussion purement amicale. Cela m’a édifié sur un point c’est que ces météos
avaient assimilé, pour rentrer sans doute dans le service, un certain nombre de
notions sans les comprendre, ce qui est assez grave en physique, et finissaient
par sortir des erreurs énormes tout en se référant à leurs bouquins. Ce qu’il y
a de pénible, dans ce cas-là c’est de faire comprendre ce que l’on ne peut pas
comprendre. Et j’ai prolongé la discussion parceque l’on m’a apporté des
bouquins et que je voulais savoir pourquoi; après une journée magnifique, il
faisait froid ce soir, plus froid que d’habitude. Je le sais maintenant mais ce
n’est pas de la faute des météos.
Jeudi
23 Février.
Je me
suis astreint à dormir ce matin car couché après 11 h je me suis réveillé à 5 h ce matin et pendant 10 minutes
j’ai tourné et retourné dans mon lit. Je me suis levé à 7 h en bonne forme; le
soleil inondait ma chambre.
Ce
matin j’ai repassé puis mis le cabinet de dentisterie en ordre, fait de la
stérilisation et j’ai été prendre deux arbres en photo pour la monographie.
Cet
après-midi, j’ai fait deux soins dentaires. Le travail de dentisterie n’est pas
amusant ici car ce sont, bien souvent des complications sur plombage
existant. J’en ai bavé avec mon premier client qui a, probablement, un abcès et
il fallait arracher la dent ou faire sauter le plombage. J’ai fait sauter le
plombage.
Après,
le soir, boulot d’infirmier, nettoyer les instruments, la table, le crachoir,
les fraises, préparer la stérilisation. Au fond ici je fais surtout le
dentiste, il y a un ou deux mois que je n’ai pas touché une seringue.
L’après-midi
s’est terminée par une séance de coiffure, D…, le radio, m’a coupé les cheveux,
je les ai coupés à D…. Une bonne douche là-dessus a été la bienvenue.
Les
jours raccourcissent puisque à 19 h 15 il fait nuit noire. Je crois que les
jours ont raccourci d’une bonne heure. Le fait qu’en hiver il fasse nuit à 16 h
va drôlement changer notre vie. je pense que j’aurai à ce moment-là plus de
temps disponible.
Au
point de vue établissement peu de choses nouvelles:
J’ai
autorisé F… à accompagner D… au Fernand.
E…
met la dernière main au bassin. La clôture destinée à protéger l’aire de
ramassage est attaquée.
Les
météos ont reproché ce matin à D…, leur patron, de les laisser tomber quand ils
ont des difficultés pour le radio-sondage.
D… et
U… ont réussi, avec la chienne à capturer un veau mâle; cela met le cheptel à
trois bovidés et un mouton.
Vendredi
24.
Je
tiens assez fidèlement mon programme. Il n’est peut-être pas très chargé, mais
il faut compter avec les activités annexes de chef d’établissement ayant l’œil
et la main à tout. A ce propos
demain matin, j’essaierai de faire une crème renversée, je crois que ce n’est
pas sorcier mais le cuisinier ne sait pas faire.
Ce
matin j’ai mis la salle d’opération en ordre. L’autre jour j’avais laissé un
certain désordre après avoir fait mes inventaires. J’en ai profité pour classer
mes catguts, crins, soies et ranger l’armoire vitrine.
Cet
après-midi, j’ai travaillé à la monographie. Je ne peux pas dire que je me sois
tenu à mon travail. Je ne tiens pas en place en ce moment. Il me manque sans
doute un exutoire physique. (Note à la saisie: ne pas sourire SVP). Mais j’en
ai assez de me démolir les mains sur les chantiers.
Cette
inaction a une certaine utilité c’est que le soir je suis plus en forme.
J’écris plus facilement et j’arrive à lire, un peu.
J’ai
réussi à retaper mes chaussures et, par la même occasion, j’ai renforcé les
semelles de mes bottes
Au
camp, E… a terminé et déblayé le chantier. La semaine prochaine ses sapeurs
placeront les tuyaux de descente vers l’hôpital. Nous attendons les pluies avec
impatience. Il n’y a pas que nous à attendre, les jardins aussi ont soif.
L’enlèvement
des bidons se poursuit par petites étapes.
Samedi
25.
Le
message reçu de France est bien doux.
Reprenons
la journée. Je crois que la nuit dernière a été la plus mauvaise passée depuis
que je suis sur l’île. Réveillé vers une heure du matin par des brûlures
d’estomac ; à remarquer la coïncidence : insomnies partielles,
brûlures d’estomac. Après avoir bu un peu de vichy, je me suis rendormi. Réveillé
vers trois heures par un taureau qui en broutant l’herbe au ras de la baraque
donnait des coups de cornes aux tôles en baissant la tête. Je me suis levé pour
le faire partir. Je me suis rendormi, mais à cinq heures j’étais bien éveillé
et avait une lolo... du tonnerre . Je me suis levé puis me suis recouché pour
lire Tournier.
À 7
h, petit-déjeuner, puis j’ai fait le marmiton. J’ai préparé, pour le midi, les
fameuses crèmes renversées qui ont eu, bien entendu, un succès énorme. J’y
reviendrai.
Après
ça, je suis monté terminer un travail entrepris depuis longtemps, finir de
décaper un point bas où l’eau s’accumulait. Comme Lundi les sapeurs
manipuleront du goudron, ils en passeront là et ça fera une mare pour les
bêtes.
A11 h
30, je suis descendu superviser le menu, le corser d’un roquefort et de petits
gâteaux, choisir les apéritifs et les vins. Puis je me suis mis en grande
tenue et je suis monté réceptionner le bassin. J’ai planté le bouquet de
capucines et de phylica et à 12 h 45 nous attaquions un fameux gueuleton à
l’honneur des sapeurs:
Apéritifs: Porto, Berger, Martini, Dubonnet.
Menu
Vins
Saucisson, radis, beurre
Blanc de Touraine
Poissons frits
Steak grillé, pommes pailles
Rouge ordinaire
Salade, Roquefort
Crème renversée, petits gâteaux Sauterne, Café, Cognac
La
plus grande euphorie régnait à table.
Cet
après-midi j’ai stérilisé 2 boîtes de dentisterie. Un brûleur s’est mis à fumer
sans que je m’en aperçoive, j’en ai été quitte pour astiquer tout le labo.
Nous
allons écouter, E… et moi, la prose de P… vers 16 h 30 (P… qui est revenu de sa
mission sur le Sapmer ce matin) quand U… est venu nous chercher. Il avait trouvé
une vache qui, disait-il, avait une patte cassée. Nous sommes donc partis
derrière les Dumas. Le brouillard gorgé d’eau courrait sur les joncs. On
avait les cheveux, P… sa barbe et moi ma moustache blanchies par de fines
gouttelettes? On n’y voyait pas à 100 mètres.
Malgré
bien du travail, la vache n’a pas avancé de trois mètres. Elle aussi est
atteinte, comme la brebis de décalcification. Cela a atteint non pas le bout
des pattes mais les articulations des hanches. La vache parterre, on écarte ses
pattes comme deux ailes de papillon. Cette fois la carence est bien prouvée.
C’est une carence en calcium sur ces terres volcaniques frappant surtout les
femelles épuisées par le vêlage et la lactation.
Rentré
au camp à la nuit par un temps plus que Breton, j’y ai trouvé immédiatement le
doux message de mes câlines.
Dimanche
26 Février.
Journée
calme où j’ai écrit sans trop me fatiguer trois lettres, une à Bertrand, une
aux Galerant et une à Adrien. P… nous a lu son rapport sur la campagne de
pêche. Enfin j’ai eu une phonie avec Ker. Voilà en gros à quoi résumer la
journée. Il y a eu bien sûr quelques discussions P, E… et moi sur la flore de
l’île, sur la géologie et sur les travaux demandés par R….
Je
reviens maintenant à la phonie. J’en ai tant dis et surtout tant entendu que je
ne sais pas par quel bout commencer:
-
Tout d’abord R… m’a appris que c’était B… qui allait remplacer le Docteur P… à
Ker. La promotion 46 est à l’honneur dans les TAAF.
- R…
ne sait pas encore s’il rentrera par le’ La Pérouse’ ou par le ‘Tasmania’ via
l’Australie. Personnellement si je tiens à le voir au mois d’avril, je ne tiens
pas à l’avoir sur les reins en Mars, cela gâcherait mon effet car le travail ne
serait qu’au trois quarts fait.
- R…
demande que je lui établisse les prévisions budgétaires pour 1957. Cela prouve
une belle marque de confiance, mais une fois de plus cela représente un travail
considérable pour lequel je ne suis pas outillé.
- R…
semble abandonner le projet de port à la mare aux éléphants de mer au profit
d’un aménagement plus sérieux de la cale. Ou tout au moins il s’intéresse pour
le moment à un aménagement possible de la cale.
-
Reçu des félicitations pour le travail que nous faisions à la
Nouvelle-Amsterdam. J’y suis sensible, mais elles auront plus de valeur si
elles viennent aux oreilles de mes supérieurs directs.
À
côté de toutes ces questions traitées, il y en a d’autres, compte-rendu sur les
travaux effectués, superficie des jardins, etc. L’impression qui se dégage de
ces phonies c’est que R… est un hurluberlu dangereux. Hurluberlu parce qu’il
est prêt à se lancer sur n’importe quelle idée invraisemblable, parce qu’il
semble, aussi, avoir peur des réalités comme je lui signalais les difficultés
que nous éprouvons avec nos piquets à barbelés, il m’a dit: “oui, oui, bon...).
Il faut dire que je ne le ménage pas ne tenant pas du tout qu’il s’emballe sur
une idée en me laissant l’entière responsabilité de la réalisation. Dangereux
parce que je ne sais pas dans quelle mesure R… est fidèle à ses amours, puis-je
dire. Aujourd'hui il me félicite, si je continue tout ira bien... Tout ira très
bien jusqu’au bout, mais, à la moindre incartade, je risque fort de tomber en
disgrâce... C’est en politique le risque à courir. Il y en a un autre, si R…
saute en tant qu’ADSUP, automatiquement nous serons plus ou moins associés à
l’affaire.
Tout
cela importe peu. La question sera résolue à Tana quand, en Novembre prochain,
j’irai me présenter à la DSS de Madagascar. Je saurais, alors, si j’ai fait du
bon travail.
Il
est un autre point également où la conduite est difficile: R… est mon patron.
Je n’approuve pas du tout sa façon de faire, il prête trop le flanc à la
critique, mais étant sous ses ordres, je ne peux que m’exécuter et dire amen à
tout ce qu’il commande. Je ne peux pas d’autre part me permettre de le juger
ouvertement. Je risque donc de passer, aux yeux de beaucoup, pour aussi fou que
lui.
Lundi
27 Février.
La
vache découverte Samedi, ramenée hier et morte cette nuit. J’ai fait l’autopsie
ce matin et les lésions que j’ai trouvées confirment bien le diagnostic de
décalcification de la cavité glénoïde, l’articulation, entièrement fibreuse
étant entourée de tissu conjonctif.
J’ai
classé ce matin les photos que je possède et j’ai mis de côté les photos
destinées à la monographie. J’ai prêté à D… les photos d’Entrecastaux et de St
Paul. J’ai appris qu’il n’y avait plus d’hyposulfite. J’ai l’impression que
devant la baisse des stocks certains ont fait des réserves. Cela rappelle
étrangement l’histoire du papier photo qui a disparu à notre arrivée. J’ai
décidé de fermer entièrement le labo photo. Il n’y aura ainsi pas de jaloux.
Cela risque de faire du bruit dans le bourg.
Cet
après-midi j’ai fait le dentiste. C’est un métier qui ne me plaît vraiment pas.
Après
ça j’ai passé une heure au chantier avec E…. Les sapeurs sont en train
d’aménager les abords du bassin qui a maintenant une allure du ‘feu de Zeus’.
Puis j’ai travaillé à la monographie. J’ai pondu la moitié du chapitre réservé
au service de santé, chapitre qui tient lieu de rapport d’activité. Ce soir, si
j’en ai le courage, je terminerai par un morceau de taille, le chapitre ou
plutôt le sous-chapitre de l’hygiène générale.
Reçu
ce soir un message du Capitaine B… qui n’a pas pêché depuis Samedi matin.
Mardi
28 Février.
J’ai
travaillé, ce matin, à la monographie. J’ai terminé la partie médicale hygiène
comprise. Je pense pouvoir faire, demain, la partie réservée au service
mécanique car l’Adjudant F… n’est pas capable de le faire.
J’ai
pondu, ce matin, deux notes de service, l’une concernant les heures où les
douches de l’hôpital sont ouvertes car je ne pouvais plus mettre les pieds dans
le cabinet de toilette le Dimanche matin, l’autre pour interdire le labo photo.
Je vais y revenir.
Cet
après-midi, je suis monté donner un coup de main à E… qui, ce matin, a cassé la
bétonnière. Comme c’est un morceau d’1 tonne 5, la remettre debout n’a pas été
une petite affaire. Je n’ai pas regretté mon après-midi car le maître ouvrier
(caporal chez les sapeurs) Le B… dit Petit Louis et l’Adjudant Le F…. avaient
un sérieux coup dans le nez. E… et moi avons fait un très gros effort pour ne
pas remettre F… en place car cela se serait terminé par 8 ‘pains’. Je préfère
lui parler de sa conduite demain matin quand il sera à jeun. Le fait que l’on
soit là, isolés sur cette île, change totalement les données du problème.
Je
reviens maintenant au labo photo. Comme je le disais hier la note de service
devait faire du bruit. Jusqu’ici c’est avec G… qu’il y a eu une grosse explication
ou plutôt c’est G… qui s’est expliqué (G… ancien du Groënland et de la Terre
Adélie). Je lui avais demandé ce matin la clef du labo photo car, jusque-là,
c’est lui qui était considéré comme responsable du rayon photo. Nous avons, à
14 h vérifié ensemble l’inventaire. Mais avant de me donner l’inventaire G… (40
ans je crois) s’est mis à pleurer et il m’a dit que c’était la première fois
qu’on l’accusait de voler. Comme je lui ai affirmé que la note de service ne le
visait nullement, il m’a répondu: « On n’a pas manqué d’hyposulfite, il en
reste encore 15 kgs mais m’étant aperçu qu’il filait trop vite je l’avais mis
de côté pour que nous n’en manquions pas. Si nous avions dû en manquer, je vous
l’aurais dit ». Et il m’a remis non seulement l’hyposulfite mais aussi une
lampe photocrescenta, alors qu’il n’y en avait plus, je me trouve actuellement
à la tête de 3 lampes. G… très éprouvé n’est pas venu à table ce soir et c’est
D… qui a pris sa place pour l’observation météo de 23 h.
Je
suis un peu perdu dans toute cette histoire. Mais il y a un fait certain, hier
matin D… m’a annoncé qu’il n’y avait plus d’hyposulfite et à midi, à table, G…,
s’adressant à un de ses collègues, a dit: « alors tu as vu il n’y a plus
d’hyposulfite ». Lui-même dans la conversation de cet après-midi m’a
dit : «Même Mr D… ne savait pas où était cet hypo ». Alors que
cherche-t-on. En fait l’hyposulfite aurait vraisemblablement manqué au train où
tout le monde y allait mais les plus avisés ont dû faire des provisions, G… comme
les autres mais lui en se contentant de planquer l’hyposulfite dans le labo
photo même. Bien sûr il aurait toujours développé mes films mais c’est un plus
grand service qu’il m’aurait rendu. Par contre les sapeurs et autres
indésirables auraient été éliminés du labo.
Tout
cela n’est pas très joli et comme je m’y attendais un peu ma réaction, vive
j’en conviens, a semé un peu la panique. Cela fait beaucoup de choses pour
un seul jour.
Mercredi
29 Février.
J’ai
essayé ce matin de faire entendre raison à F…. Il n’a pas accepté mes conseils.
Il n’aime pas l’eau et il n’a pas fait de mal. Je l’ai prévenu qu’à la
prochaine incartade, je ne le manquerai pas. Ou plutôt je lui ai dit que, pour
l’instant, je lui donnais un conseil et que j’étais chic avec lui mais que je pourrais
bien devenir plus vache. Il m’a répondu « comment? » Je lui ai dit
« essayez et vous verrez ».
L’affaire
F… est pratiquement classée, pour moi j’entends, car avoir à table quelqu’un
qui fait la tête ce n’est pas très agréable. Par contre le Lt E…, qui, en tant
qu’officier du Génie, a directement barre sur F… n’a pas l’air de digérer la
chose comme ça. D’autant, qu’aujourd’hui, F…. a laissé, sous ses yeux, le Lt et
ses hommes se dépatouiller avec la bétonnière. J’ai l’impression que le Lt ne
va pas être pressé d’envoyer ses maçons travailler au garage.
Autre
réaction bizarre, G…. est rentré, ce midi, au réfectoire, sans saluer et ce
soir il n’a pas répondu à mon bonsoir. Ceci me confirme l’opinion que je
m’étais faite sur la question de l’hyposulfite car, dit-on qui se sent morveux
se mouche.
Je ne
peux m’empêcher de rapprocher de tout ceci, car G…. et F…. ont maintenant 14
mois de séjour sur l’île, les poésies que j’ai retrouvées incluses aux rapports
annuels 1952-54. J’en prendrai copie pour les montrer à un psychiatre, mais il
est un fait certain: le séjour sur l’île influe dangereusement sur le psychisme
des gens.
E… a
enfin ramené la bétonnière à son point de départ. Je lui ai donné un bon coup
de main ce matin car nous n’étions pas trop pour faire descendre cet engin dans
la rocaille.
J’ai
quelques difficultés à rapporter les faits de la journée car j’ai un mal au
crâne terrible et avant le repas du soir je grelottais de froid. J’ai pris une
Prémaline et ça ira certainement mieux demain mais ce soir, je suis vraiment
vasouillard.
Ce
matin j’ai travaillé avec E…. Cet après-midi, jusqu’à 16 h 30 j’ai fait le
dentiste. J’ai ensuite lu les rapports 1951-52-54 que j’ai retrouvés à la
météo. J’ai été aider E…. à terminer la remise en place de la bétonnière? Enfin
de 18 à 19 h j’ai été à la chasse aux rats, j’en ai tué cinq.
Jeudi
1er Mars.
J’ai
passé une excellente nuit. je dors bien mieux en ce moment. Depuis 4 jours, je
me suis mis au glucalcium, est-ce une coïncidence?
Réveillé
vers 6 h j’ai tiré ma cosse jusqu’à 6 h 30. Toilette, petit-déjeuner, tour de
jardin, à 8 h j’étais à mon bureau. À 9 h, je n’y étais plus, occupé à faire
ramasser des carottes et des radis pour envoyer quelques légumes à bord du
Sapmer à qui je n’ai rien envoyé depuis un mois ou presque. Je suis revenu au
bureau vers 10 h. J’ai eu la visite de P… puis d’E… avec qui j’ai discuté de la
venue d’un nouveau détachement du Génie. Le Lieutenant a convenu qu’il devait
signaler au commandement du Génie à Madagascar que l’outillage nécessaire pour
des travaux importants n’existait pas à la Nouvelle-Amsterdam.
En
effet je ne demande pas mieux que d’avoir un nouveau détachement mais je tiens
à éviter les coups durs qui pourraient survenir:
-
Avoir un officier qui me dise: « alors c’est tout ce que vous me donnez
pour travailler »?
- Ne
présenter, après six autres mois de travail qu’un bilan inexistant parce qu’on
n’aura rien pour travailler et à cause de l’hiver où il pleut tout le temps.
Si
R…. savait qu’on lui tire plus ou moins dans les pattes car lui se démène pour
obtenir son détachement en promettant la lune, il ne serait, certes, pas
content et regretterait l’étalage qu’il fait à la radiodiffusion sur les
travaux entrepris à la Nouvelle Amsterdam. Madame E… a télégraphié à son mari
que la radio avait parlé des travaux que nous sommes en train de faire ici et
qu’elle était tout heureuse. Je suppose que l’on ne nous a pas ménagé les
fleurs. Je comprends, maintenant, pourquoi R…. s’intéressait tant à ce que nous
faisions et pourquoi il demandait des précisions sur le travail effectué. Il
préparait, chaque fois, son communiqué de presse.
E… a
profité du message adressé au commandement pour demander si un autre contingent
viendrait? Cela m’intéresse au plus haut point.
A14 h
nous sommes descendus tous les trois E…, P…. et moi à la mare aux éléphants de
mer où nous sommes en train de prélever des remorques de terreau dans une
couche que nous avons découverte. Nous essayons de retrouver l’origine de cette
terre meuble et riche et qui se trouve à quelques mètres de la mer. J’ai trouvé
ce soir une explication plausible due au fait que l’on trouvait, dans les
premières couches une terre fine rouge brique. J’ai en effet remarqué, en
effet, que les mottes, tourbeuses, en brûlant donnaient des cendres rouges. Or
la terre brûle facilement ici et l’on a la certitude que c’est arrivé souvent.
La couche rouge serait donc due à des cendres entraînées par l’eau et déposées
là.
Dans
l’ensemble de la journée, je n’ai pas fait grand chose, cela ne m’a pas fait de
mal et je suis, ce soir, dans une forme excellente.
Vendredi
2 Mars.
Je
prends décidément du bon temps, je me lève relativement tard, 6 h 45 et je ne
fais pas grand-chose de la journée. Si je fais le bilan: j’ai fait un gâteau de
semoule de riz et j’ai montré au cuisinier comment il fallait faire et j’ai
tapé les trois pages de garde de la monographie.
Mais
à côté de ça, j’ai, aujourd’hui, eu une foule de conversations utiles. Avec F…,
qui décidément s’est mis au diapason. Il a passé sa journée de congé avec D…. à
réparer et à remettre à neuf le four à pain.
Avec
U…. à qui les météos commencent à taper sur les nerfs car, en tant
qu’intendant, il est assez souvent mis en cause. Comme il dit « s’ils
avaient mangé un peu plus souvent de la vache enragée ça ne leur aurait pas
fait de mal ».
Avec
D…, qui s’est attelé de façon remarquable à son chapitre météo de la
monographie. Avec E… avec qui nous avons décidé d’envoyer les photos du bassin
à Tana pour la fête de l’armée. Puisque nous avons déjà eu les honneurs autant
continuer. Nous avons également fait le point car visiblement les météos ne
peuvent pas souffrir le Génie qui d’ailleurs le leur rend bien.
La
foule de renseignements glanés à droite et à gauche me sert à guider ma barque
mais tout ça ne fait pas avancer mon travail.
U… et
P… ont été à bord du Sapmer avec le canot récupérer un requin peau bleue que le
biologiste s’est empressé de découper en morceaux. J’ai appris, ainsi, que la
peau de chagrin était une peau de requin très prisée en reliure.
E…
pose les tuyaux descendant du bassin.
F…
est revenu ce soir. J’ai l’impression, maintenant, qu’il ne savait pas comment
revenir. Il a profité d’une histoire de chats pour le faire. En effet vers 17 h
il est venu me dire qu’il venait de voir la chatte sauvage et trois chats. J’ai
pris aussitôt le fusil et j’ai été les tirer; puis comme ils se sont faufilés,
blessés, dans une coulée, j’ai demandé à F… de mettre deux pétards à l’entrée
et nous avons fait sauter l’entrée. Après ça, F… plaisantait et était très détendu.
(Nous ne savons pas si les chats sont morts.)
J’ai
récupéré les deux chats de l’établissement que la mission précédente avait fait
fuir, mais je suis bien décidé, pour préserver pigeons et poussins, à tirer
tous les chats sauvages.
Samedi
3 Mars.
Ce
matin nous avons mis en chantier, avec E…, l’aménagement de la porcherie qui
était quelque chose d’infect. Puis je suis parti à la recherche de cinq cochons
perdus hier soir. J’ai fait le tour du camp, le cratère Dumas, Ribault et
retour sans avoir rien trouvé. J’ai récupéré au passage P…., une paire de
jumelles et nous sommes repartis dans une autre direction. Fort heureusement
nous avons trouvé, un quart d’heure après, les cochons baugés dans une
mare (sans eau, il n’a pas plu depuis longtemps à part quelques adverses
insignifiantes).
À 10
h j’ai tapé la page de garde de la monographie, l’avant-propos (4 lignes) et la
première page. Au train où je vais, j’en ai pour 15 jours.
Cet
après-midi, corvée de chiottes avec D…. Une fois de plus j’ai maudit les fosses
‘Perfecta’.
Pendant
ce temps E… et P… débarrassaient le chantier de la cressonnière. J’ai été les
rejoindre vers 16 h et nous avons été chercher de la terre. La Jeep nous ayant
laissé en carafe, nous sommes rentrés à pied.
A 17
h E… a reçu une réponse à son télégramme demandant le matériel nécessaire pour
Avril. On peut donc en déduire que le détachement du Génie sera relevé. Je dois
poser, à R… ce soir, la question de savoir ce que l’on devra lui faire faire.
J’avais
arrêté ce journal à 18 h, or à 18 h 15 je devais avoir une phonie avec Ker mais
l’hélicoptère qui avait emmené R… en balade (ai-je dit qu’il avait un hélico
alors que nous n’avions même pas une Jeep valable) n’était pas rentré et la
nuit tombait à Ker.
J’ai
quand même eu des tuyaux par le radio qui de la part de R… m’a communiqué deux
choses:
- À
une question que je lui avais posée au sujet de la cession de bottes au Sapmer,
« Je ne peux pas prendre la responsabilité, débrouillez vous faites un
échange ».
-
Faites-moi connaître les caractéristiques de vos embarcations pour l’achat d’un
Jonhson.
Mais
R… n’étant pas là, je n’ai pas pu lui demander ce que je voulais savoir au
sujet des travaux prévus pour le Génie.
Enfin
à 21 h 15 F… a capté sur les ondes (ils ne sont pas fous ces radios) un message
de R… aux Australiens où R… leur dit, en anglais, qu’il regrette beaucoup de ne
pas pouvoir accepter, cette fois-ci, l’invitation d’aller en Australie mais
qu’il rentrait le 11 par le La
Pérouse. C’est un comble,
l’Administrateur qui va passer au large sans faire un détour. On comprend mieux
certaines choses. Il nous aime bien car nous faisons un travail considérable
mais ne tient pas du tout à venir prendre conscience des dures réalités. Il
entend continuer à jeter de la poudre aux yeux de tout le monde et si on l’en
empêchait, cela ne lui plairait certainement pas. Cela rappelle ce qu’il m’a
dit au sujet de la monographie: « je ne vous demande pas de faire la
critique de l’établissement ».
E…
fulmine évidemment car non seulement il s’est fait posséder par R… qui a
accepté le détachement sans fournir de matériel mais, en plus, il se rend
compte que l’on est en train de monter un bateau monumental au Commandant du
Génie à Tana. R… passant par là le 20 Mars, cela ne va pas arranger les choses.
A quoi bon s’en faire, alors laissons un peu aller à vau-l’eau.
Dimanche
4 Mars.
J’attaque
le journal de la journée pas très sûr d’arriver au bout car mes yeux se ferment
irrésistiblement.
Nous
sommes partis ce matin à 4 h 30. Je m’étais levé à 3 h 15, avais mis la “Vesta”
en route et à 4 h, dix membres de la mission pouvaient déjeuner normalement.
C’est fou ce que des attentions de ce genre peuvent marquer les types (quand on
n’a pas affaire à des truands).
Notre
équipe comportait 6 candidats, le Lieutenant, P…, D…, deux sapeurs et moi. Je
dis candidats car effectivement nous étions tous candidats à la fameuse
descente d’Entrecastaux réputée infaisable et qui jusqu’ici n’avait été tentée
que par H…, l’ingénieur Météo, chef de la mission précédente et le Docteur D…
après deux jours d’efforts. Nous devions, ce matin essayer un autre chemin où,
disait-on, avec un rappel de 5 mètres sur un rocher un peu lisse mais incliné
on devait passer. Nous avons donc fait la route camp, Faux-sommet, Dives,
entrée de l’entonnoir. Après le petit passage en question que Paulian a
d’ailleurs passée sans corde il y avait une falaise de 20 mètres verticale
cette fois. Je n’ai personnellement pas insisté et suis remonté 50 mètres plus
haut où je croyais deviner que H… et D… étaient passés.
Nous
étions là depuis près d’une demie-heure avec P… et les deux sapeurs et le
lieutenant et D… n’étaient toujours pas de retour. Du surplomb où nous nous
trouvions, la descente, ce qu’il en restait 350 mètres de dénivelée environ,
paraissait vraiment très accessible. Je suis parti en reconnaissance et sans
effort, sans difficulté je me suis retrouvé sur le plateau d’Entrecastaux. Il
était trop tard pour que le reste de l’expédition suive et je les devinais un
peu fatigués. Ils étaient bien petits là-haut sur leur crête. J’ai fait une
rapide incursion dans la rookerie de manchots et je n’ai pas tardé à le
regretter.
Lundi
5 Mars.
Je
reprends ce journal à 8 h 25. j’ai passé une bonne nuit. Réveillé à 6 h 30 j’ai
déjà fait le tour des jardins, visité le chantier de la porcherie, rechargé en
fréon l’armoire frigo et répondu à un message du Capitaine B….
Je
reprends maintenant la relation des événements d’hier. Je disais donc que je
n’ai pas tardé à regretter mon incursion dans la rookerie. En effet il y avait
tant de manchots que l’on ne savait pas où mettre les pieds. De mon piolet
j’écartais brutalement trois ou quatre manchots vers la droite, autant vers la
gauche, envoyais promener d’un coup de pied ceux qui étaient vraiment trop près
et malgré ça d’autres surgissaient de sous les touffes d’herbes donnant de
grands coups de bec dans mon pantalon. Un bruit assourdissant de trompettes,
une poussière écœurante de guano et de plumes, la chaleur au pied de ces
falaises, tout cela faisait une atmosphère écrasante. Au prix de nouvelles
difficultés je me suis frayé un chemin, toujours parmi les manchots, vers un
torrent magnifique roulant plein bord, comme au Fernand, une eau fraîche et
claire. Je me suis baigné, désaltéré, ça allait bien mieux. Le temps pressait,
nous avions décidé, dès le départ, de rentrer le soir même. Je n’ai donc pas pu
m’attarder ni aller jusqu’aux milliers d’albatros nichés à mi-pente. J’ai
attaqué aussitôt la remontée. Dés le départ j’étais fatigué par la traversée
acrobatique de la rookerie. D’autre part si les joncs offrent des attaches
solides pour la remontée, ils forment, étant couchés vers la pente autant de
barrières sur lesquelles il faut se hisser, où les jambes enfoncent; je
grimpais presque à quatre pattes. Vers 14 h 45 j’étais revenu parmi l’équipe.
J’avais en deux heures fait l’aller-retour sous les regards un peu envieux de
ceux qui étaient restés en haut. Le mythe d’Entrecastaux était tombé
brutalement. Tout le monde ne comprenait plus que, pendant six
mois 'l’entrecastite’ait régné. On se demandait comment l’équipe H…-D….
avait mis cinq heures à remonter ce que j’ai fait en une heure un quart.
Le
soir nous sommes rentrés au camp à 18 h 30 soit une demi-heure avant la nuit
ayant fait en une journée ce que beaucoup, tous, considéraient comme
l’expédition du “siècle”. Les bons joueurs, parmi les anciens de dire:
« on ne comprend pas! Pourquoi H… et D… nous ont dit qu’il fallait tant de
temps ».Les mauvais joueurs concluant, eux: « bien sûr que c’est
facile nous connaissions le chemin ».
En
fait l’exploit réalisé hier, qui n’en est pas un je m’empresse de le dire si
l’on considère la difficulté relative, a un sens que je ne soupçonnais pas au
départ.
Depuis
cinq ans les missions se sont succédé. Depuis cinq ans des générations de promeneurs
admirent d’en haut le magnifique plateau, ouvert à la mer, où nichent près de
deux cents mile manchots et des milliers d’albatros. D…, le médecin des troupes
coloniales, la première année avait essayé à bord d’une barque du Sapmer par la
mer. Il avait sérieusement risqué sa peau et en gardait un mauvais souvenir.
D’autres ont essayé les falaises, une véritable folie. Quand H… et D… ont
réussi vraisemblablement leur descente, il y a six ou huit mois. Le fait qu’ils
soient partis seuls a mis contre eux le reste de l’établissement qui comme
disait F…, ne parlait que d’Entrecastaux (d’où le terme d’entrecastite). Le
soir, quand les promeneurs sont rentrés, après une expédition de trois jours,
ils se sont heurtés à un mutisme général. Personne pour leur demander s’ils
avaient réussi. Par réaction H… et D… n’ont laissé sur leur expédition
absolument aucun renseignement.
Toujours
dans l’étude d’atmosphère qui entoure la balade d’hier, je me félicite d’avoir
associé à cette expédition tous ceux qui ont bien voulu venir. J’ai invité D…,
météo, qui était de repos; il n’était pas en forme et cédait sa place à un
autre météo. G… aurait voulu venir mais après l’histoire de la labo-photo et sa
bouderie il ne tenait pas à céder. J’ai eu le bon nez de dire à D…: « dites
à G… de ne pas s’arrêter à de petites histoires, s’il veut venir il sera le
bienvenu ». J’ai été bien inspiré, oh combien! Car, si G… n’a pas fait
partie de l’équipe il ne peut s’en prendre qu'à lui-même.
Ainsi
le mythe est tombé, mais ce qu’il y a de capital c’est que tous les
disponibles, tous les volontaires s’y sont associés. C’est aussi que j’ai ôté
au fait lui-même son auréole d’exploit, de record car la véritable difficulté
n’est pas d’ordre géographique, il n’y a pas de rocher, pas d’à pic, mais il y
a cette remontée de 700 mètres dans les joncs, les mousses, l’herbe qui est une
école de persévérance, de ténacité remarquable. Il fallait pour vaincre
Entrecataux plus de foi que de courage. Il fallait surtout, dès le départ
partir sans idée préconçue. J’étais bien décidé à ne jamais prendre de risque,
à me promener. C’est peut-être pour ça que j’ai réussi.
Il
n’en reste pas moins vrai que, quelle que soit l’importance que j’attache à
cette promenade, je réalise maintenant qu’il n’était pas sans intérêt que cette
victoire soit celle du ‘chef’. Peut-être faut-il voir là une aide de Dieu.
Lundi
5 Mars, soir: La question Entrecastaux passe au second plan et je retombe dés
ce Lundi dans les histoires administratives. J’ai reçu, ce matin, un message de
Ker signé de l’Adjudant-Chef radio D… ainsi conçu: » Votre papier, sujet
programme travaux remis hier à Mr R…. Semble n’avoir aucun programme et aucune
réponse sujet personnel Génie », J’ai trouvé l’histoire bien bonne. Puis
on m’a annoncé une phonie pour 16 h 15. J’ai eu R… au micro. Le dialogue a été
lamentable.
- R…
n’a pas de programme de travail mais il a été fourni, cependant, un vague
programme de travail au Commandement du génie à Tana dont il est plus ou moins
esclave.
- R…
n’a pas de matériel à nous fournir pour exécuter les travaux mais il se garde
bien de le dire.
- Non
seulement R… passera au large avec le ‘La Pérouse’ mais il est également peu
probable qu’il vienne en Avril puisqu’il dit être obligé d’être à Paris début
Mai.
Je
crois que R… doit avoir au point de vue politique de sérieux ennuis; est-ce
pour ça qu’il a remis son voyage en Australie?
R…
s’est très bien douté que nous avions le Lieutenant et moi pas mal de choses à
lui dire mais il ne tient pas plus que ça à les entendre.
Alors
zut! J’ai l’impression que je vais devenir un peu je m’en foutiste, si je peux.
Mardi
6 Mars.
J’ai
très mal dormi la nuit dernière. J’ai été long à m’endormir. Je me suis
réveillé très tôt, très excité et fatigué, aussi la journée n’a pas été des
plus brillantes.
J’ai
tapé ce matin quelques pages de la monographie et j’ai commencé à y placer les
premières photos.
À 14
h j’ai été avec P… essayer de faire brûler un éléphant de mer que P… avait
découvert mort et dans un état avancé de putréfaction. Depuis trois jours le
camp était envahi par des effluves assez peu ragoûtants. Nous avons réussi à
brûler toute la couche de graisse, espérons que cela diminuera d’autant les
émanations car 1500 kgs de viande, ça promet.
Vers
15 h 30 j’ai fait le dentiste puis je me suis attaqué à lever le plan de
l’hôpital. Espagnon me fera le dessin et les tirages.
J’ai
eu vers 15 h un coup de pompe, le repas passait mal et je me serai bien couché
si je n’avais pas eu du travail. Maintenant je suis en pleine forme. Il faut
dire que ce midi j’ai bien trop mangé: je me suis gavé de langoustes et de
nouilles au gratin.
Mercredi
7 Mars.
Belle
journée, ciel bleu, soleil relativement chaud. Il faisait bon travailler.
Toute
la journée, les sapeurs ont fait partir des mines au ras de l’hôpital posant
les derniers mètres de tuyaux. Il n’y a toujours pas d’eau dans le bassin mais
il n’y a d’eau nulle part et si la sécheresse continue, il n’y aura plus d’eau
à la mare aux éléphants de mer. La dernière pluie importante, digne de ce nom,
remonte à notre voyage à St Paul c’est-à-dire au 10 ou 11 Janvier
J’ai
travaillé ce matin à la monographie puis j’ai préparé une nouvelle série de
photos. Ce soir je suis parti vers le Dumas et j’ai réussi une photo du
troupeau de vaches du Dumas.
E…
m’a ensuite invité à voir le premier forage à la mare aux éléphants de mer. On
a fait partir 2 mines une de 4 kgs d’explosif, l’autre de 5 kgs. Cela a fait de
beaux entonnoirs de 2 mètres de profondeur mais le fond est une boue
extrêmement molle et il sera difficile de dire ce qu’il y a dessous.
J’ai
ouvert, aujourd’hui; avec une note de service à la clef, le labo photo.
U… a
été en mer et a fait, encore, une pêche excellente.
D…,
D… et G… ont été au bois de phylicas; c’est une balade moyenne. D…, dont c’est
la première sortie en est revenu effondré et déçu. Décidément on se demande à
quoi il peut s’intéresser... 0h! à sa pipe sans doute.
À
propos de cette ballade de météos, on se demande si la station peut marcher
avec deux types ou si le travail a été laissé en plan.
F… a
repris sa vie normale, il ne boude plus; G… revient mais très doucement.
J’attends.
P…
m’a invité ce matin à venir, dans une prochaine mission, ouvrir la station des
îles
Crozets.
Il a l’intention d’y partir comme chef d’établissement. Le pauvre il ne se rend
pas compte que, à moins d’y être encore obligé, je ne risque pas de quitter ma
mie d’aussitôt.
Jeudi
8 Mars.
Je me
suis réveillé très tôt mais je suis resté au lit et j’ai pu sommeiller jusqu’à
6 h 30. Bonne toilette avec l’eau chaude des douches de la veille, tour de
jardin rituel.
Puis
j’ai tapé à la machine toute la journée. Demain soir j’aurai probablement
terminé la première partie de la monographie. J’en suis actuellement à 14 pages
dactylographiées et 5 pages de trois photos chacune.
Je
serais content si, le 18 Mars j’en aurai complètement terminé avec cette
question. J’aurai alors une semaine pour m’occuper de repeindre extérieurement
la baraque Fillod. Je pourrai ensuite attaquer le deuxième grand problème: les
prévisions budgétaires pour Octobre et l’année 57.
Beau
temps actuellement sur l’île Amsterdam mais la température diurne baisse tout
doucement et je commence à mettre un tricot de laine.
E… a
définitivement débarrassé l’ensemble du chantier d’adduction d’eau. Il attaque
demain la partie topographique proprement dite.
P… a
reçu de mauvaises nouvelles de chez lui. Sa femme lui demande de rentrer.
Madame P…, professeur, en disponibilité, reprend après Pâques son travail à
Evreux. Sa belle Mère (Mme P… mère) à qui elle devait confier ses trois filles
a 67 ans et est fatiguée.
La
situation de P… est extraordinaire car chargé d’une mission ‘gratuite’ par le
muséum il n’a aucun traitement. Il travaille pour la science pure pour
l’instant. J’ai l’impression que c’est sa femme qui fait bouillir la marmite.
Ce n’est pas drôle quand le mari se trouve à des milliers de kilomètres, quand
les enfants ont une santé moyenne et quand les beaux-parents ne sont plus en
mesure de pendre la relève. Jusqu’à quel point P…, en partant (ce n’est pas la
première fois il a déjà fait l’Indochine et Kerguelen) est-il conscient de ce
qu’il laisse derrière lui? Difficile à dire on ne connaît absolument rien de
son but.
Autre
question moins importante et surtout moins intéressante, c’est le cas
D… qui comme les autres météos se tape une partie du travail de D… aurait
voulu avoir, ce midi, une explication sur un phénomène qui l’intéressait. Il y
avait, au-dessus de strato-cumulus qu’il avait observé quelques cirrus dont il
ne comprenait pas la signification. Réponse de D…: « d'abord c’est mon
jour de repos », il a été se promener hier après-midi, « et puis je
m’en fous ». Un moment après P… et moi l’invitons à venir à la Dive
(sachant très bien qu’il a horreur de la marche). Réponse: « quel intérêt? ».
« Mais voyons, il y a sur la Dive un micro-climat particulier ». D…:
« je m’en fous du microclimat ».
Ce je
m’en foutisme est-il une attitude adoptée ou correspond-elle à une réalité
profonde?
Vendredi
9 Mars.
La
monographie et en bonne voie. Elle devient, petit à petit, plus qu’un simple
rapport, un petit ouvrage qui, je l’espère, plaira à ma Mie car c’est un peu à
elle que je pense en faisant ce travail. Je voudrais qu’elle y trouve un peu de
tout ce qui fait ma vie quotidienne.
Il me
reste encore bien des choses à taper : service mécanique, radio, météo,
travaux du biologiste et travaux du génie, projets, conclusions. Cela
représente un travail considérable mais qui peut aller plus vite car je n‘ai
plus, personnellement que les conclusions à rédiger.
Journée
grise de crachin continuel. Les sapeurs qui avaient attaqué le nouveau chantier
du garage ont dû abandonner.
U…
qui a été à la chasse est revenu bredouille car, quand il pleut, les vaches
sont très haut et de plus ne bougent pas. Elles restent plantées sur place, le
cul au vent, la tête basse. C’est tordant de les voir.
E…
qui avait commencé la topographie a lui aussi été obligé de se replier sur sa
chambre où il a travaillé pour moi à établir le plan de l’hôpital.
Ce
midi, au réfectoire, il y a eu un phénomène curieux. Les météos arrivent
systématiquement cinq minutes en retard. À 12 h 30 tout le monde sauf les
météos était à table, L’atmosphère était détendue, cordiale. Tout à coup les
cinq météos rentrent. Cela a produit l’effet de cinq intrus arrivant au milieu
d’une bonne partie. Immédiatement le réfectoire est redevenu le réfectoire et
rien que ça.
Samedi
10 Mars.
Fin
de la 36e semaine. 8 semaines avant le départ du courrier et 4 ou 5 avant le
départ du Sapmer.
Reçu,
à 18 h, un doux message de ma Mie; il me fait oublier une journée qui n’est pas
des plus jolies.
Réveillé
à 4 h ce matin j’ai été obligé de me lever vers 5 h 30 fatigué de me tourner et
me retourner dans mon lit. Petit-déjeuner, grand tour des jardins; les pommes
de terre du jardin du capitaine ne veulent pas sortir.
À 7 h
j’ai pris G… au passage et lui ai expliqué qu’il n’était pas visé par le tour
de vis donné au labo photo. Je l’ai invité à venir à Entrecastaux demain. 1) Ça
ne l’intéresse pas (comme c’est bizarre pendant que j’étais à St Paul ils ont tenté
de descendre à la corde la falaise; je ne l’ai appris que beaucoup plus tard.
2) Ils savent très bien que c’est très facile, ils n’ont jamais essayé vraiment
de le faire.
Je ne
dis rien mais je suis un peu écœuré car je joue le jeu franchement, je n’ai
cherché aucune gloire aucune revanche et pourtant tous les météos jouent les
hypocrites, D… a mal aux reins, G… est fatigué et ça ne l’intéresse pas, G… je
viens d’en parler. Seul D… n’ose plus demander à ses camarades de le remplacer.
Je
rappelle ces faits en essayant d’être objectif, puis pour camper l’atmosphère
qui n’est pas des plus jolies. Cela n’a cependant rien de catastrophique car
j’ai une force immense à opposer, c’est ma joie intérieure.
Autre
histoire qui ne me concerne pas directement mais dans laquelle j’ai été obligé
de prendre parti: C’est avec F….
F… avait cogité un plan de garage, un travail d’amateur digne des
missions précédentes. E…, pour essayer de rattraper quelques vices de forme a
fait établir un plan dans les règles par son 2 em classe ingénieur, B…. F…,
d’une mauvaise foi évidente, a cherché la petite bête et a refusé les
aménagements apportés à ‘l’œuvre de sa vie’ comme dit B…. Résultat, E… a retiré
ses sapeurs du chantier et je retire la dotation ciment ne tenant pas à couvrir
un travail à la ‘va comme je te pousse’. F… n’est bien sûr pas content mais
qu'y faire?
Il y
a eu, quand même, une satisfaction dans cette journée mais je ne m’emballe pas
trop sur les éloges de R… qui cherche peut-être en ce moment à calmer mon
ardeur. Je cite quand même: « En quittant territoire, vous adresse
expression ma sympathie et mes félicitations pour le redressement magnifique
opéré dans évolution votre établissement Stop Transmettez votre personnel
assurance mon affectueuse estime stop R…. »
J’ai
immédiatement pondu une note de service faisant part à ‘Tout’ le personnel (je
n’ai pas l’intention d’être vache bien au contraire) y compris les Malgaches,
des félicitations et de l’estime. J’ai évidemment passé sous silence l’histoire
du redressement car quoique les météos ne cessent pas d’esquinter le père
H…(ancien chef de mission ils trouveraient pour une fois qu’on y va un peu
fort. H… n’est d’ailleurs pas en cause et je crois que c’était un type de
valeur de même que V… mais il a été écœuré par le reste de l’équipe météo qui
au fond a eu sa peau car il est rentré absolument H.S.
Voilà,
ce n’est pas tout, fort heureusement, dans la vie du poste. E…, P… et moi
continuons à former une équipe solide à laquelle se rattachent les radios et le
marin. De toute façon la boutique marche et je suis bien décidé à la faire
marcher jusqu’au bout.
Ce
matin j’ai mis de l’ordre dans mes affaires. Cet après-midi nous avons ramené
de la terre à la cressonnière et je me suis un peu laissé aller à traînasser.
Si le
temps le permet nous ferons Entrecastaux demain à 9 ou 10, c’est-à-dire la
grosse expédition. Nous avons préparé 2 parchemins dans des tubes à essais et
nous emmenons, chacun, 1 kg de ciment. Nous comptons marquer notre passage
d’une façon durable.
Lundi
12 Mars.
10 h
du matin. J’ai mis à jour, hier soir, mon journal officiel mais je n’ai pas eu
le courage de poursuivre par celui-ci.
Nous
sommes partis 9 hier matin. Le lieutenant, P…, F…, M…, 4 sapeurs et moi.
Marchant très régulièrement nous étions à 7 h 30 au haut de l’entonnoir
d’Entrecastaux. Nous avons descendu la première moitié assez vite et sommes
arrivés au point d’où j’étais parti; la dernière fois, pour ma reconnaissance.
Nous avons cassé la croûte là; laissé le plus gros de nos affaires et attaqué la
dernière descente sur le plateau d’Entrecastaux. A 9 h 1/4 nous étions tous en
bas. Le nombre même de neuf montre qu’il n’y a dans cette descente aucune
difficulté majeure.
Après
les premières photos nous avons attaqué la traversée de la rookerie pour arriver
au rocher d’Entrecastaux. Je n’avais pas donné de chiffres la dernière fois.
Maintenant on peut dire, d’après les cubages effectués qu’il y a plus de
100.000 manchots et 10 à 20.000 albatros sur le plateau et à flanc de falaise.
Nous
avons mis plus d’une heure pour traverser la rookerie. Nous mettrons plus d’une
heure encore à la retraverser; Comme disait un sapeur: « les manchots ont
volé aujourd’hui », car pour nous frayer un chemin nous étions obligés de
dégager les manchots à grands coups de pied. Lorsque quelques-uns, et cela
arrivait souvent, s’opposaient un peu trop fermement à notre passage on
les envoyait promener à quelques mètres. Le gorfou sauteur, nom de cette race
de manchots est habitué à dégringoler les pentes où il va nicher ou à atterrir
en catastrophe sur les rochers, une culbute de deux à trois mètres ne le gêne
pas du tout. Il n’y a donc pas eu de victimes hier.
Nous
sommes arrivés au pied du rocher d’Entecastaux vers 10 h 1/2. il existe entre
le rocher et la terre une sorte d’isthme qui sépare le plateau d’une plage où
se trouvaient 4 ou 500 otaries donc plus de la moitié jeunes de l’année. Du
haut nous admirions les ébats nautiques de ces petites otaries dont une
centaine étaient à l’eau.
Nous
avons coulé, sur l’isthme, une petite dalle en ciment à côté d’un petit cairn
laissé par H… et D…. Un papier portant: H…, D… 15 Octobre 1955 nous a montré
qu’ils étaient arrivés jusqu’au rocher. Ce qu’il y a de regrettable c’est
qu’ils ne nous aient laissé aucune indication. Quoique maintenant cela n’ait
plus aucune importance. Nous avons scellé deux tubes à essais cachetés portant:
‘2 èm reconnaissance d’Entrecastaux” et les noms inscrits à l’encre de Chine
sur parchemin.
Nous
avons entrepris, alors le chemin du retour en faisant un détour vers le haut
pour photographier les albatros sur leur nid. C’est vraiment curieux de voir
ces milliers d'énormes oiseaux au duvet blanc et soyeux comme du duvet d’oie
posés sur leur nid. Toujours un seul poussin par nid. Les nids sont tous à la
même distance les uns des autres, juste un peu plus que deux portées de bec.
C’est-à-dire qu’un jeune albatros ne peut atteindre un autre albatros mais le
moindre intrus entre les deux reçoit deux coups de bec. Lorsque l’on passe le
jeune albatros est moins querelleur que le manchot. Il se contente de claquer
du bec telles des castagnettes frappant au ralenti. J’ai assisté à plusieurs
reprise au nourrissage des jeunes. L’adulte arrive et se pose. Pour un albatros
atterrissant on ne peut pas dire qu’il se pose vraiment, en fait il se laisse
tomber car l’albatros ne bat pratiquement pas des ailes, c’est un planeur.
D’un
cri aigu l’adulte appelle son poussin; celui-ci, en piaulant, frappe de son
long bec tout noir le bec de l’adulte à petits coups rapides, répétés et
impatients. L’adulte semble se recueillir puis se baisse, tend son cou, fait un
effort et régurgite; il ouvre alors très largement son bec dans lequel le jeune
pêche de grosses boulettes nutritives. La scène recommence plusieurs fois de
suite.
Après
cette digression, nous avons repris le chemin de la montée. Un sapeur de la
Réunion est remonté au campement de l’arrêt casse-croûte en 40 minutes. Nous
avons mis une heure pour le gros de la troupe, d’autres 1 h 1/4. Le chemin que
tracé par moi la première fois et par la descente en masse était beaucoup moins
difficile. Les joncs couchés étaient plus accessibles.
A 14
h 15 nous étions au pied d’une falaise, près d’une cuvette d’eau et nous
prenions le deuxième repas de la journée. Nous sommes repartis à 15 h 30 et le
retour s’est fait sans encombre. J’étais toutefois un peu plus fatigué que la
fois précédente mais dés le matin je savais qu’il en serait ainsi car je
n’avais pratiquement pas dormi dans la nuit de Samedi à Dimanche. De 22 H 30 à
3 h, heure à laquelle je me suis levé je n’avais fait que somnoler sans dormir
véritablement.
Nous
sommes arrivés au camp à 19 h 10. Il faisait nuit. Le repas a été plus détendu
que celui de Dimanche dernier. Les météos commencent à se faire à l’idée
d’avoir été coiffés sur le poteau. Ils ont bien lancé quelques sondages hier
soir; Notamment en demandant, alors qu’un sapeur bavard leur avait tout raconté
cinq minutes plus tôt: “avez-vous trouvé quelques traces du passage de Halt et
Dumas?” Pour l’instant les choses se tassent. Il est certain que si les météos
font Entrecataux un jour et y trouvent la dalle de pierre cela réveillera leur
rancune mais peu importe.
Je me
suis couché hier soir à 9 h 30. J’ai fait un gros effort pour veiller mais
vraiment j’étais vaincu par la fatigue. Aujourd’hui encore je ne suis pas d’un
dynamisme à tout casser.
12
Mars 21 h.
Je
n’ai pratiquement rien fait de la journée ayant traîné ma flemme toute la
journée. Je ne regrette rien car j’ai bien récupéré et d’autre part cela m’a
permis d’écrire un peu plus longuement à ma Mie.
Les
nouvelles de l’établissement: F… a repris, ce matin, le chantier de l’atelier.
Je lui en ai donné l’ordre à 8 h et il n’a présenté que très peu d’objections.
Le fait qu’hier on ait fait la balade à Entrecastaux sans lui parler de
l’atelier et en conversant avec lui comme si de rien n’était a absolument
renversé la situation. Il est certain que cette balade qu’il voulait faire,
qu’on lui avait fait miroiter la mission précédente, lui a fait un plaisir
énorme. D’autre part F… faisait, vis-à-vis des météos, un complexe
d’infériorité. Ce complexe est maintenant liquidé puisqu’il a été, lui, où les
météos ne sont jamais descendus.
Donc
le problème F… est résolu encore une fois. Par contre un problème qui, malgré
mes efforts, sera insoluble c’est le problème G… car d’après ce que j’ai appris
aujourd’hui G… a vraiment essayé de soustraire de l’hyposulfite. Le soustraire
ou tout au moins le réserver pour les petits copains. En frappant un grand
coup, je l’ai donc atteint directement et cela il ne me le pardonnera jamais.
Peut-être le malentendu météo qui reste latent disparaitra-t-il avec la relève?
Mardi
13 Mars.
Journée
calme. J’ai fait une stérilisation ce matin. Mis un peu d’ordre au labo. Puis
j’ai tapé, avec une lenteur désespérante les deux pages réservées au service
mécanique. Vraiment je n’étais pas inspiré et j’avais de la peine à modifier
les pages écrites. De toute façon je n’ai plus qu’ à attendre, maintenant, le
travail de D… pour la météo, de F… pour la Radio et d’…. P… m’a lu ce matin les
trois pages réservées à la biologie et me les tapera demain; il est bien plus
rapide que moi.
Ce
soir de 6 h 30 à 7 h j’ai été à la chasse aux rats. J’en ai tué deux. Si je
tuais à Breil les lièvres aussi facilement que les rats à la nouvelle Amsterdam
je serais drôlement à la fête.
Au
point de vue établissement, rien de sensationnel. F… et les maçons travaillent
toujours à l’atelier mécanique dont B… a mis au point les plans.
A
propos de cet atelier, H… mon prédécesseur, ne s’est pas du tout rendu compte
du travail que cela représentait ni des matériaux qui étaient nécessaires. De
plus il a laissé faire un travail qui promettait d’être bigrement tordu. Les
maçons ont retrouvé des erreurs dans les fondations de plusieurs centimètres.
Encore un travail qui était bien de chez nous à la taille de ce qui a été fait
ici.
Je
n’ai pas encore résolu la question de savoir si je donnais mes films à
développer à G… ou non.
Le
canot a été mis une fois de plus à la mer. Nous ne savons plus quoi faire du poisson.
Le
temps, un peu de crachin ce matin puis beau temps frais les vents étant
descendus au Sud. Toujours pas de pluies importantes toutes les mares sont à
sec et l’on pompe actuellement dans la coulée.
Mercredi
14 Mars; Je me suis couché très tôt hier soir. J’ai passé une nuit correcte et
j’ai retrouvé ma forme. Le travail s’en est ressenti et j’ai fait, dans ma
journée, pas mal de choses.
J’ai,
entre-autre, terminé les mesures intérieures des baraques. Espagnon se trouve
du coup, avoir du pain sur la planche. Donc meilleure forme de mon côté,
meilleur rendement.
Au
point de vue établissement, j’ai reçu ce matin le travail de D… pour la
monographie. J’ai été agréablement surpris car ce travail révèle par son
volume, par les idées qui y sont émises une collaboration à laquelle je ne
m’attendais pas. Il faut croire que je ne suis pas devin et que relativement,
je ne connais pas encore mon monde. Je crois que je me demandais, un jour, si
l’indifférence de D… n’était pas feinte. Je crois aujourd’hui qu’elle cache une
certaine timidité. Il faut que je fasse en rentrant, à tout prix, de la Psycho,
c’est indispensable.
Reçu
également le travail de P… qu’il m’a tapé en cinq exemplaires. C’est donc, pour
moi, un travail en moins
D… a
fait le pain et en même temps nous a fait des choux à la crème très réussis.
Deux
sapeurs travaillent maintenant aux jardins. On vient de refaire un petit jardin
dans une coulée. Ce jardin est devenu un petit bijou.
Donné
ce matin une consultation radio au Sapmer.
Jeudi
15 Mars.
La journée
a été fertile en événements et en enseignements.
Je me
suis réveillé ce matin très tôt avec la pluie. Un ‘front chaud’ disait les
météos s’annonçait les prenant un peu au dépourvu. Vers 8 h il pleuvait très
fort et nous avons eu, à regarder la goulotte de l’aire de ramassage débiter,
un plaisir de gosse. Cette eau, il n’est tombé que 17 mm mais en peu de temps,
a été la bienvenue. Elle a arrosé les jardins, rempli les mares et réalimenté
le bassin. Nous étions inquiets pour notre linge sale et théoriquement Lundi je
devais rationner l’eau. La pluie s’est arrêtée vers 10 h. C’est à ce moment-là
que j’ai appris que le Sapmer dont le malade n’allait pas mieux, (température
36°2, pouls 40), faisait route sur Amsterdam. Après le grain de ce matin la
cale était très difficile mais les vents tournant au Sud-Ouest les choses
devaient s’arranger.
J’ai
mangé vers 11 h au cas où, en embarquant je tomberais à la flotte, simple
précaution, et j’ai attendu.
J’étais
dans l’état où je me trouve quand je vais passer un examen. Je ne sais pas
pourquoi. J’ai été obligé de m’étendre un peu vers midi et de me détendre.
À 14
h, comme il l’avait annoncé, le Sapmer était devant l’établissement. Une barque
était mise à l’eau. L’embarquement à la cale ne présentait pas de grosse
difficulté. Seule la marée très forte submergeait la cale et le peu de houle
qu’il y avait se traduisait par des paquets d’eau de 30 cm déferlant sur le
rocher. Le gros problème était de ne pas se mouiller.
J’ai
embarqué, P… a suivi. À bord, petite conversation avec B… et là se place une
chose intéressante: B…, le breton peu bavard a profité de ma venue à bord pour
raconter ses petites misères et ses petites misères sont les mêmes que les
miennes. Il a du pour affirmer son autorité désarmer trois barques et mettre
les patrons au repos forcé. Mais cela s’arrangera, il le sait bien. C’est
amusant de voir combien la responsabilité du commandement peut peser sur les
épaules d’un homme qui ne peut s’ouvrir à personne.
Après
ce petit bavardage j’ai été voir mon malade. J’avais une certaine crainte car
il n’y avait pas place pour un juste milieu: ou bien c’était une sale histoire,
type anémie grave ou ce n’était absolument rien. J’ai eu de la chance ce
n’était strictement rien sinon que ce mécanicien se laissait aller fatigué par
la longueur de la campagne. Je l’ai ramené à terre où huit jours passés dans
une autre atmosphère, avec une série de cacodylate-strychnine vont le remettre
d’aplomb. J’ai constaté à ce sujet un phénomène curieux, difficilement imaginable.
Je suis arrivé dans la cabine où il y avait trois types dont mon malade couché.
J’ai bavardé, plaisanté avec les trois quelques minutes. Je me suis approché du
malade et tout en lui parlant j’ai pris, sans montre, son pouls... il battait,
j’en suis sûr à au moins 60 puis le fait de poursuivre l’expérience j’ai senti,
sous mes doigts le pouls se ralentir. Je savais ce que je voulais. T.A
absolument normale. Rien dans l’ensemble à part un autre facteur subjectif, la
fatigabilité. Comme dit Tournier peut-on appeler ce type là un névrosé?
certainement non.
J’ai
vu ensuite deux autres malades et j’ai hâté le départ car je sentais le mal de
mer me monter à la gorge... c’est désespérant ce truc-là!
Le
capitaine B…, avant de repartir pour St Paul a envoyé ce soir, vers 18 h, un
poisson très rare de la famille des thons. Paulian est à son affaire mais nous
espérons bien qu’il se contentera de la tête et de la queue pour mettre dans le
formol et que nous pourrons manger le reste.
Avant
de quitter, le Sapmer est venu nous saluer de trois coups de sirène. Nous
sommes rentrés en contact radio et avons échangé quelques amitiés.
Mauvaise
nouvelle, le Sapmer pêche très peu et a d’autre part du gas-oil pour 9
semaines. Il n’a donc pas de raison de débanquer avant. B… parle de ne quitter
la Nouvelle-Amsterdam que vers le début de Mai. Je suis désespéré pour ma
petite caille qui doit attendre le courrier avec impatience.
Vendredi
16 Mars.
A
l’opposé de la journée d’hier, cette journée a été d’une banalité telle qu’elle
pourrait passer pour la journée type, tant du point de vue du temps qu’au point
de vue activité.
Le
temps acceptable ce matin a viré à la tempête en fin d’après-midi. Ce soir il
fait un temps de chien. Par moments le vent butte avec une telle force sur la
baraque que celle-ci accuse le coup et vibre jusque dans ses fondations.
Chacun,
dans son rayon, a bien rempli sa journée: le lieutenant et B… au lever de plan,
F… et les maçons à la construction de l’atelier. Les météos ont lancé deux fois
ce matin le premier ballon-sonde ayant crevé à 6.000 m environ. F…, le radio
m’a remis son topo pour la monographie. P… a tapé son rapport pour R… (rapport
d’activité). Et moi j’ai fini ou presque le chapitre météo. Demain midi il ne
me restera plus qu’à incorporer le chapitre 'Génie’ et la monographie sera bouclée. Seules les photos me
retarderont encore un peu.
J’oubliais
que j’ai également fait de la médecine ce matin puisque j’ai passé une visite
d’aptitude à deux sapeurs qui rempilent de 6 mois et j’ai également donné une
importante consultation à P… au sujet de son cœur.
Mon
marin malade va très bien. Il a fait une excellente balade ce matin; a
ascensionné (pour voir si son cœur battait plus vite...) un cratère. Pouls en
haut: 70 c’est lui qui l’a pris. Puis il m’a dit ce soir qu’il avait peur de
faire comme un de ses camarades l’année dernière quelque chose au poumon.
Et
voilà la journée bien remplie car j’étais en excellente forme ayant bien dormi
la nuit dernière. J’ai fait surface à 7 h 1/4. C’est, je crois, la deuxième
fois que ça m’arrive depuis que je suis ici.
Oh!
il faut que je raconte une petite histoire qui situe très bien la mission
précédente et l’esprit qui en résulte. G… est à nouveau en cause. Les météos
ont installé, pour l’observation qui commence à 4 h du matin un poêle à mazout,
à partir de 7 h il y a le chauffage électrique. G… l’a installé et le tuyau
monte en diagonale. Je rentre à la météo en disant: "mais ce tuyau est
tordu" (je ne savais pas que je mettais les pieds dans le plat). P… arrive
une minute après disant: « mais c’est tordu ». J’ai essayé alors de
trouver une solution et G… de dire: « on a l’expérience d’une année et du
moment que ça marche comme ça, je ne vois pas ce qu’il y a de gênant à avoir un
tuyau un peu tordu ». Je n’ai bien sûr rien ajouté mais j’ai trouvé ça
vraiment formidable.
Samedi
17 Mars.
J’ai
tapé toute la journée. Fort heureusement le poste radio marchait très bien et
j’ai eu, presque tout le temps, de l’excellente musique de jazz. Cela m’a fait
avaler la purge sans trop de difficultés. Je suis quand même content d’avoir
terminé ce soir de taper la monographie. Il me manque le chapitre réservé au
génie mais le lieutenant a tellement de travail que je n’ose pas le bousculer,
d’autant que rien ne presse.
Ce
soir, petite détente, j’ai été chasser les rats.
Je ne
sais pas ce qui se passe, le message n’est pas arrivé. C’est la deuxième fois
en trois semaines. Je vais faire contrôler la date du départ de France et si
nécessaire faire avancer le départ de 24 heures.
Dimanche
18 mars.
Bon
dimanche dans l’ensemble. Le fait de rester au poste m’a permis de mettre à
jour un certain nombre de choses- compte rendu de quinzaine à la DSS (Direction
du Service de Santé)- Certificat de visite pour les deux sapeurs qui
prolongent- reconditionnement de ma cantine habillement où j’ai rentré certains
effets inutiles- repassage de 2 treillis et 2 chemises- J’ai mis mon linge
blanc à tremper- J’ai rangé ma chambre car au bout de 48 h elle a l’allure d’un
véritable chantier, etc. J’arrive donc à ce soir, il est 21 h 30, content du
travail accompli. Le fait d’avoir été obligé de travailler à mon bureau 3 ou 4
jours cela m’a donné une certaine continuité. Il faut dire que le temps qui a
vraiment changé depuis trois jours n’incite plus à la promenade. On se trouve
vraiment bien chez soi.
A
l’établissement journée de menus travaux dans l’ensemble à part U…, D… et mon
malade qui ont été au bois de phylicas. Le lieutenant a tapé le chapitre
‘Génie’ pour la monographie et fait sa lessive. P… a lavé également. D… a
dépanné son poste de TSF sans savoir ce qu’il avait.
L’atmosphère
du poste est à la grande détente, pourvu que ça dure.
Lundi
19 Mars.
Il
est 22 h 10. j’ai fait de la photo ce soir et c’est pour moi une corvée. Je
n’arrive pas à trouver un intérêt à cette petite cuisine. Pour commencer les
deux films que j’ai développés sont excellents mais le temps de développement
que l’on m’a donné ne doit pas être très exact et mes négatifs sont plats.
Heureusement cela se rattrape au tirage papier.
Je
suis très fatigué ce soir car j’ai usiné toute la journée comme un beau diable.
J’ai, dès ce matin 7 h 1/2 mis ma lessive à bouillir et pendant que la lessive
mijotait j’ai commencé à piquer les tôles de la baraque. Quel travail!
J’ai
repris à 13 h 30 en lavant mon linge blanc ainsi que deux ou trois bricoles
appartenant à l’hôpital. Je devais avoir 5 ou 6 slips, 4 ou 5 tricots de peau,
4 serviettes éponge et 5 ou 6 serviettes nid d’abeille et j’ai terminé vers 16
h absolument éreinté car il n’est vraiment pas commode de laver dans ce pays.
J’ai attaqué à ce moment-là la préparation des produits photos car j’ai besoin
des négatifs pour la monographie. J’ai passé à cette préparation près de trois
heures. Repas du soir rapide et je me suis mis à tirer les deux négatifs.
Quelle journée!
Reçu
ce soir le message d Vonette qui a mis 7 jours à me parvenir. Je ne sais pas ce
qui s’est passé. Une phrase me laisse rêveur dans ce message: « te
souhaite satisfait, ai fait maximum ». je ne comprends pas et cela
m’inquiète.
Dans
le poste peu de choses, mon malade a été au faux sommet avec G…, pour un
déprimé, il se porte et se comporte pas si mal que ça.
G…
est de plus en plus sur le chemin du retour et devient presque agréable à
nouveau.
P… a
fait un timide essai pour emballer les premières pièces de sa collection.
Mardi
20 Mars.
Levé
à 6 h j’ai étendu mon linge, rincé mes deux films et écrit à ma Mie avant 8 h.
Il y a eu après un instant de flottement car j’avais l’intention de reprendre
le travail de peinture de l’hôpital mais le crachin m’en a empêché. J’ai
commencé les commandes de médicaments pour Octobre et vers 11 h 1/2 me trouvant
à la pharmacie j’ai réfléchi pour la troisième fois au moins au moyen de faire
un petit digestif pour mes invités. Je ne disposais pas de grand-chose ni
teinture de quinquina ni rien. En définitive voici la formule qui a été
hautement appréciée par B…, E… et P…: Sirop d’orange amère, Rhum avec deux
gousses de vanille en macération (de chaque 300 c environ), un gobelet d’alcool
à 95°, quelques gouttes de teinture de cannelle, quelques gouttes d’un
médicament, un amer, Angusturyl.
Cet
après-midi j’ai pu reprendre les travaux de peinture. Il se confirme que c’est
un travail de Romain. Mais il faut le faire. J’espère cependant ne pas y passer
plus de 10 jours.
À 18
h, j’ai arrêté le travail, fait ma toilette, j’en avais bien besoin et j’ai
développé un film pris à Entrecastaux. J’ai augmenté le temps de développement
et les résultats paraissent excellents.
21 h
je suis à ce journal et ne serai pas long à aller me coucher. J’ai préparé ce
matin et rédigé ce soir le message hebdomadaire.
Le
lieutenant gêné par la pluie a dessiné les plans du dortoir. B… est toujours
sur le projet de garage.
Malgré
le crachin les maçons ont monté un bon petit bout de mur à l’atelier.
Paulian
a découvert une nouvelle inscription et m’a demandé d’aller un de ces jours la
déchiffrer avec lui. U… est sorti deux fois en mer aujourd’hui. Il a fait, cet
après-midi, une très bonne pêche, mon malade était avec lui.
D…
n’en ‘fout pas lourd’ j’ai l’impression mais peut-être n’est-ce qu’une
impression.
L’atmosphère
du poste est toujours à la détente.
Mercredi
21 Mars.
Verrais-je
la fin de ce cahier avant le départ du bateau?
Temps
moyen, pas de pluie de la journée mais il a plu la nuit dernière et il pleut ce
soir.
J’ai
travaillé toute la journée, sans me laisser distraire un seul instant à la
baraque. Cela n’avance pas vite. J’aurai demain soir, s’il fait beau temps, un
aperçu sur la durée du chantier;
Ce
soir entre 6 h 1/2 et 7 H 1/2 j'ai développé le dernier film d’Entrecastaux.
C’est un Ferrania et il est nettement supérieur au film Kodak. J’ai pu voir
bien que je ne l’ai pas totalement déroulé de très belles photos.
Le
lieutenant continue ses visées. B…, ce soir, a fait tomber le théodolite. On
espère que l’appareil n’est pas faussé sinon le travail du lieutenant est
terminé
U…
fabrique une petite voile pour le canot.
Deux
sapeurs ont commencé à aménager le grand jardin derrière les scories.
D… et
G…, deux météos, m’ont demandé de leur couper les cheveux. Signe du temps,
l’entente règne en ce moment. D… m’a demandé la clef du labo photo, autre
signe. J’ai d’ailleurs l’impression que G… a donnée à D… son stock de papier
photo.
D…
casse toujours bien la croûte mais commence à devenir susceptible sur le sujet.
Son copain U…, le marin, l’appelle ‘gros’, « alors tu viens Gros ».
Ils s’entendent tous les deux comme larrons en foire.
Jeudi
22 Mars.
Journée
aussi bien remplie que la veille. Je ne pense pas continuer à ce régime car ce
soir j’ai presque mal au crâne. J’ai donc décidé de dormir une bonne nuit et de
mettre un ralenti à mon travail, quoique d’un autre coté, je voudrais en finir
le plus vite possible.
Donc,
à part une radioscopie à mon malade ce matin pour le tranquilliser, peinture,
piquage, brossage toute la journée. Mon malade m’a d’ailleurs donné un sacré
coup de main ayant travaillé toute la journée avec moi.
Un
seul événement d’importance à part les banalités du jour: U… à la pêche, les
maçons travaillant à l’atelier, les météos à leur double lancé, le premier
ballon ayant crevé à 5.000 m, les boys retapant l’arrière-cuisine etc.
Cet
événement du jour c’est la phonie d’E… avec Tana militaire. A l’autre bout du
fil (hum! ça va mal: à l’autre bout du fil?) donc à l’autre bout: Le Commandant
du Génie, le lieutenant L… remplaçant d’E… et madame E... L’entretien a duré
une demi-heure et était instructif par certains cotés. Tout d’abord R… est
passé à Tana ce matin et il a donné comme programme de travaux: le programme
que je lui ai adressé il y a quelques jours sans y changer une virgule.
Programme établi en accord avec E…. Nous nous sommes donc bien amusés en
entendant le commandant nous faire l’énumération des travaux.
R… a
une fois de plus promis l’aide des civils alors qu’il sait très bien, je le lui
ai maintes fois télégraphié, qu’aucun texte ni les possibilités horaires ne
permettent de compter sur les météos.
Significative
aussi cette vacation sur la personnalité du lieutenant L…: « Y a-t-il du
bois sur place? » « oui, répond E… du bois d’épaves! ».
« Fait-on du béton? »- «Pour en faire on en fait ». Nous avons
réalisé trop tard que l’on aurait pu lui répondre que « l’on pétrissait le
béton à la tonne ». Faut-il apporter des bouquins sur les terrains, les
sols?... Si on ajoute à ça que d’après E… le lieutenant L… est un taciturne ça
promet, mais de toute façon j’ai comme qui dirait une petite idée. Le programme
cette fois c’est mon programme alors il n’y a pas de raison pour que ça ne
marche pas. Pour moi je vois la possibilité de faire évoluer le camp.
Vendredi
23 Mars.
La
semaine est bien malade mais n’anticipons pas c’est demain soir qu’elle sera
enterrée définitivement.
Nouvelles
du jour: J’ai passé la plus grande partie de ma journée sur le toit de la
baraque. J’ai été sérieusement aidé par M…, un radio et par mon malade. Le
dessus est entièrement fait, la façade Ouest également, la façade sud au 3/4.
Il reste les faces Est et Nord. Je ne pense pas y travailler demain ou
peut-être y travaillerai-je le matin pour finir la face Sud. Je reprendrai
ensuite, si le temps le permet Lundi. Dans l’état actuel des choses, si le
temps ne vient pas interrompre les travaux, j’aurai vraiment terminé à la fin
du mois. Il me restera 3 ou 4 semaines pleines pour faire les prévisions
budgétaires et les commandes.
Il
faut quand même que je réserve trois ou quatre jours pour mes papiers, mes
lettres etc. Il ne faut pas que je compte le faire début Mai car à ce moment-là
on travaillera à préparer le débarquement.
Le
canot a été mis à l’eau encore aujourd’hui. Je n’ai pas compté le nombre de
fois que cela fait mais ça doit-être confortable.
D… et
D…, météos, sont partis pour 36 heures. But Entrecastaux. P… les accompagne. Le
service météo peut donc fonctionner 36 h avec deux types en moins. J’ai justement
fait le projet de demander à tout le personnel de participer aux travaux de la
cale.
Le
plan du camp prend tournure, joint à la monographie, cela fera un bel ensemble.
Ce
soir à 17 h j’ai essayé de faire le dentiste, client B… avec une joue bien enflée.
L’anesthésie n’a pas marché et comme B… est un hypersensible, hyper émotif,
j’en ai bavé plus que lui. Quel métier!!
Samedi
24 Mars.
Levé
relativement tôt j’ai fait le tour des jardins que je n’avais pas vu depuis
quelques jours.
Vers
8 h, j’ai attaqué la peinture et j’ai pu terminer la face Sud un peu avant
midi. Après avoir nettoyé les pinceaux et rangé les outils j’ai fait peau neuve
et à midi et demi j’étais en tenue prêt à fêter la St Gabriel patron des
radios. Nous avons bu un apéritif en cet honneur.
À 14
h, j’ai attaqué le repassage interrompu un instant par E… qui avait besoin de
mesures pour le plan du dortoir. J’ai terminé le repassage juste pour le thé de
16 h.
Après
le thé, j’ai mis un peu d’ordre dans ma chambre, rangé dans des protège-films
les deux derniers rouleaux et j’ai attaqué un travail que depuis longtemps je
voulais faire. J’ai fait un support pour la photo de mes deux pimprenelles (la
photo aux rhalas) support en bois d’épave. P… prétend que c’est du teck. En
tout cas je suis content de mon travail et tout heureux d’avoir enfin cette
photo sur mon bureau... Je ne sais pas pourquoi cette réalisation jointe au
message reçu qui a mis quatre jours pour me parvenir, a rendu ma fin de journée
bien douce.
Curieuse
réaction d’E… quand je lui ai dit que ma femme s’inquiétait de n’avoir pas reçu
de réponse à sa lettre. Il a joué les amusés et a essayé de me persuader qu’il
n’y avait pas longtemps que Mme E… avait reçu la lettre. Or il y a exactement
trois semaines. Le lieutenant a-t-il joué la comédie pour essayer de minimiser
la négligence de sa femme ou fait-il partie des gens sur lesquels on ne peut
compter qu’avec la plus grande réserve... Je finirai bien par le savoir.
U…,
D… et … essaient de faire de la conserve de langoustes. Ils espéraient faire la
stérilisation à l’hôpital. Je leur ai légué un vieil autoclave réformé qu’ils
chauffent au bois. Je préfère ça et ne tiens pas du tout à voir l’hôpital
transformé en usine.
J’avais
déjà fait mon journal hier soir quand l’équipe D…, D… et P… est revenue. Ils
ont trouvé du brouillard au faux sommet, donc pas question d’aller plus loin à
ce moment-là et ont trouvé tout d’un coup que coucher à la belle étoile cela
n’avait rien de drôle. Ils ont donc renoncé. Cela m’amuse car depuis longtemps
j’affirme que pour mettre toutes les chances de son côté, il ne faut partir que
pour 12 à 16 heures, les prévisions météos sont alors valables. Et coucher
dehors est une fatigue supplémentaire. On commence à convenir que je n’ai pas
tout à fait tort. Oui mais voilà cela change tous les principes.
Dimanche
25 Mars.
Je ne
me suis pas relevé de toute la journée du coup porté par l’histoire du lavabo.
En allant faire ma toilette ce matin, j’ai trouvé le lavabo bouché. J’ai
démonté le siphon, c’était bouché plus loin. J’ai essayé de démonter le tuyau
et ai été obligé de démonter l’urinoir et finalement le tuyau est venu avec le
tuyau de descente laissant un trou béant donnant sous le parquet de l’hôpital.
C’est là que je me suis aperçu que, depuis belle murette, l’eau croupie, les
urines, tout partait sous l’hôpital. Cette histoire venant après celle de la
peinture mal faite ou pas refaite m’a complètement achevé. Je ne peux pas
concevoir un pareil détachement de la part de ceux qui ont fait ou présidé aux
travaux.
J’ai
quand même travaillé un peu dans ma journée. J’ai remis de l’ordre à la salle à
pansements et au cabinet de dentisterie, reconditionné ou repréparé mes boîtes
à seringues, rangé une étagère. Ce soir, à part le cabinet de toilette,
l’hôpital est parfaitement en ordre. J’ai eu sur le coup de 17 h une bonne
petite crise de découragement. À 18 h, j’ai été à la chasse aux rats, j’en ai
tué 4. Vers 18 h 30 E… est venu me parler de ses projets pour la semaine et la
semaine à venir. Il m’a également promis de demander à sa femme si elle avait
répondu à Vonette.
Après
le repas du soir nous avons discuté implantation de bâtiments et cela m’a
redonné confiance.
Il
est 21 h 30, ça va enfin bien mais ce dimanche aura été vraiment pénible non
pas au point de vue solitude, ennui mais au point de vue épreuves. Épreuve du “
chef” conscient des responsabilités qu’il supporte et qui n’a pas son second
soi-même pour vider son cœur.
Peu
de choses nouvelles à l’établissement à part que D… voulait aller à
Entrecataux, mais pas un seul de ses copains météos n’a voulu l’accompagner. Il
était déçu, ça se comprend mais qu’ils se débrouillent entre eux. En tout cas,
comme je l’avais dit au début de la mission, je me suis opposé à ce qu’il parte
seul. Il a d’ailleurs fort bien compris ma position.
Lundi
26 Mars.
Bonne
journée dans son ensemble; F… s’est attelé au cabinet de toilette et a fait du
bon travail dans la journée. Demain midi tout sera terminé, un coup de peinture
sur les différentes soudures et ça ira certainement mieux qu’avant. En
agrandissant le trou, ce matin, donnant sous le parquet de l’hôpital, nous
avons pu voir que les fondations baignaient littéralement dans une boue infecte
à quelques centimètres à peine sous les parquets.
Moi
j’ai repris mes travaux de grattage et de peinture, mais la bruine a interrompu
mes travaux vers 16 h. J’en ai profité pour rédiger les conclusions de la
monographie après une bonne toilette. Puis j’ai été vers 17 h 30 bavarder une
demi-heure avec Espagnon. Nous avons noté une chose intéressante c’est que D…
attend vraisemblablement lui aussi le départ de ses deux fortes têtes. Il est à
peu près certain que quand il aura repris son personnel en main, il collaborera
beaucoup plus au travail de l’établissement. Une chose est significative: D…
s’est offert ce matin pour nettoyer la douche à son tour. Il m’a dit:
« vous le faites tout le temps, si vous voulez Mercredi je le
ferai ».
Le
lieutenant a terminé son petit chapitre pour la monographie. Il m’a amené ça
dans une chemise reliée avec grands titres et dédicace: « pour le toubib,
avec les plans c’est tout ce que j’ai pu pondre pour cette sacrée
monographie ».
En
résumé tout semble aller très bien.
Mardi
27 Mars.
J’ai
passé ma journée à piquer, brosser et peindre au minium la façade Est de l’hôpital.
Je pense, s’il fait beau temps avoir terminé vendredi midi ou soir cette
plaisanterie.
Pour
terminer une journée déjà bien remplie, j’ai peint les records dans le cabinet
de toilette. Petit à petit ce cabinet de toilette s’améliore et devient de plus
en plus confortable.
En
terminant ce soir à 19 h après une journée de 9 h 1/2 à 10 h de travail manuel,
j’en avais vraiment assez.
Le
lieutenant termine le calque du plan du camp. Cela fait un très joli travail.
De plus, ce matin, les premières visées à la mare aux éléphants de mer ont été
faites.
D… et
U… ont essayé de faire un vivier à langoustes. Je n’ai pas vu leur travail. Il
est regrettable que ça leur ait pris comme la colique. Je n’ai donc pas pu voir
ce qu’ils avaient l’intention de faire.
Jules,
patron de barque du Sapmer m’a envoyé ses amitiés et compte me revoir à St
Malo. C’est lui qui nous a sorti du cratère à St Paul et il s’est pris d’amitié
pour moi. Je ne suis pas en peine pour aller à la pêche à Cancale quand je
rentrerai.
J’ai
invité, aujourd’hui, le capitaine B… et six hommes à venir manger à terre
Dimanche.
Mercredi
28 Mars.
J’ai
traîné hier soir jusqu’à 11 h sans avoir sommeil et j’ai eu du mal à m’endormir
écoutant le camp s’éteindre tout doucement. Dernier bruit du moteur 23 h 10. Ce
matin j’étais réveillé au petit jour et à 6 h je me suis levé ne pouvant plus
rester au lit.
J’aurai
pu faire une bonne journée mais le crachin est venu déjouer mes projets et je
me suis rabattu, sans conviction, sur le papier. J’ai rédigé la présentation du
travail d’E… et les conclusions de la monographie. J’ai tapé le reste du
rapport météo que D. m’a remis il y a deux ou trois jours et j’ai reproduit la
moitié du rapport E…. Si j’ai le courage je terminerai ce soir.
Malgré
la bruine, les sapeurs ont travaillé au-dehors, ça ne devait pas être drôle.
François
est venu à terre aujourd’hui chercher de la ferraille pour lester ses casiers.
Il a eu l’autorisation du capitaine de venir à terre.
J’ai
mis un magnifique bout de lino dans le cabinet de toilette. Je suis très
content de la partie lavabo elle est impeccable.
Jeudi
29 Mars.
Réveillé
tôt je n’ai pas pu me rendormir malgré les efforts faits et à 6 h j’étais
debout. Je vais finir par payer ce manque de sommeil et un de ces jours je vais
piquer ma crise de flegme.
Nous
avons, dès 7 h ce matin implanté, avec le lieutenant, les 2 futures baraques
Fillod.
J’ai
ensuite fait une séance DDT à l’hôpital et vers les cuisines. A 7 h 1/2 j’ai
attaqué l’hôpital, j’y ai passé pratiquement toute la journée. A midi 1/4 j’ai
débrayé pour avoir le temps de faire un brin de toilette. J’ai repris le
travail à 13 h 30.
A 15
h 30 le Sapmer arrive devant la station avec un signal hissé au haut du mât.
Nous prenons le contact radio et l’on m’annonce un blessé avec un hameçon dans
la main. Le blessé arrive un moment après, me voilà dans l’obligation de
changer de peau. Je mets la stérilisation en route, prend une douche (par
bonheur il y avait encore de l’eau chaude), me change et prépare la salle
d’opération. Dés l’arrivée j’avais mis un pansement alcoolisé sur la main et à
16 h 30 tout était terminé, je prenais mon thé. L’opération s’était faite sans
douleur.
À 5 h moins le quart, j’étais redevenu un
peintre crasseux piquant la rouille. J’ai travaillé jusqu’à 6 h 30, la nuit
était tombée. U…, fort heureusement m’a donné un bon coup de main cet
après-midi et ce soir, comme prévu j’ai terminé un premier travail: piquer la
rouille et passer le minium. 6 h 1/2 toilette et rangement de la salle
d’opération. J’ai terminé peu avant le repas du soir.
Il
est 21 h je viens de faire une piqûre à mon blessé et je suis fatigué.
Nouvelles
du camp: Beau temps, mer d’huile. Si cela pouvait durer 48 heures.
Le
lieutenant travaille au lever topo du côté de la mare aux éléphants de mer.
P… a
tiré un éléphant de mer qui était très maigre et qui aurait très
vraisemblablement crevé sous peu. Je ne l’ai pas vu opérer mais il est,
parait-il à la fête dans sa dissection.
J’ai
descendu, ce soir un skua qui rôdait sur le poulailler. P… n’était pas content
qu’on ait osé tirer ‘une pauvre petite bête’. Il faut dire qu’il n’y en a pas
beaucoup sur l’île.
Vendredi
30 Mars.
Quoique
je me sois couché à 21 h 15 hier soir, je me suis mal reposé cette nuit. Le
crachin qui s’égouttait sur l’auvent de la baraque m’a réveillé très tôt ce
matin, 4 h 1/4. J’ai sommeillé ensuite jusqu’à 6 h 1/2
J’ai
terminé ce matin la monographie, tiré les photos illustrant certains chapitres.
Il me reste une dizaine de photos à prendre et j’en aurai terminé avec ce
travail.
Cet
après-midi, profitant d’une éclaircie, j’ai peint au pistolet deux faces de
l’hôpital. P… m’a donné un coup de main.
Le
lieutenant continue les visées à la mare, le travail selon lui ira vite car
l’idée de port à la mare aux éléphants de mer est une vue de l’esprit.
Les
météos continuent d’arriver en retard aux repas. Comme j’ai besoin des météos à
la cale la semaine prochaine (ce n’est pas que j’en ai absolument besoin mais
c’est un test) je ne tiens pas à serrer la vis pour une bricole maintenant.
J’attends. Pourtant l’esprit n’est pas mauvais, mais je crois que dans
l’ensemble les météos ne sont pas d’une intelligence à toute épreuve et ce
qu’il y a de plus grave, ils ont tendance à être négativistes, comme s’ils
étaient des refoulés, des gens qui ont fait météo comme on ‘se foutait dans la
douane’.
D… a
travaillé toute la journée à la boulange, faisant le pain et des éclairs au
chocolat pour Dimanche.
31
Mars - 225 jours.
Journée
de crachin. Je n’ai pas pu reprendre la peinture de l’hôpital. Aidé par P… j’ai
fait la photo des intérieurs. J’ai développé hier le premier film et les photos
sont excellentes. Voilà qui va compléter ma monographie. Quand j’aurai
développé le second film il me restera 24 heures de travail pour terminer. Je
pense donc, en cas de départ précipité du Sapmer être fin prêt
A 13
h 30 pesée mensuelle à la bascule à bétail. J’ai pris deux kilos en un mois; on
voit que le chantier est terminé.
Le
capitaine B… a télégraphié qu’il viendrait demain.
J’ai
dessiné deux otaries d’après photos
Deux
poussins sont nés cet après-midi.
Le
commandement du Génie à Tana annonce l’envoi d’un rouleau compresseur. C’est
une nouvelle importante car elle montre que lorsqu’on s’agite un peu on finit
toujours par intéresser, les gens à son travail. J’ai l’impression qu’on finira
par obtenir quelque chose.
Demain
je vais reprendre contact avec la F.O.M, contact que j’ai volontairement
interrompu depuis trois semaines.
Dimanche
1 er Avril.
Bien
dormi la nuit dernière. J’ai passé la matinée à faire bien peu de choses. A 9
heures couleurs avec tout le détachement du Génie puis, en compagnie du
lieutenant et de P… attente du capitaine B…. À 11 h, une barque se détache du
Sapmer venu mouiller au Nord-Ouest de la station. Réception du capitaine à la
cale. J’ai admiré le choix qu’il a fait pour les 5 hommes qui l’accompagnent ce
sont les benjamins de l’équipage, 18, 19, 20 ans. Décidément ce B… est un type
sensationnel.
Tour
du propriétaire puis apéritif, j’avais débloqué une bouteille de Porto.
D’ailleurs voici le menu:
Apéritifs:
Pernod, Martini, Porto, Dubonnet.
Vins:
Anjou blanc, Bordeaux rouges, café, Cognac, Champagne.
Menu:
Jambon d’York, saucisson, choux fleurs vinaigrette, tomates-macédoine.
Veau, pommes nouvelles (Nouvelle-Amsterdam production), Salade.
Roquefort avec beurre frais (il en restait trois plaques au frigidaire)
Éclairs au chocolat.
Menu
à 60 % production locale.
Le
repas a bien sûr traîné en longueur et nous sommes sortis de table très tard
pour aller faire un tour à la mare aux éléphants de mer. Vers 16 h 30 nous
sommes revenus boire une bonne bière. Malgré le souci de faire les honneurs de
l’île, je commençais à avoir besoin de retrouver ma chambre.
A 18
h le capitaine B… réembarquait content de sa journée. Nous avons eu la chance
d’avoir un temps exceptionnel ce qui fait que le capitaine ne s’en faisait pas
trop pour ‘son’ bateau. Immédiatement après je suis venu dans ma chambre
écouter un peu de musique.
A
noter que les esprits sont vifs à la réplique. On a l’impression que dans tous
les coins c’est la petite guerre. Je n’ai pas été épargné car D… a choisi le
repas pour me dire qu’il ne croyait pas pouvoir me donner un type pendant trois
jours pour travailler à la cale; ce à quoi j’ai répliqué que j’en arriverais à
la réquisition nominative.
Lundi
2 Avril.
Jour
férié à Tana donc pas de message avant demain soir, c’est un peu dur.
Les
Malgaches ici aussi ont appliqué le jour férié et je n’y peux absolument rien
sinon réduire, et encore ce n’est pas prouvé, les primes de rendement. Mais
après tout pourquoi seraient-ils plus royalistes que le Roi.
Les
sapeurs ont fait de menus travaux.
Le
lieutenant a mis ses papiers à jour et a commencé le tracé de la mare aux
éléphants de mer.
P… a
réussi à mettre à l’eau l’éléphant de mer qu’il avait dépecé il y a trois ou
quatre jours. Il était tout content de m’annoncer ça.
J’ai
fait de la peinture au pistolet: 2 em couche façade Nord; 1 ere couche
demi-toiture. Comme c’était férié, j’étais tout seul pour faire marcher le
compresseur, l’alimenter, préparer la peinture, déplacer l’échelle etc. J’ai
arrêté les travaux à 16 h pour me transformer en chef d’établissement et faire
du papier: 5 messages officiels, 1 note de service.
C’est
à propos de la note de service que j’ai quelques remarques à consigner:
Comme
je m’y attendais un peu, les météos ont refusé de participer aux travaux de la
cale. J’ai eu une assez longue conversation avec D…. Je crois que c’est la dernière.
Il m’a dit que les météos étaient mis au banc, qu’ils avaient été éliminés. Je
dois reconnaître que c’est exact mais ce n’était pas prémédité et j’étais dans
l’obligation de les marginaliser car ils représentaient et représentent encore
l’esprit vieille mission. Tout cela n’est pas grave car les intéressés sont
relevés dans 6 semaines. Ce qu’il y a de plus grave c’est l’esprit même de D…
qui plus que jamais se révèle comme un négativiste de la pire espèce. Deux
choses dominent pour lui: 1-Quand on fait quelque chose, il y a toujours un
intérêt, par exemple si je peins l’hôpital c’est peut-être pour avoir la légion
d’honneur...2-Si on fait quelque chose c’est encourager l’Administration à ne
rien faire pour nous. Par exemple si on ne faisait pas de couvée,
l’administration nous enverrait des poules, (on ne me pardonnait pas de
prélever des oeufs pour la reproduction). Si on ne repeignait pas les baraques,
R… enverrait des peintres. Si on vit dans la crasse et le foutoir on nous
enverra des ‘boys”.
D… est
à ce point nocif qu’il en arrive presque à me persuader de l’inutilité de mes
efforts. Si je dis presque c’est que sur le plan météo, c’est en partie vrai.
Lassé
de me mettre en avant et de faire de toute une histoire personnelle, j’en suis
arrivé, ce soir, à la note de service priant D… de bien vouloir mettre à ma
disposition un de ses agents pour les trois jours à venir. Il n’était pas du
tout d’accord en lisant la note de service car c’était lui qui était ‘e.....é’. Je lui ai répondu qu’après avoir essayé
les contacts personnels et ayant vu les résultats, (traité de jésuite,
soupçonné de faiblesses) je m’en remettais maintenant à la voie hiérarchique
qu’en conséquence, il voudrait bien me transmettre par écrit toute objection
utile.
Je
crois que les dés sont jetés cette fois pour le reste de la campagne. Dieu m’a
aidé dans ce sens que je reçois un nouveau détachement de trois hommes, 2
maçons et 1 menuisier, militaires eux aussi. Il y aura donc à l’établissement à
partir de Mai 22 personnes sur lesquelles j’aurai directement barre. Qu’importe
que les météos restent isolés, c’est eux qui sont véritablement les plus à
plaindre d’autant que c’est la dernière fois que je m’en fais pour cette
question. Elle se réglera sur le plan officiel et sur le plan officiel
uniquement.
3
Avril.
Tout
le personnel disponible, à l’exception des météos bien sûr, a travaillé à
l’aménagement de la cale. Nous avons mis en place de gros cailloux pour boucher
les trous, entre autres la faille où j’ai pris ma jambe lors du débarquement.
Nous devions mettre en place du béton ce soir, mais la mer brisait pas mal et
pour jeter de gros blocs pour boucher une faille nous nous sommes fait
consciencieusement arroser.
D…,
météo, est venu me demander quelques négatifs d’Entrecasteaux que je lui avais
promis. Je les lui ai donnés. Il en veut à ses camarades qui ne veulent plus
faire Entrecasteaux parce que ce n’est plus une première mais comme D… il est
absolument coiffé par G… et G…. D’ailleurs j’ai eu la réponse de Debry à ma
note de service et plutôt que de commander à G… ou G… de venir travailler à la
cale, D…, qui a horreur du travail manuel, s’est proposé lui-même.
Bonne
journée en résumé où tout le personnel militaire et malgache a donné le maximum
avec bonne humeur.
Pour
clôturer la journée, un merveilleux petit message de ma Mie.
4
Avril.
La
matinée a été employée à la cale où l’on a fait des essais de béton. Nous avons
dû abandonner et sommes rentrés à midi copieusement douchés. J’ai passé
l’après-midi à la chambre. J’ai peint les pages de garde de la monographie et
fait deux ou trois lettres entre-autre la lettre pour la 403. J’ai terminé
tard.
5
Avril.
Je
suis HS. La journée à la cale a été éreintante car nous avons mis en place des
mètres cubes de béton. Le travail a mal commencé ce matin car la mer a lavé à
plusieurs reprises le béton que nous déposions. Puis nous sommes arrivés à nous
protéger des grosses vagues et la marée a baissé. Ce soir un grand trou à
l’avant de la cale a été bouché. La bite d’amarrage Nord est maintenant très
accessible. Le trou où je m’étais fait coincer une patte est bouché. Un travail
important a été fait, espérons que la mer ne lavera pas trop le ciment avant
qu’il ait fait sa prise. Terminé tard ce soir, suis resté un quart d’heure de
plus à la cale pour embarquer P… qui part quelques jours à St Paul avec le
Sapmer. Le Sapmer va à St Paul ramasser ses affaires. C’est bon signe et je
pense qu’il ne saurait tarder maintenant à débanquer
D…
est venu nous aider cet après-midi. Il est vraiment regrettable qu’il n’ait pas
su être maître dans sa boutique et que deux types comme G… et G… aient imprimé
à toute l’équipe météo un esprit qui a immédiatement fait scission entre mes
météos et le reste du personnel.
6
Avril.
Journée
relativement calme et variée. Ce matin il y avait du brouillard. Je n’ai donc
pas essayé de reprendre les travaux de peinture et j’en ai profité pour taper
et classer toutes les pages photo de la monographie.
Je
suis, bien entendu, descendu deux fois à la cale dans la matinée pour constater
que, malgré les vagues qui commençaient à déferler sur la cale, le béton tenait
bon.
Immédiatement
après le repas de midi j’ai attaqué les travaux de peinture en dépit d’un temps
médiocre. E… m’avait prêté un sapeur et à deux le travail a été moins crevant.
Je n’ai pas pu cependant achever de passer la première couche, il reste la
façade Sud.
À six
heures toilette et j’ai développé un film, le dernier film de la monographie :
bassin terminé, centrale, jardins. Le film est bon et je pense relier les exemplaires
Dimanche avec E…. Je préparerai immédiatement le colis à expédier et je mettrai
un point final à l’histoire de la “Monographie”. Elle aura fait dire des mots.
Sans
quitter la monographie, j’ai lu, à midi, à U…, le chapitre ‘Intendance’. Il
était rouge de plaisir. Il m’a d’ailleurs dit que cela lui faisait plaisir et
qu’il me remerciait.
Ne
quittons pas U…. Il a mis le canot à l’eau et a essayé une voile mais le canot
ne remonte pas au vent, il n’a pas de dérive.
Le
lieutenant comptait continuer à travailler à la cale mais la mer interdisait,
aujourd'hui, tout travail.
Ce
soir entre 20 h 30 et 21 h un bateau est passé au large de l’île. Nous avons
échangé quelques signaux lumineux. Il s’agit d’un bateau Australien qui nous a
souhaité ‘bonne chance’.
7
Avril.
La
journée s’était mal emmanchée. E… devant travailler à la cale et le temps
n’étant pas sûr pour faire de la peinture, j’étais descendu pour lui donner un
coup de main. En descendant j’ai bagué et photographié quatre jeunes albatros
qui avaient échoué là cette nuit. Puis je les ai lancés pour qu’ils reprennent
leur vol. Les départs ont été difficiles car ces albatros qui sortent du nid
n’ont pas la maîtrise des adultes. Ces albatros sont de ceux que nous avons vus
sur leur nid à Entrecateaux.
Nous n’avons
pas pu travailler à la cale la bétonnière étant tombé en panne. Je suis donc
remonté vers 9 h ne sachant pas quoi faire. J’ai repris un travail devant la
cuisine où j’avais commencé à combler un large trou avec des pierres. J’ai
terminé le travail en question puis, le temps se levant j’ai repris les travaux
de peinture. Cela ne marchait pas, le pistolet ne crachait presque pas de
peinture. Midi, obligé de me changer, de me débarbouiller. J’ai repris à 13 h
30 et en définitive j’ai été obligé de démonter le pistolet. C’est toujours la
même histoire, les outils ne sont pas entretenus et quand on demande un travail
un peu soigné, il faut remettre les outils en état. Bien sûr après avoir passé
1 h 1/2 à nettoyer des pièces qui n’avaient pas été touchées depuis des mois,
le pistolet a marché à merveille et j’ai pu ainsi terminer la face Sud, passer
la 2 em couche aux faces Est et Ouest et terminer 2 plaques de toit. L’hôpital
est maintenant resplendissant.
Fort
heureusement les douches étaient bien chaudes et j’ai pu me laver
soigneusement. Puis j’ai demandé à E… de me tirer le portrait. Je sais que cela
fera plaisir à ma Mie.
P…
est rentré de l’île St Paul. Le Sapmer est à nouveau dans nos eaux. Il lui
manque 30 tonnes avant de débanquer.
8
Avril.
Bien
dormi. Je me suis levé à 7 h et j’ai déjeuné à 7 h 30. Tour de jardin avec E…
et considérations sur les futures routes. Je fais une lettre à Vonette au sujet
de la monographie. Je mets mes chaussettes, 9 paires, et un pantalon à tremper.
Enfin de matinée le lieutenant et P… viennent écouter de la musique. Je n’aurai
plus le temps d’écrire avant midi. 1/2 heure avant le repas nous partons faire
un carton au pistolet.
À 14
h, nous mettons le lieutenant et moi la dernière main à la monographie. Pendant
que le lieutenant fait la page N° 2 je rédige deux lettres au brouillon. Puis
nous attaquons les travaux de reliure. Nous avons pris juste un quart d’heure
pour descendre à la cale et le repas du soir est arrivé. J’avais ensuite mes
chaussettes à laver; je m’y suis mis et j’ai terminé vers 10 h moins 1/4.
Je
commence à être fatigué de cette danse continuelle de « ce qu’il faut
faire, ce qu’il faut faire ».
9
Avril.
Journée
vraiment curieuse où se mêlent une foule d’évènements. Elle s’était annoncée
comme presque banale, presque ennuyeuse et brutalement à midi cette journée
prend un caractère inattendu, accusé.
Ce
matin, donc réveil à 6 h 1/2. Nous partons à cinq à la chasse. Je n’aurai pas
l’occasion de tirer un taureau mais par contre j’ai trouvé un jeune taurillon
prisonnier dans une coulée. Je ne sais pas encore si nous irons le récupérer. À
8 h, j’étais de retour au camp. Le second du Sapmer et cinq hommes avaient
débarqué entre temps pour s’occuper de bêtes abattues.
Comme
prévu j’ai attaqué les travaux de peinture, la mise en route a été longue et
pénible. Puis après avoir peint quelques panneaux, la pluie est arrivée. J’ai
été contraint de tout abandonner, de tout nettoyer et de tout ranger. Phénomène
étrange j’ai pris ça presque bien et après avoir fait ma toilette je me suis
mis à écrire. J’ai été rapidement dérangé par Jules le ‘cancalais’ qui venait
me voir. je vais au-devant de lui, il me dit: « Je suis venu à terre vite
parce que c’est défendu mais je voudrais l’adresse de votre administration puis,
si vous le voulez bien, de votre beau-père ». J’étais prêt à le reconduire
à la cale mais en passant devant le réfectoire il dit: « boirais bien un
coup, dame je ne suis pas venu à terre pour boire de l’eau». Venant de Jules il
fallait prendre ça pour une marque de confiance. Il a éclusé deux verres coup
sur coup et emporté son litron. Je lui avais déjà fait donner un litre de rouge
le matin par P…. Nous avons su depuis qu’à 11 h 1/2 il a fallu le hisser de sa
barque à bord mais ‘ après s’être reposé un peu’ il était cet après-midi à la
pêche. Jules m’a donné son adresse et m’a promis de nous emmener à la pêche
« tous les jours même ».
Quittant
Jules je retrouve E… et P…. F…, l’adjudant-chef radio arrive avec un Telav
apprenant à E… qu’il était promu Capitaine.
Nous
avions à déjeuner l’équipe du Sapmer. L’apéritif servi a ainsi fait coup
double. Cela m’arrangeait vraiment car j’avais dit que je n’avais pas
d’apéritif pour arroser les avancements et je ne tenais pas à faire exception
pour E…. Malgré tout les météos restent persuadés que les gars du Sapmer
n’étaient qu’un prétexte. Ils sont désespérants d’étroitesse d’esprit. À ce
propos, je me suis vu dans l’obligation d’interdire tout plat cuisiné à U… et
D… pour le casse-croûte car cela rendait terriblement jaloux les météos.
Revenons
à la journée. Nous n’avions pas fini le repas que le gars François, patron
d’une barque arrivait avec deux autres marins en renfort, pour une fois où ils
avaient une excuse pour venir à terre. Il faut dire aussi que le vin est rationné
à bord depuis quelques jours.
Vers
16 h un autre patron, B…, envoyait voir s’il n’y avait pas un petit coup à
boire. Je crois que nous entendrons parler de cette journée par le capitaine
B….
A 14
h 30 le temps s’étant amélioré, j’ai repris les travaux de peinture. La chance,
cette fois, étant de mon côté et au prix de gros efforts, j’ai pu terminer la
deuxième couche. Voilà un travail classé, mais je ne suis pas près de
l’oublier. J’ai terminé à la nuit tombé.
10
Avril.
Nous
devons embarquer les colis recommandés et le gros du courrier Samedi sur le
Sapmer. J’ai décidé de fermer tout mon courrier aujourd'hui. Tout est prêt. Il
me reste à emballer ce journal. Je l’arrête donc.
FIN DU PREMIER JOURNAL DE L’ÎLE NOUVELLE AMSTERDAM.
_______________________
JOURNAL DEUXIÈME PARTIE.
11 Avril 1956.
Hier,
10 Avril, j’ai eu un trou dans mon journal car j’ai emballé le premier cahier
qui partira Samedi à bord du Sapmer.
Je
commence donc un nouveau cahier qui en principe ne prendra fin qu’à la fin du
séjour.
Journée
calme et presque de repos après les dures semaines que je viens de passer à
peindre l’hôpital.
J'ai
quand même mis sur pied le programme grands travaux pour la campagne 1956-1957
et la commande de médicaments pour Octobre. Demain il me faudra taper tout ça à
la machine.
Toutefois
je ne me suis pas mis l’esprit à la torture; j’ai écouté de 13 h 30 à 14 h 15
‘mademoiselle Nitouche’ au poste île Maurice et à 17 h nous avons été vers le
Dumas pour essayer de sortir le soit-disant taurillon qui en fait est une
génisse d’un à un an et demi. Nous avons pu l’entraver, mais la coulée ayant 8
à 10 mètres de profondeur il nous faudra un palan pour la sortir demain.
Reçu
un T.O (Télégramme officiel) de F.O M Paris annonçant que le concasseur serait
embarqué sur le bateau de relève. Cela me fait bien plaisir je vais pouvoir
faire les routes.
Les
météos sont de plus en plus opposés à notre politique critiquant ferme le
travail d’E…, critiquant le fait de faire venir un concasseur: « pourquoi
faire, on va encore s’embêter à le débarquer ».L’esprit, à mon avis,
malgré une certaine façade est de plus en plus mauvais. Espérons que la relève
assurera un certain changement.
12
Avril.
Nous
avons mis trois heures ce matin à sortir la génisse de son trou après avoir mis
un palan en place. À cause de son séjour au fond de la coulée et par ses
tribulations successives, la bête est arrivée au camp très éprouvée mais
toujours aussi belliqueuse. La réaction des météos ne s’est pas faite attendre,
elle peut se résumer à ceci: « à quoi ça sert » ?
Reçu
à midi trois messages de l’ADSUP dont le principal donne des nouvelles du
compresseur et du concasseur. Il n’y a pas d’argent pour acheter du matériel
neuf. Kerguelen doit nous fournir les deux mais comme ils sont H.S, ils seront
d’abord acheminé sur Madagascar pour révision. Je crois que je vais enfin
pouvoir faire de la Thérapeutique.
- P…
a reçu de l’INSERM un contre-ordre, le bateau ne passera pas par les Crozets.
-
Explication avec D… qui au cours du repas de midi s’est un peu trop violemment
manifesté. C’est un type à qui, me semble-t-il, on ne peut faire aucune
confiance.
13
Avril.
La
fin de la semaine se pointe et vraiment le bilan au point de vue travail n’est
pas merveilleux. Il faut dire que je me suis attelé à un travail qui ne me dit
strictement rien: les prévisions budgétaires. Je n’ai pour faire ce travail ni
les budgets antérieurs, ni les factures du matériel livré ce qui fait que je
travaille vraiment dans le vide. Comme d’autre part j’ai la ferme conviction
que c’est un travail inutile ou tout au moins à sens unique, cela n’arrange
rien. Je dis à sens unique car, au fond, si on me demande mes prévisions c’est
dans l’espoir que, sur certaines rubriques, je serai au-dessous du chiffre fixé
et alors on adoptera facilement mon chiffre. Quand je serai en dépassement, on
conservera le chiffre le plus bas. De toute façon on veut réduire les dépenses
et à mon avis ce n’est pas le moment de réduire.
J’ai
l’impression que les Terres Australes ont le contrôle financier sur le dos et
elles doivent avoir du mal à justifier les dépenses des années précédentes; à
titre d’exemple, 2 caméras, 1 appareil ‘Foca’, 2 agrandisseurs, 3 paires de
jumelles etc. Le contre-coup est bien sûr un tour de vis sensationnel qui, au
moment où on est à même de faire un travail sérieux, nous laisse pieds et
poings liés.
Ma
journée a donc été hachée par une foule d’échappatoires à ce travail
empoisonnant.
Nous
avons eu un temps de chien. Les maçons ont quand même travaillé à l’atelier. P…
a commencé ses caisses ou plutôt sa deuxième caisse, mais la première n’est pas
encore fermée, il s’en faut même de beaucoup, deux crânes d’otarie sont encore
à la traîne dans le camp.
Le
projet de la mare aux éléphants de mer prend forme. Quoiqu’il soit persuadé de
son inutilité, le Capitaine E… y travaille avec application.
Il
faut que je note à la date d’hier deux Q.S.O avec Tana et Diego-Suarez. On
entendait Diego 59++ comme dit F…. E… a eu le plaisir de causer avec sa femme.
À Diego, nous avons eu sur les ondes un officier de pont du Galliéni.
14
Avril.
Le
mauvais temps ne nous quitte pas. Malgré les paquets de mer, les travaux de la
cale tiennent le coup.
La
carte du Capitaine prend forme.
Ce
matin j’ai travaillé à la commande marine et service de santé. À midi j’ai
débrayé bien décidé à ne plus toucher un papier officiel avant Lundi. Le plan
second semestre commence à rentrer en application, le soir je m’arrête
régulièrement à 18 h pour passer à mes travaux personnels.
Cet
après-midi j’ai lavé un treillis et une chemise, ceux qui m’avaient servi pour
la peinture. Malgré un temps fou passé à les laver je n’ai pas pu entièrement
les récupérer. J’ai fait deux lettres et j’ai passé l’après-midi avec E… et P…
qui était véritablement déchaîné. Bonne douche, tenue militaire, j’étais paré
pour le repas de fin de semaine.
15
Avril.
J’ai
appliqué le Dimanche intégral aux activités plus que réduites: une lettre à ma
Mie, repassé deux pantalons, nettoyé à fond le pauvre fusil de chasse, tiré
trois rats et la journée a passé, chaude douce avec un doux message sur mon
cœur.
J’ai
envoyé ce matin U… à bord du Sapmer puis sans que l’on sache pourquoi, il est
arrivé à la cale une houle de Nord soutenue et cet après-midi U… n’a pas pu
débarquer. Il couchera à bord. Depuis un mois U… devait aller à bord récupérer
des engins de pêche, il a attendu, il est normal qu’il paye.
Le
Capitaine B… a fait prendre le courrier ce matin. Il devrait venir à terre cet
après-midi sans doute pour nous faire ses adieux. Il n’en a, bien sûr, pas été
question.
B… a
ramené de la plage aux éléphants de mer une jeune otarie. Elle a été adoptée
immédiatement et couche ce soir dans une caisse garnie de ‘voulite’. La petite
otarie est vraiment tordante, elle est douce et apprécie les caresses surtout
sous les aisselles.
P…
qui n’était pas tenu par la venue problématique du capitaine B… a mis la
journée de beau temps à profit pour aller à la ‘Recherche’ photographier les
otaries. Le Cap E…, fatigué, ne l’a pas accompagné.
Je
signale enfin, vraiment pour mémoire, que les météos continuent à être pour ce
qui est contre et contre ce qui est pour ou encore leur obstruction
systématique non déguisée.
16
Avril.
La
petite otarie n’était plus au réfectoire ce matin. Comme par hasard quelqu’un
avait laissé la porte ouverte.
Je
voulais m’occuper ce matin de la commande ‘ravitaillement’, mais Uzel, concerné
par cette commande, n’étant pas rentré du bord du Sapmer, j’ai attaqué le
nettoyage et la vérification de l’outillage de la salle d’opération. J’ai eu le
malheur de mettre mon nez dans l’installation électrique du scialitique, cela
m’a coûté une journée de travail et m’en coûtera encore une. Je reste confondu
par la négligence de mes prédécesseurs. Quand on pense que depuis deux ans une
seule lampe de 110 volts était branchée et qu’il n’y avait aucun branchement
sur l’éclairage de secours 32 volts, on se demande pourquoi on payait ces types
la et qui plus est à l’indice 500 ou 550 alors qu’un médecin lieutenant a
l’indice 360. Cette reprise d’installation m’a valu d’aller ramper maintes fois
sur la laine de verre du comble.
Reçu
une lettre du Capitaine B… qui, étant donné la durée de la campagne, a de
grosses difficultés avec son équipage. Il m’a demandé de lui céder quelques boîtes
de légumes et surtout du vin car il a peur que ses gars lui mènent une vie
d’enfer s’il n’a pas de vin à leur donner d’ici à la Réunion.
À
quatorze heures U.. et C… ont débarqué, la mer était assez houleuse, mais tout
s’est bien passé.
D…
est monté au faux-sommet, un véritable événement. Le radio de Ker s’est plaint
aux radios d’ici de l’esprit des météos. Il faut croire que c’est la
corporation qui veut ça.
P…
continue à faire ses caisses à régime très lent.
17
Avril.
Je
n’ai pas perdu ma journée et suis content. L’installation du scialitique est
refaite. J’ai mis en place un rhéostat qui règle le courant de secours à
l’intensité voulue.
Après
ces travaux, avec l’aide des boys, j’ai remis la salle d’opération en ordre,
nettoyé et ciré le parquet etc. Je ne sais pas pourquoi j’ai touché au seau de
la fontaine chirurgicale. Quelle n’a pas été ma surprise d’y trouver de l’eau
aux trois-quarts, je ne m’en suis jamais servi. Comme il y avait du plâtre dans
le fond, je suppose que cela remonte à un an quand le Dr D… a fait un plâtre.
J’ai
profité de la présence des boys pour faire nettoyer à fond la chambre
d’hospitalisation. À partir du 1er Mai, j’y logerai P… et E…. Cela me permettra
de récupérer la chambre d’E… pour en faire une salle à manger pour les malades.
18
Avril.
Le
Capitaine B… a débarqué très tôt ce matin. J’étais en train de me raser. Il
venait faire l’échange de ravitaillement prévu et faire ses adieux. Il compte
débanquer demain, mais nous confirmera ça, par radio, à la vacation de 9 h. La
mer était houleuse et pour embarquer la barrique de vin nous avons dû attendre
que deux barques reviennent. En définitive j’ai passé ma matinée à la cale.
J’ai
travaillé aux commandes cet après-midi et après avoir recherché la
documentation nécessaire, n’ayant rien trouvé, j’ai décidé de ne pas faire
la prévision budgétaire demandée par l’ADSUP.
Ce
soir j’ai écrit la dernière lettre Sapmer à ma Mie puis E… est venu passer un
moment avant le repas. Après le repas, j’ai écouté une liaison phonie avec Vic
à Tana et j’ai repris la lettre à ma Mie.
19
Avril.
Journée
marquante, journée marquée. Ce matin la Capitaine B… nous a fait savoir qu’en
raison du mauvais temps il avait fait lever les casiers et qu’il passerait à 11
heures. C’était une façon déguisée de nous dire qu’il débanquait. Jusqu’à la
dernière minute, il n’a pas voulu mettre son équipage dans le coup se vengeant
ainsi des difficultés des dernières semaines. Nous avons passé une heure avec
le Capitaine E… à mettre au point le feu d’artifice pour saluer le départ.
11 H
avec une exactitude royale le Sapmer se présente devant l’établissement. La
cale est totalement inaccessible tant de terre que de mer; Le Cap B… nous donne
rendez-vous, par radio, à la roche aux pingouins. Je demande à U… de préparer
une fusée. Nous allons vers le monument, une barque se détache du Sapmer, elle
est montée par François et Louis. La houle même à l’abri de la pointe Hosken
est encore très forte. François ne réussira pas à allumer sa fusée lance-amarre
qu’ils ont à bord de la barque et après des efforts méritoires où la barque
s’est trouvée, au moins une fois en très mauvaise posture nous avons dû envoyer
notre fusée, beau tir, belle manœuvre. Le petit ballon rouge contenant le
dernier courrier est accroché à la cordelette que la barque a réussie à
récupérer. Alors que le ballon arrive à un mètre de la barque, la corde casse
et le ballon tombe à l’eau. La barque, qui n’a que peu de marge d’évolution
entre le ballon et les cailloux manœuvre difficilement. Un moment d’émotion
mais tout se termine bien sous les vivats des nombreux spectateurs venus de
l’établissement.
Le
Sapmer fait route vers l’Ouest, passe devant le camp: salut aux couleurs,
sirène, salve d’honneur commandée par le Capitaine E… et extrêmement bien
réussie. Immédiatement après le Sapmer se met à la cape, la traversée commence
bien.
Le
mauvais temps arrive d’ailleurs rapidement sur nous et bientôt il pleut averse,
20 mm en quelques minutes. Je me précipite au bassin où l’eau coule à gros
bouillons et je monte au ‘radavit’ contrôler le débit d’une coulée que je
projette de capter.
Pouvais-je
penser que L…, le sapeur responsable de l’élevage, laisserait les poussins
dehors? Quand je reviens du bassin, ayant récupéré au passage E…, j’apprends
que 35 poussins sur 38 sont morts noyés... C’est une réussite. Je n’ai pu
trouver qu’un seul mot en apprenant la nouvelle: ‘félicitations’. Mais
j’ai été très éprouvé par cet échec qui retarde de deux mois la couvée la
repoussant ainsi en plein hiver austral. Déjà hier soir j’avais dû ramasser des
paquets de thé oubliés dehors. Là c’est U… qui était en cause. Tout cela m’use
car je n’ai pas ma petite Mie pour oublier, le soir.
J’ai
travaillé cet après-midi à la commande ‘intendance’. À 16 h, j’ai eu Kerguelen
en phonie comme je l’avais demandé hier H… l’administrateur et le Dr P….
J’avais des renseignements à demander. H… est plus que moi dans l’ignorance
absolue de ce qui se passe. Il ne sait même pas quand le bateau doit partir; je
le sais moi par les radios amateurs. Il ignore si R… fait partie du voyage. À
son ton, j’ai deviné que, plus que moi, il est éprouvé par l’inélégance du
procédé.
La
nuit tombe très tôt, vent, pluie, tempête, c’est l’hiver. 18 H 45 la courroie
de la centrale saute? Quand le courant est remis les lampes 32 volts prennent
une bonne secousse et grillent. Je vais le faire remarquer à Fébvre et puisque
je parle de F…, il faut que je note que pour terminer l’œuvre de sa vie
l’atelier, F… néglige actuellement tout le service mécanique. Hors il passe le
service dans quelques jours, mais rien n’est prêt, les moteurs ne sont pas
révisés; les inventaires ne sont pas faits, les commandes mécaniques ne sont
pas prètes. Je pense que Lundi, je serai obligé de donner un sérieux tour de
vis.
20
Avril.
Ma
petite Mie à 32 ans, ça me fait drôle!
Nous
avons eu toute la nuit puis toute la journée une tempête formidable. Le vent
souffle en continu à 80 kms à l’heure avec des rafales à plus de 100; Il est
tombé 54 mm entre hier 13 h et ce matin 8 h. Il y a maintenant 46 cms d’eau
dans le bassin ce qui représente environ 40 m3.
Nous
avons eu ce soir des nouvelles du Sapmer qui est à la cape et qui demande des
prévisions pour demain.
Hier
soir nous avons eu par Vic de Tana des nouvelles de la relève. Arrivé par
Languedoc hier matin, tout le monde a immédiatement été transporté en DC3
jusqu’à Tamatave sans sortir seulement du terrain d’aviation. Les types ont dû
la trouver saumâtre.
J’ai
terminé ce matin la commande ‘intendance’ et cet après-midi j’ai préparé mon
affectation à Madagascar: lettre au Médecin Général Le R…, demande officielle
de prolongation, demande de concession de passage pour Vonette et les filles.
Au
fond, je n’ai pas fait grand chose de la journée.
21
Avril.
Mis
au point, ce matin de la commande ‘Ménage’ en allant apporter la liste à D…
responsable du secteur, j’ai pris livraison de deux télégrammes officiels
venant de Paris. Le premier me réclame des photos de l’établissement et des
installations. Ils se sont fait coiffer sur le poteau à Paris et je me suis
payé le luxe de leur répondre que les photos étaient parties avec la
monographie et qu’on leur fournissait, en plus, des plans de l’établissement.
Le
deuxième message, un chiffré, demandait si nous avions contacté récemment, par
signaux optiques, un navire hollandais, sans doute un navire en panne de radio
ou perdu dans l’Océan Indien Sud. J’ai donc remis mon nez dans le chiffre et
j’en ai profité pour mettre les documents en ordre et en particulier détruire
les chiffrés des années précédentes, chose qui aurait dû être faite depuis
longtemps.
Cet
après-midi j’ai arrangé les installations électriques et l’antenne de mes
postes radio puis j’ai pris une bonne douche tout en faisant le ménage du
cabinet de toilette que les boys font toujours à moitié. Il est 16 h 45, la
nuit tombe, il n’y a plus de vent, mais le temps est très couvert avec de la
bruine.
22
Avril.
Journée
calme si ce n’est que je n’ai pas eu de chance avec ma caméra. J’ai commencé ma
journée en mettant un peu d’ordre dans ma chambre, j’ai fait place nette sur
mon bureau (répétition avant le débarquement). Puis j'ai lu un peu et comme le
soleil s’était décidé à sortir, je suis descendu à la cale ou le spectacle
valait la peine d’être vu : mer démontée sous le soleil, écume blanche.
J’ai filmé en 16 mm noir et aurais voulu filmer en 8 couleur mais l’Emel est
tombée en panne. Je suis arrivé à table en retard et immédiatement après j’ai
démonté la camera. Le régulateur de vitesse est cassé et les engrenages en ont
pris un coup. Je suis rêveur en voyant les traces d’usure que porte déjà la
caméra, pourtant je n’ai tourné qu’une centaine de films. Je suis donc obligé
de renvoyer la caméra en France et les films 8 mm que je vais recevoir
deviennent inutiles. Fort heureusement P… a des films 16 mm de ‘rabiot’, je
ferai donc du 16 avec la caméra de l’établissement.
Après
avoir passé une bonne partie de l’après-midi à la caméra et avoir préparé les
films à expédier j’ai été prendre le thé et j’ai été à la chasse aux rats, 4 au
tableau. Vers 17 h 30 P… et E… ont rappliqué pour écouter la radio. E… a
continué à travailler au projet de port auquel plus personne ne croit, il
faudrait 150 à 200 millions. Nous avons eu un instant l’intention d’aller à ‘La
Recherche’, mais à 14 h il pleuvait.
Le
Galliéni continue à faire route sur Ker. B…, un camarade de promotion est à
bord.
23
Avril.
Journée
de bricolage intérieur. J’ai aiguisé deux paires de ciseaux, deux bistouris qui
avaient rouillé, un rasoir, remis mes boîtes, petites boîtes à seringues en
ordre. J’ai astiqué le poupinel qui avait été noirci par les fumées de pétrole
puis, m’étant pris au jeu, j’ai même astiqué les cuivres intérieurs. Il me
reste encore une journée de travail au labo et l’hôpital sera prêt pour la
relève. J’oubliais les lettres à repeindre sur la porte d’entrée: ‘Hôpital St
Yves’. Mettons donc deux jours pour remettre l’hôpital définitivement en
ordre. Tout aurait été très bien si ce soir, je n’avais pas trébuché sur le
scialitique qui marchait très bien la semaine dernière. Aujourd’hui j’ai eu la
très désagréable surprise de le trouver allumé les boutons étant en position
'éteint'. J’ai passé près de deux heures à tâtonner sans pouvoir trouver d’où
vient la panne. Après ces deux heures de tâtonnement quand on allume le 32
volts les plombs de 120 sautent, une véritable histoire de fou.
Les
sapeurs ne pouvant pas faire de ciment à cause du temps ont entrepris de mettre
le camp en état. Pour le moment ils tracent l’allée centrale et la désherbent
sur 4 mètres de largeur pendant que deux autres sapeurs ont été mettre un
escalier en bois monumental pour descendre dans un jardin très encaissé.
La
mer est toujours aussi mauvaise et je ne pense pas que nous puissions récupérer
les casiers que le Sapmer avait mouillés pour nous.
P… a
cloué une partie de ses caisses. En principe il doit vider les lieux dans une
semaine pour que je puisse remettre un peu d’ordre.
24
Avril.
Les
vents de Sud ont soufflé toute la nuit, ont rompu la houle de NW et ce matin la
cale, sans être praticable, est accessible. Nous avons immédiatement mouillé le
canot et sommes partis, U…, P… et moi ramasser les casiers et les couchettes
laissées par le Sapmer. Nous avons eu deux surprises, la première celle de
retrouver tout le matériel laissé malgré cinq jours de tempête, la seconde de
retrouver plus de matériel que nous pensions le Sapmer ayant laissé 4 casiers
et 4 couchettes.
Nous
avons levé les casiers sans trop de difficultés et le spectacle du canot avec
tous ces engins était des plus amusants, c’est tout juste s’il restait une
petite place pour les avirons. L’aller-retour s’est fait en un temps record et
à 9 h 30 nous étions au camp. En remontant de la cale nous avons vu deux
oiseaux que nous n’avons pas su identifier. Ces oiseaux donnaient l’impression
d’être des oiseaux terrestres.
J’ai
refait, ce matin, les boîtes de champs et blouses et mis de l’ordre dans le
labo-stérilisation. Puis j’ai attaqué un travail que je voulais faire depuis
quelques jours: remettre à neuf la glaceuse qui était absolument H.S. J’y ai
passé la presque totalité de mon après-midi. J’ai fait du bon travail. J’ai
terminé en nettoyant le coin ‘Pesées’ de la pharmacie et la petite balance.
Glaceuse et table de pesées sont la première phase de la mise en route
développement photos. Demain, sans doute, je préparais les produits
développement papier de façon à être prêt à fonctionner à l’arrivée du bateau.
F…,
contrairement à ce que je pensais, m’a donné la commande ‘Mécanique’ et repeint
les véhicules. Donc tout va bien de ce coté là.
F…
potasse une nouvelle implantation des antennes pour éviter les interférences
avec le radio-sondage.
Les
sapeurs continuent à faire ‘l’autoroute’ menant à la cale.
25
Avril.
La
mer était très calme ce matin et nous avons repris les travaux à la cale:
rebouché les trous faits dans le béton pendant la tempête, des trous gênants
pour la manœuvre des véhicules.
Nous
étions par malheur en marées de vive-eau et à 11 h l’eau, sans qu’il y ait de
forte houle, passait sur la cale. La plus grande partie du béton a été lavée et
nous avons perdu ainsi presque une tonne de ciment.
Le
travail a repris cet après-midi espérant que la marée descendante donnerait, au
béton, le temps de faire sa prise. Comme la mer était encore haute à 14 h, j’en
ai profité pour repeindre ‘Hôpital St Yves”’ sur la porte d’entrée. J’ai
repris, avec les sapeurs, le travail à la cale et nous avons terminé à la nuit
tombé à la lueur des phares de la Jeep.
Petit
accrochage avec U… qui était venu laver la remorque après avoir transporté la
tripaille d’une bête tuée aujourd’hui. Il s’est plaint qu’il n’y avait que ceux
qui travaillaient qui se faisaient rappeler à l’ordre, les météos étaient bien
sûr visés par cette remarque. Toujours le même esprit chez tous, depuis le
premier jusqu’au dernier, ne pas en faire plus que le voisin.
Le derrick
à main a été démonté et l’autre derrick a été mis en place.
Nous
avons évacué ce matin grâce au canot tous les fûts que nous avions entreposés à
la cale, la place est maintenant nette.
Un
jeune éléphant de mer de l’année s’est pointé à maintes reprises à la cale,
mais n’a pas atterri. Je pense qu’il trouve la côte un peu inhospitalière.
26
Avril- J’ai depuis hier un point sous l’omoplate droite qui me fait souffrir,
névrite? De plus j’ai fait aujourd'hui un travail qui véritablement a fini par
me mettre en boule et j’ai dû faire appel à toute ma patience pour terminer de
taper la commande mécanique.
E… a
reçu un message de sa femme lui disant qu’elle avait été obligée d’acheter des
films pour moi. Je ne comprends plus rien à cette histoire. J’ai l’impression
que Vonette a dû envoyer les films directement. Je vais donc me retrouver à la
tête de deux contingents de films.
Je
fais rapidement le résumé de la journée et je vais aller me coucher car j’ai
hâte de me retrouver à demain, cette journée me pèse.
Lever
6 h 30après la petit-déjeuner promenade à la cale et à la mare aux éléphants de
mer, échange avec E… sur les futurs travaux. Visite du jardin qui a beaucoup
souffert des dernières pluies diluviennes, mise en route de nouveaux semis,
vérification, épluchage et contrôle serré de la commande mécanique que je
commence à taper un peu avant midi. Le cœur n’y est pas. Pourtant je
travaillerai à cette commande toute l’après-midi. À 18 h, je suis absolument à
cran, mais je termine quand même à 19 h.
27
Avril.
La
journée a été meilleure qu’hier. J’ai passé une bonne nuit bien remplie et cela
a contribué à me remettre d’aplomb. D’autre part mon point sous-scapulaire a
disparu. J’ai mis, hier soir, un ‘rigolo’.
J’ai
fait un travail assez soutenu et je serai fin prêt pour l’arrivée du bateau. Il
ne me reste plus qu’à taper la commande ‘Photo’ et le projet de budget ce qui
peut être fait en une demi-journée, peut-être demain matin.
Le
ciment de la cale tient toujours et U… a mis le canot à l’eau avec le derrick
de débarquement.
Les
sapeurs continuent à aménager la route de la cale, à mon avis ils ont entrepris
un bien trop gros travail.
E…
est absolument H.S. Psychologiquement qu’une explication peut-être un peu
simpliste mais vraisemblable. Rien n’obligeait E… à quitter sa femme à
Tananarive pour venir passer six mois dans les Terres Australes. Pris par son
travail, les premiers temps, il réalisait à peine l’erreur qu’il avait commise.
Avec un travail moins passionnant, il se rend compte qu’il est venu perdre son
temps et sa jeunesse d’où réaction un peu brutale et d’ailleurs inconsciente.
D…
est tout gentil en ce moment, mais G… et G… sont toujours aussi déplaisants. Je
reste persuadé qu’avec leur départ l’esprit doit changer.
28
Avril.
J’ai
passé la matinée à classer du papier, à préparer le courrier départ. J’ai
préparé en plus du révélateur papier pour pouvoir tirer des photos. Je devais
le faire cet après-midi, mais le beau temps nous a décidé à aller à ‘La
Recherche’ photographier les otaries. Donc P…, E… et moi avons passé
l’après-midi au milieu des otaries. C’est toujours, à voir évoluer ces bêtes,
le même émerveillement.
29
Avril.
Journée
bien remplie comme cela était prévu: lessive, photos et écritures mais
contrairement à ce que je pensais, je n’ai pas eu le temps d’écrire beaucoup.
J’ai passé en fait toute l’après-midi au labo photo. On sent que je manque
sérieusement de pratique.
U… a
été en compagnie de 3 sapeurs à la pêche car la mer est depuis midi fort belle.
Malheureusement le bateau n’est pas là pour en profiter.
Le
Galliéni fait le tour de Kerguelen par l’ouest, on voit que le reporter des
‘Gaumont actualités’ est à bord.
Les
météos partants (trois) ont rasé leur barbe et sont venus à table, aujourd’hui,
en grande tenue bourgeoise.
30
Avril.
Ce
matin j’ai rangé le matériel qui m’avait servi pour la photo puis j’ai fait du
papier, sans enthousiasme n’ayant pas un travail considérable à faire et le
bateau se faisant attendre. P… a mis plus de pagaille que jamais dans
l’hôpital, rentrant, sortant, transportant de l’eau; traînant avec ses grosses
chaussures de la boue en quantité mais je prends mon mal en patience puisque
c’est la fin. Je déplore cependant être obligé d’héberger à nouveau quelqu'un,
le Lieutenant Le G…, à l’hôpital car en principe pour avoir un hôpital
absolument nickel il faudrait que je sois seul.
Cet
après-midi j’ai été voir où se trouvaient et où en étaient les arbres plantés
en Novembre. Il n’y a que deux pruniers et deux pêchers à s’être tirés
d’affaire. Je vais pouvoir planter les arbres qui arrivent sans être gêné.
À 16
h phonie avec Ker, pas à mon avantage car j’ai dit ce que je n’aurais pas dû
dire que je savais qu’un opérateur était à bord et ensuite j’ai présenté mes
amitiés à B… et ce n’était pas lui. C’était bien un B…, sans E, et de la
promotion 39. J’avais bonne mine.
J’ai
été à la chasse pour me détendre car je ne suis pas en forme, ce soir. Le fait
que ce ne soit pas B… n’est pas étranger à la chose car j’espérais beaucoup
avoir, par lui, des tuyaux sur ce qui se passait à Paris et sur l’atmosphère de
la maison. Là, manque de pot, je ne pourrai rien savoir et je vais continuer à
être dans le cirage à moins que E…, en rentrant, se défende comme un chef et
puisse me donner, par les amateurs, des tuyaux sérieux.
1 er
Mai.
Quoique
ce soit férié, j’ai travaillé aujourd’hui. J’ai tapé les comptes rendus
mensuels de Février et Mars, classé les télégrammes officiels, préparé
l’expédition de la caméra Emel et fait la lettre d’accompagnement et pour
marquer la journée j’ai vidé, avec l’aide de P…, la fosse “Perfecta”.C’est
toujours la même corvée peu ragoûtante.
Nous
avons eu des nouvelles de Ker où le débarquement se continue de façon normale.
Nous espérons que le beau temps se maintiendra et que demain soir le bateau
quittera Ker ou tout au moins Jeudi matin si le Pacha ne veut pas quitter la
baie de nuit.
Les
sapeurs mettent à profit la journée de repos pour astiquer leurs effets
militaires en vue de leur retour.
E…
qui a pris hier soir un comprimé de Belladenal que je lui ai prescrit a été
absolument H.S toute la journée. Coïncidence? Mais je pense que ce lessivage
lui a été salutaire.
P… a
pris, cette fois son travail au sérieux et le déménagement fait des progrès.
Si le
temps permet de continuer le débarquement, le bateau quittera Ker demain
après-midi. Telles sont les dernières nouvelles.
La
journée a été remplie pour moi. Ce matin j’ai donné un sérieux coup de main aux
sapeurs qui ont entrepris le nettoyage du camp. Nous avons fait disparaître,
entre autres, l’amoncellement de ferraille qu’il y avait à l’entrée de la route
du camp et qui était du plus mauvais effet.
Cet
après-midi j’ai, avec l’aide de P…, remis en ordre le magasin. Les boys sont
venus à 16 h pour lessiver le plancher et installer des lits Picots en vue du
débarquement. Pour terminer la journée j’ai entrepris de remettre en état la
trousse d’urgence qui pourrissait dans un coin. Bien repeinte elle servira pour
le débarquement, mais elle était dans un état déplorable.
Cet
après-midi n’a pas été favorable pour le camp. Les deux Jeep n’ont pas pu
sortir les deux taureaux tués par U… à cause du terrain; le 4x4 s’est enlisé et
a passé la nuit le cul dans l’eau. Enfin U… n’a pas pu aller relever ses
casiers.
3
Mai.
Journée
bien remplie, comme il se doit. J’ai tapé une grande partie des inventaires
‘Mécanique’. P… m’a donné un coup de main pendant que je lavais 2 chemises de
laine et un treillis.
Je
reprends cette journée par le commencement. J’ai mal dormi, faisant des rêves
idiots et j’ai été réveillé très tôt. À 6 h 30 je me suis levé et à 7 h nous
étions en piste pour aller tirer les deux remorques et les deux taureaux. Ça a
été vraiment laborieux. Il a fallu virer les deux remorques l’une après l’autre
au palan après des essais infructueux de remorquage par les Jeep. Pour plus
d’amusement, une remorque avait une roue crevée et une Jeep est restée à cheval
sur un rocher. Tout s’est bien terminé et à 9 h 30 les deux taureaux étaient au
camp. À 10 h, j’attaquais les inventaires, à 14 h j’ai fait la petite lessive
et de 15 à 17 h j’ai repris les
inventaires. Peu avant la nuit nous avons été au Dumas faire des essais de
combustion de gasoil pour essayer d’embraser le cratère pour l’arrivée du
Galliéni.
4
Mai.
J’ai
très mal à la tête ce soir et je ne ferai pas un très long journal. C’est
tordant de voir que dès que je me donne à fond, je vois ressortir à la fois les
insomnies et les maux de crâne. Sans doute à brève échéance les brûlures
d’estomac feront également leur apparition.
J’avais
aujourd’hui fourni un gros effort: 5 visite approfondies de rapatriement, une
visite générale pour un malade, rédaction de courrier officiel etc. Je comptais
prendre un peu de détente vers 17 h en allant au cratère Dumas, mais le sort en
a décidé autrement. Le maître ouvrier B… a reçu le portique sur la tête et été
amené à l’hôpital assez amoché. Gros moment d’émotion puis intervention, suture
aux crins, pansement. Le vrai cirque vu les circonstances et sans aucune aide.
De plus je n’étais pas prêt à 100 % et le peu de flottement qu’il y a eu,
qui n’était perceptible qu’à moi seul m’a porté un coup terrible. Je suis ce
soir littéralement anéanti.
Entre
deux visites, deux événements j’ai réussi à mettre au point un petit tampon
‘Île Amsterdam’ assez réussi. (NDLR déposé depuis au musée de la Poste°
Je reprends ce journal privé le 13 Mai.
Je vais donc en grande partie recopier le journal officiel.
5
Mai.
Le
marin met à l’eau son canot tout seul. D… réussi sur mes indications un pain
remarquable. Le détachement fignole. On s’entend sur une terminologie des
différents points remarquables de l’île. B… va bien mieux après avoir passé une
bonne nuit. Les météos font du forcing pour terminer les papiers. On assiste à
une sorte de retour des météos à la communauté excepté D…. Phonie avec le Gallièni.
Les premières dispositions en vue du débarquement sont prises.
6
Mai.
Le
Galliéni forçant l’allure sur la fin nous annonce Dimanche matin son arrivée
vers 15 h. Cela accélère immédiatement la vie du camp. Vers 15 h effectivement
le Gallièni déborde la pointe Novara, la superstructure, éclairée par un rayon
de soleil apparaît d’un blanc éclatant. Tout est prêt pour le recevoir, les
véhicules sont à la cale, E… est à l’exploseur prêt à saluer comme il se doit
l’arrivée du bateau.
15 h
30 le Galliéni passe devant l’établissement. Nous avons donné la cale
‘accessible’ tout au moins pour le débarquement du courrier. Le Galliéni passe
devant l’établissement dans le silence le plus complet, vire de bord au niveau
de la chaussée aux otaries puis s’éloigne lentement. La déception à terre est
grande. E… est désespéré car ses pétards sont devenus inutiles. Le bateau
s’éloigne vers les “pingouins”. Finalement le bateau mouille et envoie ses
trois coups de sirène. E… répond, mais, à cette distance, l’effet est un peu
loupé. Je monte à la radio et nous contactons le bord en phonie. Ils ne sont
pas chauds pour mettre une vedette à l’eau. Je me fâche un peu et dit:
« écoutez si vous étiez privés de courrier depuis six mois vous
comprendriez notre impatience, mettez vous à notre place». Je propose de
prendre le courrier à plus de 100 mètres de la cale avec notre
doris, « maintenant si vous ne venez pas c’est nous qui irons à bord
à la godille ». Le radio me répond: « ne vous fâchez pas Docteur nous
allons faire le maximum » - « Je ne me fâche pas mais qu’est-ce que
vous voulez nous en avons assez de cette légende qui court sur la cale et qui
veut que l’on redoute de voir le ciel vous tomber sur la tête quand on en
approche un peu trop. Nous avons vécu six mois en allant à la cale tous les
jours. Nous y avons vu manœuvrer par des temps qui n’avaient rien de comparable
à celui d’aujourd’hui les marins du Sapmer, c’est vous dire que nous sommes
bien placés pour savoir ce que l’on peut faire ».
Finalement
c’est décidé, la vedette va venir; elle emmènera le courrier et le Lt L...
Quand la vedette quitte le bord, P…, U… et moi armons le canot et nous allons à
200 mètres de la cale nous accrocher à un casier que Uzel n’a jamais pu
relever. Aujourd’hui il est le bienvenu, il va nous servir de corps mort. La
vedette arrive un moment après. C’est le commissaire du bord qui pilote. Vite,
vite dit-il, les sacs de courrier d’abord. Sans être téméraire, je trouve que
vraiment il n’y a pas de quoi s’affoler. Nous donnons en échange un casier
bourré de langoustes et quelques minutes après la vedette reprenait, à toute
vitesse, vent arrière, le chemin du bord. Nous tout doucement, avec le
courrier, nous rejoignons la cale. Manœuvre d’accostage sans bavure... mais, à
la remontée, le derrick refuse tout service et nous sortons le canot en
tournant le treuil à la main.
Pendant
que nous faisons les honneurs du camp au Lt L…, F… trie le courrier. La soirée
se terminera avec la présence d’E…, L… et P… dans ma chambre. Je trouve le
temps long, je commence à butiner le courrier. Je me retrouve enfin seul et je
dévore littéralement les lettres. Je regarde et regarde à nouveau les photos.
Vonette et Sylvie n’ont pas changé, Anne a grandi et se fait petite fille. Je
ne reconnais pas Florence, elle a l’air vive et malicieuse.
Je
m’endors très tard, un peu surexcité mais littéralement fou de joie, heureux
autant qu’il se peut de l’être, gonflé à bloc.
7
Mai.
La
cale est difficile, le Galliéni est mouillé aux ‘Pingouins’. On en profite pour
voir tout le courrier et répondre aux lettres. J’invite le Commandant de bord
et l’Administrateur H… à venir à terre, ils ne sont pas chauds et m’invitent à
monter déjeuner à bord. Rien de plus simple, à 11 h la vedette du bord vient,
le canot m’emmène à 100 mètres de la cale et je suis à bord sans encombre.
Monsieur H… est venu à bord de la vedette et je suis très sensible à cette
marque d’estime.
À
bord je prends contact avec le personnel du bord et avec le personnel de la
relève, l’accueil est sympathique. Je fais connaissance avec Monsieur P… le
cinéaste des chez Gaumont. Je l’invite à descendre à terre, lui ayant réservé
un lit car s’il veut travailler, il faut qu’il se trouve à terre. Il accepte.
Vers midi E… me fait savoir que la cale est praticable. Je n’arrive pas à convaincre
le bord qui attend pour manœuvrer que sa vedette ait été se rendre compte. Nous
ne lèverons l’ancre pour changer de mouillage qu’à 14 h. Je parle au Pacha, qui
m’a fait appeler à la passerelle, du mouillage du Gonio, il me dit:
« Qu’est-ce que c’est ». Je lui explique vaguement faisant référence
à un message, il me répond qu’il n’a pas lu le papier que je lui avais adressé
sur les mouillages possibles. Je me tais donc et laisse le bateau manœuvrer. Le
Galliéni réédite (3 em édition) les vaines recherches devant la cale du
Vercors, mouillage du Galliéni de l’année dernière. Finalement le Commandant me
demande « alors qu’est-ce que ça veut dire, derrière j’ai plus de 100
mètres de fond, devant j’ai 20 mètres et je suis sur la côte, je ne trouve pas le
mouillage indiqué par mon prédécesseur ». Maintenant que l’on m’interroge,
je peux répondre: « Savez-vous ce que disait le Capitaine B… de ce
mouillage, c’est que votre prédécesseur avait eu un sacré pot, qu’il avait dû
tomber sur un mouillage grand comme ça et qu’il avait eu de la chance d’y
rester trois jours » - « Et c’est maintenant que vous le dites après
m’avoir laissé chercher » - « Vous ne m’avez rien demandé ». Le
ton était cordial et je m’amusais beaucoup. Le Commandant alors « où
faut-il aller » - « au mouillage du Gonio ». Le Galliéni
manœuvre. Le commandant ne veut pas s’avouer vaincu, il cherche vers le Gonio
un mouillage, finalement il le trouve et quand il mouille je lui fais
discrètement remarquer qu’il est exactement sur l’alignement de mouillage que
je lui avais signalé par message.
Note
à la saisie: je n’ai pas relaté dans mon journal un incident très démonstratif
des relations pont-machine. Pour inverser sa marche le Galliéni était obligé de
stopper les machines. Le moteur principal était alors relancé par un
compresseur annexe. Au cours des multiples manœuvres de recherche d’un
mouillage l’interphone sonne à la passerelle, le pacha décroche, à l’autre bout
le Chef mécanicien: « Commandant est-ce que les manœuvres vont durer longtemps
car le compresseur chauffe et donne des signes de fatigue?”. Réponse du
Commandant de bord: « je fais mon travail, faites le vôtre”. Fin de la
communication.
Les
portières sont mises à l’eau et la première emmenant le personnel et les
cantines n’arrivera à terre qu’à 16 h 30, Que de temps perdu. Vraiment
les marins sont des gens méfiants. Nous ne débarquerons que 7 à 8 tonnes avant
la nuit. La mer ne permet pas de continuer de nuit.
8
Mai.
La
cale est toujours praticable et c’est le Galliéni qui est gêné cette fois pour
charger les portières le long du bord. Le Galliéni quitte le mouillage du Gonio
pour aller s’abriter aux Pingouins. Le temps passe. De là-bas, le vent d’Ouest
étant assez violent les vedettes mettent plus d’une demi-heure pour remorquer les
portières en charge. De plus les vedettes tombent en panne à tour de rôle.
Pratiquement nous nous croisons les bras à la cale. Nous prolongeons le travail
grâce à une installation électrique de fortune jusqu’à 20 h, mais nous arrêtons
le rythme est trop lent pour être profitable. Nous avons peur d’avoir gâché ce
beau temps et d’avoir ensuite un temps lamentable. La météo prévoit d’ailleurs
une aggravation pour le lendemain. Le bord demande une vacation pour le
lendemain 5 h et une prévision à ce moment-là de l’état de la mer à le cale et
au Gonio. Je me lèverai donc pour le troisième matin de suite à 5 h et c’est
moi qui passe le message.
J’ai rembarqué F… avec une demande de
punition, 8 jours. Il a terminé en beauté, en ‘persécuté’, quel idiot.
9
Mai.
5 heures,
c’est à n’en pas croire ses yeux, le baromètre loin de baisser cette nuit
continue à monter, il a atteint la plus forte pression observée jusqu’ici sur
l’île: 1033 millibars. Le vent qui hier soir avait amorcé une rotation à
l’Ouest de mauvais aloi a viré au Sud dans la nuit, la mer est d’huile. Je
télégraphie les observations au Galliéni en lui disant que nous avons une
chance inespérée et qu’il faut en profiter. C’est le Second qui me répond et
deux portières sont en cours de chargement. Elles seront à la cale à 6 h 30.
Pendant ce temps, le Galliéni va mouiller au Gonio. Les portières assureront
une rotation alternée et tout sera mis en oeuvre pour faire le maximum dans la
journée.
Moi
je termine le courrier officiel entre deux portières et à midi je reçois les
huiles à déjeuner. Hier le Capitaine du Génie P… et Madame avaient été mes
hôtes. Aujourd’hui; Le Commandant du Galliéni, l’administrateur H…, le
Commissaire et le Chef mécanicien mangent à ma table. Je reçois en grande tenue
civile me payant le luxe de changer trois fois de tenue en deux heures.
L’après-midi
les officiels vont à la Recherche. Monsieur P… qui a été à la Recherche et à la
Dive ce matin piloté par P… rentre absolument crevé.
Le
débarquement bat son plein. Vers 17 h, le Second vient rapidement à terre pour
dire au Pacha qu’il sera prêt à lever l’ancre vers 2 h demain matin car nous
comptons poursuivre le débarquement jusqu’au bout. Je ne suis bien sûr pas
d’accord pour le départ du bateau à 2 h du matin car tous ceux qui ont travaillé
à la cale n’ont pas pu boucler le courrier. Je ne donne donc au bateau que de
partir le lendemain à 14 h, mais en ai-je le droit? Je n’en sais rien, mais
nous avons eu assez de mal pour prendre quelques droits.
À 18
h des volontaires de Ker descendent à terre pour nous donner un coup de main.
L’équipe du génie est admirable, depuis ce matin 6 h 30 elle travaille sans une
plainte, sans une récrimination. Je vide vers 16 h des ‘touristes’ de Ker,
gentiment en leur disant qu’il n’y a rien de plus démoralisant pour les gens
qui travaillent que des gens qui ne ‘foutent’ rien.
Vers
19 h, la marée est basse, nous sommes en vive-eau. La portière qui reste
bloquée sur les rochers reçoit des coups de boutoir terribles, je suis sur la
portière et je me fais rincer à plusieurs reprises, une tonne de ciment à la
mer, on tient bon et la portière sera déchargée comme les autres. Les dernières
portières sont pénibles. Nous avons déchargé et évacué 160 tonnes. Nous terminons d’évacuer la cale à 2 h
du matin. Le bord, je l’apprendrai le lendemain, termine en même temps que nous
l’embarquement des portières.
La
journée n’est pas terminée pour moi. J’écris encore, mais à 3 h du matin vaincu
par la fatigue, je me couche.
10
Mai.
Debout
à 6 h car le vent a forcé et je ne tiens pas du tout à ce que le bateau soit
obligé d’attendre les gens et le courrier que je n’aurais pas pu embarquer.
L’état de la cale me donne quelques inquiétudes surtout au sujet des météos car
je sais que E… et P… se jetteraient à l’eau pour m’éviter des ennuis mais des
météos, je ne dois rien attendre. Je boucle le courrier officiel. Je termine
mon courrier personnel et mets dans ma dernière lettre tout mon amour et une
larme.
À dix heures, la vedette est à la cale.
Elle emmène le personnel. À 11 h, je monte à bord avec F… qui embarque le
courrier. Cette fois les officiers du Galliéni ont compris la manœuvre et,
malgré un petit clapotis, ils abordent directement à la cale.
À
bord le captaine du génie P… et Mr H… offrent le champagne. Mr P… me donne des
cigarettes pour les gars et me remercie pour l’accueil formidable qu’il a reçu
ici. Il me répète sur tous les tons: « c’est dommage que la langue
française n’ait que Merci ». Il y a à bord une ambiance fantastique, tout
le monde s’est intéressé à notre île, à notre effort. Tout le monde au moment
où je quitte le bord est là penché au bordage saluant d’une façon extrêmement
chaleureuse. Même G… a mis dans ses adieux quelque chose que je n’ai pas su
traduire mais j’ai deviné que malgré tout il reconnaissait, in extremis, la foi
qui nous animait tous. Le Dr P…, le second Commandant, H… vivaient avec nous la
vie intense et prenante d’Amsterdam.
Les
adieux avec E… et P… ont été écourtés. Nous en avions visiblement gros sur la
patate tous les trois et ça se comprend car nous avions formé pendant six mois
une équipe solide animée d’un certain idéal.
Le
commissaire du bord m’a donné des fruits pour l’établissement. Au total une
demi-journée terriblement instructive qui m’a donné du point de vue humain de
bien grandes satisfactions.
Le
Galliéni quitte vers 14 h et tourne autour de l’île au lieu de mettre le cap au
Nord. Nous n’avons pas le temps d’allumer entièrement le cratère Dumas, mais E…
nous dira en phonie que c’était quand même bien réussi.
11
Mai.
Journée
de repos absolu. On récupère, lentement, des fatigues des jours précédents.
L’esprit météo est un peu différent mais s’il n’y a pas de fossé cette fois on
n’a toujours pas des types pleins d’allant. Au point de vue mécanicien, par
contre, nous sommes bien mieux montés avec l’Adjudant C… car c’est un
travailleur et il connaît son métier. Un seul inconvénient, il le sait et de
plus il est du genre bavard.
12
Mai- Nous déballons les caisses. C’est toujours très amusant, mais c’est
terriblement fatigant. Nous recevons pas mal de choses. Certes il en manque
toujours mais dans l’ensemble je suis satisfait du matériel qui nous a été
envoyé.
J’étrenne
personnellement le compresseur pour déboucher la coulée des W.C du dortoir,
mais tout ce matériel qui nous vient de Ker est à revoir.
Nous
n’avons pas retrouvé en dépit de notre persévérance la caisse contenant la
platine du tourne-disque.
U… va
à la pêche avec les nouveaux arrivants. J’ai coupé les cheveux à L… qui s’était
fait proprement assassiner par un sapeur, puis à D…. Je me suis moi-même tondu
et rasé, moustache comprise.
J’étais
content, ce soir, de prendre une bonne douche et de me changer, mais avec ce
débarquement que de linge à laver!
17
Mai.
Je
n’ai pas pu résister aujourd’hui, au plaisir d’aller manier le marteau piqueur,
aussi ai-je passé une grande partie de mon temps sur le chantier. Je suis
content de voir marcher le compresseur comme un gosse qui aurait reçu un train
électrique.
À
part ça j’ai quand même déchiffré un message et codé un autre T.O. Mes
documents du chiffre sont maintenant en ordre et je m’en sers très aisément.
J’ai
lavé trois chemises de laine; du repassage en perspective. Il est probable que
Dimanche en huit il me faudra faire la grande lessive.
À 16
h Ker avait demandé une phonie.
18
Mai.
Les
sapeurs en mettent un sérieux coup sur la route du sable. Ils sont presque
arrivés à la coulée à soude.
U… a
été à la pêche car nous avons un temps admirable et il a ramené, entre autres,
un gros cabot et un magnifique bleu.
C…
met de l’ordre dans le service mécanique. F… prépare ses nouvelles antennes.
Moi
je ne suis pas encore rodé et en gros j’ai fait une heure de comptabilité et
une heure de thérapeutique. C’est peu, journée dispersée et peu rentable. Mais,
au fond, je récupère et ce n’est pas fait pour me déplaire.
Les
météos mettent l’accent tonique sur le travail considérable qu’ils ont et
déplorent ouvertement, trop ouvertement, de ne pas pouvoir venir sur le
chantier.
19
Mai.
Je
remets le journal à jour le 21 Mai car il n’y a pas eu, pour moi, de fait long
à relater le 19 et le 20.
Samedi
donc, lever vers 7 h, je monte avec L… immédiatement après le petit-déjeuner
voir la truie. Elle avait mis bas dans la nuit 14 porcelets et en avait écrasé
une bonne part. Nous récupérons 7 qui ne sont pas encore morts et les amenons à
la cuisine pour les réchauffer. Je donne des instructions au menuisier pour
qu’il me fasse une cage pour l’allaitement. Personnellement je n’ai pas fait
grand chose Samedi matin. L’après-midi j’ai été balader L… et M… aux cratères
Dumas et à Ribault.
Le
soir grande corrida pour faire téter les petits porcelets, mais ils n’ont pas
même la force de boire.
Reçu
un message d’E… et P…: « Bien arrivés. Tout va bien. Toutes pensées vers
vous. Bib ravie. Bon courage. Amitiés à tous. »
20
Mai.
Les
petits porcelets ne se portent pas trop mal. Nouvelle séance de tétée, quel
travail!
J'attaque
dès 7 h 30 la grande séance de tirage photo, mais j’ai de grosses difficultés à
mettre au point le tirage par contact.
À 10
h 15 phonie avec Ker. J’ai obtenu ce que je voulais; Le Père 5prêtre ouvrier
exilé à Ker) nous adresse un message de Pentecôte et en nous annonçant l’entrée
d’un bateau russe dans la baie de Port aux Français nous cite la parabole de la
tour de Babel.
À
propos du bateau Ob, le bateau russe, le 17 j’ai noté : phonie avec Ker.
Je me dois maintenant de reprendre toute l’histoire.
Donc
Jeudi P… administrateur à Ker, avait demandé une phonie. C’était pour me dire
qu’il valait mieux accorder nos violons au sujet du message reçu la veille
émanant des Russes et demandant des échanges météos. Thèse de P… « il
s’agit de la mission russe dans l’Antarctique. C’est trop important, je me suis
emparé de l’affaire et j’ai alerté Paris. » Ma thèse: « je regrette,
il ne s’agit pas d’une mission mais tout simplement du motorship “OB” et c’est
une question purement météo dont je refuse de m’occuper. » «Chacun est,
bien entendu, resté sur ses positions. Dimanche matin en apprenant par les
radios amusés que le bateau OB mouillait devant Port aux Français, il y a
quelqu’un qui était content. Ce n’est pas très chrétien, mais le fait que P…
ait voulu me donner une leçon m’a fait perdre toutes mes bonnes résolutions.
J’ai
passé ma journée au labo photo. J’ai fait 120 tirages et suis sorti de la
chambre noire à 23 h 30.
J’ai
quand même mis au point quelques petits trucs pour rendre le tirage par contact
rentable.
À 15
h, j’ai eu le message hebdomadaire de ma Mie. Le courrier est arrivé et je
devine toute sa joie. Cela, bien sûr, me rend heureux.
21
Mai.
Je ne
peux pas me tenir à un travail deux jours de suite et pour moi une journée
pratiquement perdue. Bien sûr je ne suis pas resté inactif. J’ai même en tant
que chef d’établissement mis certains points sur les I à F…, montré le tracé
des pistes à L…, etc. mais ce n’est pas ce que j’appelle une journée organisée
et rentable.
Les
sapeurs continuent la piste du sable.
J’ai
passé les boys aux météos pour faire la corvée de soude ‘chiottes’ en même
temps que la corvée de soude hydrogénée. Cela n’a pas échappé à L… qui m’a
demandé si les météos avaient droit aux Malgaches.
22
Mai.
Hier
soir une discussion très intéressante sur les profits que l’on peut retirer de
notre isolement nous a gardé à table jusqu’à 21 h 30. C’est la première fois
depuis le début du séjour que je vois une discussion intéressante s’installer
avec les météos. Il y a une différence fondamentale entre la nouvelle équipe et
l’ancienne, les nouveaux ont quand même quelque chose dans le ventre et ne sont
pas gonflés de vent.
J’ai
quand même amélioré un tout petit peu mon rendement aujourd’hui ayant séché sur
les inventaires ce matin et ayant fait une question de thérapeutique cet
après-midi. Mais ayant lu tard hier soir, je me suis endormi sur mon bouquin et
j’ai eu beaucoup de mal à terminer.
J’ai
fait une nouvelle prospection de piste avec L…. Nous ne sommes toujours pas
décidés sur l’itinéraire pour accéder au Dumas.
23
Mai.
J’ai
passé la journée sur la piste avec les sapeurs. Je me suis donné à fond, mais
aussi, ce soir, je suis complètement HS. Cela ne peut me faire que du bien car
j’ai passé une nuit tangente la nuit dernière et réveillé très tôt je pensais
bien me lever, ce matin, fatigué.
Le Lt
L… fait travailler ses types à fond de train. Il n’a pas, du travail, la même
conception que E…: plus à cheval sur l’horaire, moins amoureux du travail
fignolé, le Lt L… fonce. Je ne pense pas cependant qu’il pourra maintenir le
rythme et surtout le faire maintenir à ses sapeurs. On verra!
En
attendant la piste est ouverte presque jusqu’à la carrière de sable. Demain
soir le dégrossissage sera terminé et Samedi à midi la piste du sable sera
inaugurée.
Ce
nouvel état de choses a un intérêt c’est qu’il y aura encore pas mal de travail
de fait au cours de ces nouveaux six mois.
24
Mai.
Hier
soir nous avons eu une assez longue discussion avec L… sur la religion,
l’esprit actuel de la France. De ce point de vue, je gagne énormément au
change. L… remplace avantageusement E… et les discussions sont maintenant plus
profitables. Je ne pense pas que j’arriverai avec L… au même degré de
camaraderie car c’est un être assez froid et assez solitaire mais un fait est
certain c’est qu’avec moi il est beaucoup plus ouvert que l’on me l’avait
annoncé.
Passé
une nuit encore entrecoupée de rêves plus ou moins érotiques dont je ne me
souviens que vaguement. Mal dormi, peu en forme au réveil et j'ai eu recours à
l’excrétion forcée. Mais je mesure à ce moment-là l’idiotie profonde de cet
isolement. Je ne suis pas fait pour vivre seul.
25
Mai.
J’ai
été mal fichu hier soir, prédominance de troubles digestifs, vasouillard, et je
me suis demandé ce qu’il m’arrivait. J’en ai subi le contrecoup aujourd’hui,
diarrhée, somnolences après le repas de midi, tête chaude, pieds froids. Ce ne
sont que de petits ennuis, mais vu l’isolement ils ne contribuent pas à me
donner un moral d’enfer. J’accuse très nettement une baisse de forme et une
baisse d’intérêt pour l’établissement. Je le vois maintenant comme une machine
qui tourne relativement rond. Il n’y a plus cette renaissance du camp sortant
de sa léthargie et de sa crasse qui a caractérisé les six premiers mois. Le pli
est maintenant donné et pour moi, le travail principal est terminé.
Ma
journée entre coupée d’une sieste se répartit de la façon suivante: repassage
de 8 à 10 h 30, inventaires jusqu’à 12 h 15. L’après-midi: thérapeutique
entrecoupée d’une demi-heure de sieste et d’une visite au chantier.
Samedi
26 Mai.
Je
continue à travailler mollement sur les inventaires. C’est un domaine qui ne
m’inspire vraiment pas. Samedi après-midi, je me suis remis à la photo ayant
l’intention d’en terminer avec les tirages.
Les
sapeurs ont repris la route du sable à partir du camp et aménagent quelques
passages restés difficiles.
Samedi
soir, j’ai invité D… et L… à venir prendre l’apéritif. Il n’y a plus de doute
l’esprit n’est plus le même. D’un côté les sapeurs admettent que les météos ont
autre chose à faire que d’aller sur les chantiers; de l’autre les météos
reconnaissent le travail des sapeurs et leurs difficultés. Enfin le fait
d’avoir fait exploser le groupe météo donne à la table une cohésion qu’elle
n’avait pas.
Dimanche
27 Mai.
J’ai
passé la totalité de ma journée au labo photo donc peu de choses à noter.
A 11
h un message de ma Mie. Elle a reçu la totalité du courrier, mais je ne
comprends pas que les films arrivent un à un.
À
midi repas de qualité: Jambon, langoustes mayonnaise, rôti, pommes frites,
salade laitue, fromage, dessert...
Nous
avons eu à 10 h 15 le Père en phonie. La liaison avec Ker a marché de façon
admirable et j’ai retiré du message reçu une grande satisfaction morale.
28
Mai.
Je me
coucherai tôt ce soir. J’ai un point dans le dos et j’ai de la peine à rester à
mon bureau. Journée de travail très moyenne, ce ne sont pas des journées de
grand rendement.
Je
cherche à analyser mon état d’âme actuel. J’ai de la peine à m’y reconnaître,
mais une chose est certaine c’est que la solitude me pèse maintenant
terriblement. Pourtant l’atmosphère du poste est excellente, détendue. Je crois
que jamais les choses n’ont si bien marché, mais tout cela ne m’intéresse plus
que moyennement. Je suis perdu, littéralement perdu sans ma Mie, sans mes
filles. À voir les photos je me rends compte qu’elles évoluent, qu’elles
grandissent et je ne suis pas là pour voir leurs progrès. L’absence de ma
petite femme chérie prend maintenant un caractère plus aigu, sans doute est-ce
le fait de vivre en vase clos. L… est un type qui accepte la séparation avec
une facilité déconcertante, ce n’est donc pas avec lui que je parlerai, même de
façon discrète, de ces choses-là.
D’autre
part je ne tiens plus le deuxième journal devenu sans objet. Cela m’obligeait,
certains soirs à un petit effort physique à cause de la fatigue. Cela
représentait quand même un moyen de communion, un petit contact qui forçait un
peu le moral. Maintenant il n’y a plus qu’à attendre. Les jours sont courts,
gris, le travail est un travail de bureaucrate intégral et indubitablement il y
a la perspective de quatre mois difficiles à passer: Juin, Juillet, Août et
Septembre.
R…
fait le mort intégral, ce qui n’arrange rien.
Est-ce
que je suis démoralisé, non, ce n’est pas ça. Mais il me serait difficile
d’expliquer ce qui en est exactement. Un autre point contribue également à
changer mon état d’âme, le temps ne permet plus de longues promenades, il reste
peu de coins dans l’île que je ne connaisse pas, enfin, tous les animaux à
l’exception des jeunes otaries et des éléphants de mer ont déserté l’île. Plus
de manchots, plus d’albatros, plus de sternes au cri perçant.
J’ai
hâte de reprendre une activité médicale. J’ai épuisé en quelque sorte l’intérêt
que je portais à la Nouvelle-Amsterdam car désormais les moyens qui sont mis à
ma disposition pour aller franchement de l’avant sont insuffisants.
N’y a
-t-il pas aussi la sensation d’avoir atteint un but? peut-être! Il n’y a plus
de problèmes personnels, cette fois l’équipe est pratiquement entièrement
réalisée. Ce n’est d’ailleurs plus une équipe, nous sommes trop nombreux et le
fait qu’il n’y est plus de difficulté, de ce coté là, fait perdre beaucoup
d’intérêt au rôle que j’assume. Un docteur sans malade, un chef d’établissement
sans problème. Si, il y a un problème mais il ne me plaît pas car je n’ai pas
les moyens, c’est les inventaires du matériel.
29
Mai.
Journée
qui a commencé par un soleil splendide et qui s’est terminée dans la pluie.
Les
sapeurs n’ont plus que 70 mètres de route à parfaire. L’absence de rouleau
compresseur se fait terriblement sentir; malgré tout le travail obtenu est
remarquable.
Les
météos ont lâché le 2000 em ballon-sonde depuis l’existence de la station.
Legendre
est père d’un troisième fils.
Un
tour dans l’établissement m’a permis de faire quelques constatations:
- Le pommier a perdu une grande partie de
ses feuilles mais pas toutes; celles des rameaux terminaux ont l’air de ne pas
vouloir tomber.
- Le
mimosa perd ses fleurs sans être arrivé à total épanouissement.
- Les
glaïeuls continuent de donner des fleurs, les giroflées aussi mais elles sont
blanches.
- Les
poules sont mal en point. Elles s’accommodent très mal de l’humidité. Il y
aurait un gros travail urgent à faire dans le poulailler.
- C…
le mécanicien a trouvé 6 pannes valables sur le “Duvan” dit neuf et considéré
comme réserve. Je comprends de plus en plus pourquoi il était en réserve.
J’ai
passé, ce matin, la visite d’arrivée au personnel de l’établissement. J’ai mis
en ordre la Radio et le cabinet de dentisterie. Demain je reprendrai le
laboratoire et la pharmacie. C’est vraiment long pour reprendre quelque chose!
30
Mai.
Nous
avons eu une bonne petite tempête cette nuit, vent violent, plus de 100 kms/h
par moments, pluies en averses. Le temps s’est quand même amélioré ce matin et
après une dernière petite averse de neige roulée en partie fondue, nous avons
eu du beau temps. J’ai passé ma journée au chantier où je n’ai pas chômé une
seule seconde aussi ce soir, je suis K.O. J’ai quand même passé la visite
médicale à 7 sapeurs. N’était la vie en communauté, j’aurais eu du plaisir, ce
soir, à ne pas quitter ma chambre d’autant que je suis lassé de la bêtise de
certains: Masson disant que l’on ferait mieux de lâcher la génisse de deux ans
car lui s’en fout, dans deux ans, quand elle fera du lait, il ne sera plus là.
Demougeot continue, lui, malgré ce que j’avais dit, à envoyer la chienne
derrière les vaches. On se plaint ensuite qu’il faille aller chercher les
taureaux très loin, etc. Comme dit Legendre, on a cent fois plus de plaisir à
commander des Malgaches. Ferté que j’ai invité à venir travailler sur le
chantier cet après-midi a répondu que c’était la fin du mois et qu’il avait
beaucoup de travail. Il paiera cher ce désintéressement car ses antennes ne
sont pas encore plantées.
Je
suis fatigué, vraiment fatigué. Je sais que maintenant il me faudra faire un
très gros effort pour continuer à suivre l’affaire jusqu’au bout et pourtant
que de choses à faire dont je ne peux absolument pas me désintéresser.
31
Mai.
Fin
de mois. J’ai l’impression que le bateau est parti depuis très longtemps et
pourtant le courrier vient à peine d’arriver en France. 4 mois encore puis on
parlera à nouveau du bateau et de la relève. Cela me parait long et pourtant,
quand je considère le travail que nous avons à faire, j’ai l’impression que
nous n’y arriverons jamais.
Ce
matin j’ai fait un tour de jardin. Là aussi que de travail en attente. Le
nouveau jardinier, Thomas, est très bien, mais il n’est pas rapide pour deux
sous.
À 8 h
visite d’arrivée de trois malgaches plus une visite de contrôle. J’ai profité
d’un voyage du 4X4 aux Dumas pour aller faire des photos au flash d’un petit
cratère reste probable d’une fumerolle puis j’ai préparé l’inauguration de la
R.I 2 “route insulaire N° 2”. A 12 h 30 j’ai coupé le ruban symbolique fait
avec une bande teintée au bleu de méthylène et au mercurochrome. Tout le
personnel embarqué sur la Jeep et le 4X4 a étrenné la piste Camp- éléphants de
mer et retour.
Apéritif.
Legendre pour fêter la naissance de son fils Léonard, offre des marrons glacés
et des cigarettes. Je paie le digestif.
Cet
après-midi j’ai remis le labo en ordre. Tout est nickel ce soir et l’hôpital, à
quelques bricoles près, est enfin comme je le souhaitais. Il reste bien
quelques points de détail, mais dans l’ensemble je vois la fin de ce long
travail de remise en état.
J’ai
ensuite perdu une demi-heure à classer mes photos et mes négatifs. Ce soir, je
n’avais pourtant pas l’intention de rester, mais au moment de partir la
conversation a roulé, à table, sur l’Indochine et l’Algérie. Météos,
mécanicien, radios et Legendre discutaient “Opérations”.
1er
Juin.
Levé
tôt ce matin, j’en ai profité pour entreprendre un travail que je conduirai par
petites étapes, c’est la remise en état de la partie mare aux canards,
poulailler.
À 8 h
30, j’ai regagné ma chambre et si je n’ai pas poursuivi le travail
d’inventaire, j’ai préparé une centaine de fiches; travail fastidieux, mais
qu’il fallait faire.
Après
midi, je suis parti au cratère aux arbres, le Lt L… est venu avec moi. Nous
avons fait le chemin en jeep et ce chemin est vraiment de plus en plus mauvais,
lui aussi. Rentré vers 16 h 30 j’ai eu le temps de faire la question de
thérapeutique, mais il faudrait, pour bien faire, que j’arrive à doubler et à
faire deux questions de thérapeutique par jour.
Le
mimosa recommence à fleurir, 4 ou 5 fleurs. Il ne va pas cesser maintenant de
fleurir jusque”au mois de Juillet ou Août autant que l’on puisse faire des
prévisions dans ce pays au sujet des arbres.
Les
sapeurs ont attaqué la route des Dumas. Elle est évidemment plus dure à
aménager que la piste du sable. (NDLR : ces pistes étaient destinées à assurer
un approvisionnement plus facile en sable et scories pour lancer le programme
de constructions en dur).
Ce
matin, très tôt, je suis passé à ma météo où j’ai trouvé l’observateur de
service: M… hier soir il n’était pas venu à table. M… est fatigué de l’île, de
la météo etc. Après 15 jours de séjour! Il ne s’attendait pas du tout à trouver
autant de travail. C’est amusant, je trouve et l’on n’a pas fini de rire.
4
Juin.
Voilà
trois Dimanches où je me laisse aller à faire sauter mon journal personnel. Par
occupation d’une part car une fois de plus j’ai fait de la photo et puis parce
que je ne me sens pas en verve pour écrire.
Je
relate rapidement les faits: Samedi, le matin a été caractérisé par une foule
d’activités qui réussissent à remplir une journée mais laissent, au bout de 48
h, peu de souvenirs.
L’après-midi
nous avons été avec L… explorer les coulées de lave qui se succèdent en montant
au cratère Venus. Nous avons trouvé, en remontant, un jeune taurillon qui avait
dû crever de faim la veille à peine. La coulée était tondue d’une façon
remarquable.
Le
soir nous avons préparé des révélateurs films et photos et développé les deux
films du lieutenant.
Dimanche
j’ai fait de la photo et pratiquement pas autre chose.
Lundi,
aujourd’hui, j’attends depuis Samedi mon TELAV et cela me pèse de ne pas
l’avoir reçu.
J’ai
encore pas mal bricolé ayant récupéré un poêle à gas-oil dans une coulée et
ayant réussi à rassembler les pièces éparses qui le composaient. J’ai établi
les fiches inventaires du cabinet de dentisterie, de la radio, de la pharmacie
et du cabinet de travail. Je devrais, en principe, terminer à la fin de la
semaine l’inventaire complet du matériel non consommable.
Vu
avec L… l’ébauche du futur bloc sanitaire, fait le dentiste avec cette
fastidieuse séance de nettoyage des outils. À 16 h 30 une demi-heure de chasse aux
rats.
À 18
h, le Lieutenant a eu grâce à FB8BC de Tana une phonie avec sa femme qui a
accouché il y a une dizaine de jours. Petit à petit la personnalité de L… se
fait jour. Je n’ai pas encore de connaissances psychologiques suffisantes pour
le classer, mais, en tout cas j’ai là un magnifique sujet d’une haute
personnalité fournissant une multitude d’indications. Je cite tout d’abord la
mise en place d’un magasin hautement conditionné où est affiché sur la porte un
inventaire rigoureux. « Vous voyez là j’ai mes pointes, classées par
taille et ça sert j’en ai donné 100 de X mm et 100 de Y mm au menuisier
aujourd’hui ». L’autre jour: « Non je préfère laisser marcher le
compresseur à vide, ça sert de musique fonctionnelle, je perds trois litres
d’essence, mais j’y gagne en rendement ».
Aujourd’hui
il a atteint au cours de la phonie des sommets inimaginables. Cette phonie,
strictement L… a duré trois quarts d’heure. « Et ce fils comment il est,
ses yeux, sa bouche, ses cheveux, son poids... » pour les mille francs par
ci, pour les trois mille francs par là... Et surtout « ce chameau de fils
(l’aîné) dès que je ne suis pas là il fait ce qu’il veut ». dans le cas
particulier le fils refuse d’écouter le disque méthode ‘assimil’ sans doute
destiné à lui apprendre le Russe. Toute la famille est d’ailleurs versée dans
la russophilie intégrale, mais on devine que Madame L… le fait par amour pour
son mari, elle répond à un message en russe de son mari: « j’ai un peu
perdu ces jours-ci ». C’est d’ailleurs une des rares choses que je ne
comprenne pas, cet engouement pour les Russes.
Une
chose en tout cas me pèse c’est que j’ai hérité cette fois comme compagnon d’un
type absolument incapable de me comprendre et alors que l’équipe se trouve
soudée, c’est-à-dire qu’il n’y a plus au sein de l’établissement aucune
divergence, je me retrouve seul, effroyablement seul. J’ai cette fois comme
compagnon un ‘militaire’, c’est lui qui le dit. Militaire qui a tout d’un
officier prussien ou russe, (prussien non car pour lui c’est l’ennemi
héréditaire).
Il a
plusieurs principes, son fils s’appelle Léonard comme son Oncle pour recréer
‘la famille’. L’Allemand est l’ennemi héréditaire. Le Français est foutu. Les
Protestants sont des hérétiques. Un bon militaire se sépare de sa famille avec
le sourire et le plus complet détachement. Il faut du travail, du rendement et
de l’ordre. Tout chez lui est organisé même les réjouissances, même les
instants de détente. Il est venu à la Nouvelle-Amsterdam avec des
renseignements historiques, géographiques sur l’île, avec des plans de travaux
etc. Tout ça préparé par ‘Père’.
Pauvre
Nourson qui aurait eu besoin de quelqu’un qui le comprenne un peu. Au fond pour
moi, c’est une épreuve, peut-être la pire des épreuves mais je l’accepte comme
j’accepte toutes les épreuves dues à l’isolement qui nous est imposé.
Pourtant,
ce soir, je viens confier à ce cahier le véritable sens de ma vie. Amour, oui
amour. Je vis avec mon cœur et c’est indéniable. Je sens toutes choses et tous
mes actes sont dictés par le sentiment du devoir, du désir de mieux faire. Il
m’est extrêmement difficile de me plier à une discipline même rationnelle si
elle n’est pas amoureusement consentie.
Et
puis il y a au dessus de toute ma vie cet amour de ma femme et de mes enfants.
Dieu m’est témoin il n’y a, dans cet amour, à l’instant précis où j’écris
aucune attache physique. C’est un amour dirigé uniquement vers cette femme qui
vit avec moi, en moi et me comprend, qui partage avec moi la totalité d’elle
même. J’ai besoin de cette communion complète étape d’une communion avec Dieu.
J’ai besoin de partager avec ma Mie mes joies, mes peines, mes soucis, mes
engagements. Oh Dieu permettez-moi de vivre pleinement cette vie merveilleuse
que vous m’avez donné.
Mon
amour, j’ai besoin de toi, j’ai besoin de ta présence. Toi seule me comprend,
toi seule et mes filles comprenez la réserve d’affection et d’amour que je
porte en moi. Amour pour moi c’est le plus joli des moteurs car Dieu lui-même
est amour et quand je relis dans tes lettres que mes filles sont sages, sont
douces et câlines avec leur Maman je trouve ça merveilleux. Je crois qu’après
ce séjour je serai un peu plus armé encore pour rendre la vie de mes trois
filles et de ma petite femme chérie encore plus douce et surtout encore plus
digne d’être vécue.
Le
temps était incertain quand je me suis levé à 6 h 30 ce matin. A 7 h 15 il
pleuvait très fort avec un vent violent de Sud-Sud-Est. Pratiquement personne
n’a pu sortir de toute la matinée. J’ai donc repris ce matin mes inventaires et
je m’y suis tenu une grande partie de la matinée. J’ai également entretenu
l’ordre de l’hôpital et à midi et demi en allant au réfectoire j’ai enfin eu
mon Télav. Il a été le bienvenu et il m’apportait les nouvelles attendues,
solde, monographie. Je suis heureux de voir que ma solde atteint enfin son
chiffre maximum et je pense que, maintenant ma petite Mie va s’en tirer très
bien.
J’oubliais
de noter qu'avant le repas j’ai été sous la pluie jusqu’à la mare aux éléphants
de mer pour voir où en était la piste. Elle s’est très bien comportée sous la
pluie et seul un point sera à reprendre. J’ai trouvé six jeunes otaries et j’ai
pu en caresser une et la contempler pendant dix minutes environ. Dans une
flaque d’eau, elle évoluait, faisait des tonneaux, grattait son museau avec ses
nageoires et venait voir périodiquement si j’étais toujours là.
Cet
après-midi, après m’être occupé de ‘Parsifal’ qui a eu un coup de froid et qui
était subclaquant, j’ai aménagé le chemin conduisant au poulailler qui était
devenu un bourbier innommable.
6
Juin.
J’ai
passé la journée sur la piste avec les sapeurs mais une fois de plus je suis
obligé de reconnaître que cette façon de procéder n’est pas rentable aussi dès
que les pistes seront terminées je laisserai le Génie à son travail sauf les
jours où il fera de menus travaux pour le camp. De toute façon cette journée
passée au grand air m’a fait le plus grand bien.
‘Parsifal’
le petit taurillon est pour l’instant tiré d’affaire mais actuellement le
cheptel n’est pas brillant. J’ai l’impression que les pépins s’accumulent, 40
poussins noyés, 14 petits cochons morts de froid, la génisse et le taurillon
pas très brillants mais je ne désespère pas car nous n’avons rien pour démarrer
ni étable ni fourrage ni rien.
L…
commence à m’échauffer sérieusement les oreilles car il a un peu trop tendance
à prendre le contre-pied de ce qu’on lui dit. Vais-je réussir à le laisser
tomber à la verticale ? Il
faut que je fasse un réel effort sur moi-même mais j’y arriverai.
7
Juin.
Comme
suite à l’histoire d’hier, je dois reconnaître qu’aujourd’hui L… m’a invité à
visiter le chantier et d’autre part ayant exprimé le désir de faire un passage
dans le bourbier devant l’hôpital, une heure après L… envoyait une remorque de
scories. Je prends bonne note, mais je persiste à penser que c’est dans la
mesure où il sera obligé de venir me chercher que j’aurai barre sur lui.
Dimanche
10 Juin- Tangente 22 semaines.
Je
suis content de ma journée car elle a été bien remplie. Le matin j’ai fait à la
machine à laver toute ma lessive, 8 slips, 5 tricots de peau, 5 chemises, 4
serviettes, après avoir fait bouillir mon linge blanc. J’ai terminé pour le
repas de midi. De 14 h à 15 h 15 j’ai été aux champignons avec C… et M…. Le
soir, au repas, nous avons eu des champignons excellents.
Au
retour j’ai été donner un coup de main à L… qui a eu des déboires considérables
avec son papier photo ‘Velox’.
Après
le thé rituel, j’ai attaqué le repassage. Par bonheur mon linge avait séché
suffisamment dans l’après-midi en dépit d’un temps pas sûr. Si je n’avais pas
cédé la place à L… pour un treillis je terminais le repassage.
11
Juin.
J’ai
terminé le repassage, il me restait deux chemises. J’ai repeint le poêle à
gas-oil, réparé mon fauteuil métallique, mis de l’ordre dans ma chambre. Cet
après-midi nous avons liquidé avec L… une question qui me pesait,
l’implantation du futur mât central d’antenne. Nous avons, en même temps revu
l’implantation de la future baraque Fillod puis nous avons bavardé sur
Kerguelen. J’ai ébauché une question de thérapeutique.
A
l’atelier mécanique, l’adj C… réussi à redresser, petit à petit, une situation
qui était plus alarmante que je ne le supposais. Les deux ‘Duvan’ sont
maintenant en route et la question chauffage est bien prête d’être résolue. En
démontant l’une des deux dynamos des anciens groupes ‘Vandoeuvre’ nous nous
sommes rendus compte qu’elles avaient été sérieusement maltraitées. Il y a de
grandes chances pour qu’elles soient hors service.
12
Juin.
J’ai
lu jusqu’à minuit hier soir aussi ce matin je n’étais pas vaillant pour me
lever à 7 h 10. J’ai quand même passé une bonne journée: visite d’un jardin et
ordre de mise en route de l’agrandissement de la cressonnière, puis je me suis
mis aux inventaires des boîtes à outils chirurgicaux et à midi l’inventaire de
l’hôpital était pratiquement terminé. Cet après-midi j’ai fabriqué, de mes
mains, un petit classeur pour mes fiches ‘matériel’. J’ai passé une deuxième
couche de peinture au poêle. L’après-midi s’est terminée avec la nuit vers 5 h.
J’aurai le temps de faire une question de thérapeutique avant le repas.
13
Juin.
Comme
tous les mercredis j’ai passé la journée sur le chantier. Pour moi c’est une
journée agréable en dépit de la fatigue physique qui atteint un degré presque
douloureux. Cela représente une détente morale remarquable. C’est peut-être la
journée qui passe le plus vite pour moi et qui me fait apprécier au maximum la
douceur de me retrouver dans ma chambre le soir. D’un autre coté je pense que
cela me rapproche de l’équipe ‘militaire’.
Toutefois
ce n’est pas tout et demain il me faudra reprendre mon travail de médecin en
faisant le dentiste. C’est toujours nettement empoisonné que je fais le travail
d’arracheur de dents mais j’accepte l’épreuve. La seule chose que je regrette
c’est de ne pas avoir un bouquin pour me perfectionner.
Au
point de vue établissement ça marche, jusqu’ici il n’y a pas eu la moindre
histoire.
14
Juin.
Une
journée bien remplie et pourtant je n’ai pu faire ni inventaire ni
thérapeutique. J’ai passé trois heures à faire le dentiste et à soigner 4 dents
plus le nettoyage des instruments et la stérilisation. Quel métier!
Les
sapeurs attaquent le dernier tronçon de la piste des Dumas c’est-à-dire des
‘Cochons’ à l’hôpital. Il reste encore des tonnes de scories à apporter sur cette
piste.
C…
revoit un à un tous les moteurs. En ce moment il est sur le petit compresseur
‘Mercury’.
Les
météos bricolent. Ils ont mis leur poêle à gas-oil en état. Peut-être
attaqueront-ils la réfection du chemin de l’observateur.
J’ai
développé ce soir le premier film 24x36. Il a l’air bon. Je tirerai les photos
Dimanche pour voir ce qu’il vaut vraiment.
Au
point de vue moral, j’accuse une nette lassitude. Ce n’est pas de la tristesse
ni une baisse de forme morale mais la solitude me pèse terriblement. En
rentrant à l’hôpital ce soir, je pensais que vraiment je n’étais pas fait pour
vivre loin de ma femme, loin de ma famille. Je me demande comment font les
autres, comment ils sont bâtis car personnellement je suis totalement
déséquilibré. Ce n’est plus cette tristesse et ce déséquilibre moral qui a
caractérisé la période de Rennes. Non, je suis actuellement équilibré, assidu
au travail ne prenant pratiquement pas de distraction au sens propre, le
travail manuel étant le dérivatif d’un travail de bureaucrate un peu pénible.
Mais il y a un trou dans ma vie, ce trou qui fait que je vis comme un automate,
que je dors par nécessité absolue ne trouvant à chaque heure que le faible
intérêt d’un travail toujours plaisant mais qui attend vainement la douce
récompense; le soir, de la présence de la personne aimée.
15
Juin.
Les
petites nouvelles d’abord. Le gros oeuvre est terminé sur la piste des cratères
Dumas. Le compresseur va se taire pour quelques jours.
C…
arrange avec les moyens du bord le moto-pompe de la centrale ‘Duvan’. Le
compresseur ‘Mercury’ est entièrement refait.
M… a
été à la chasse, aux rats ce soir.
L… a
fait de la photo hier soir et a terminé ce matin.
J’ai
tiré le film 24x36. Vu à l’agrandisseur, c’est correct mais légèrement
surexposé.
Le
menuisier termine sa deuxième armoire.
Les
récepteurs radios ont été inondés par l’eau qui s’infiltre dans la baraque
radio-météo.
Voilà
pour les nouvelles. Je n’ai pas arrêté de la journée, mais une fois de plus
j’ai la sensation de n’avoir pas fait de travail rentable. J’ai pourtant rangé
la pharmacie et mon armoire à poisons, le linge chirurgical etc. Ce sont des
bricoles qui ne ressortent pas et mon successeur ne pourra jamais imaginer ce
qu’était l’hôpital avant mon arrivée.
Autre
fait important pour moi, j’ai réussi à me chausser avec une paire de bottes
toilées, du 45, et pour faire la pointure je mets mes chaussons en buffle...
Cela m’enlève un grand poids car mes bottes C.C.C sont à la limite et si je
veux pouvoir les faire réparer j’ai intérêt à ne plus les porter.
J’ai
passé une mauvaise nuit et je retrouve les réveils matinaux.
18
Juin.
Comme
chaque fois, quand je me mets à faire de la photo, je ne prends même plus le
temps de mettre mon journal à jour;
Je
reprends donc: Samedi, c’est loin déjà, j’ai pratiquement passé ma matinée au
cabinet de toilette, corvée de W.C avec D…. Ça s’est bien passé et je deviens
expert dans l’art d’entretenir et vider les fosse ‘Perfecta’. Après ça, j’ai
entrepris de nettoyer et ramoner la chaudière des douches et le conduit de
fumée correspondant, un sacré travail. J’ai terminé par un travail un peu plus
fin, j’ai fait du fixateur papier pour un tirage photo l’après-midi.
Le
soir ça n’allait vraiment pas fort, à plat, énervé, excité, je n’ai pas pu
m’endormir avant une heure du matin et encore j’ai eu recours au délestage.
Dimanche,
réveillé tôt, un peu plus en forme mais avec un mal au crâne terrible. Le matin
j’ai fait de la photo. A midi j’ai été obligé de prendre de l’aspirine.
L’après-midi j’ai continué la photo.
Après
12 jours j’ai enfin mon message hebdomadaire. Il marque une étape, qui arrive
après d’autres étapes. Vonette part en Bretagne, ce sont les vacances. Elle me
donne le prix ‘Argus’ de la 203,je suppose donc qu’elle est prête à la vendre.
J’ai également reçu un message de mes parents et un message de P… qui vient de
perdre son beau-père.
Hier
soir je me suis endormi à 10 h, physiquement en forme et surtout soumis.
Lundi-
J’ai passé ma journée à faire le chef d’établissement. C’est un travail qui
semble peu rentable et pourtant il faut avoir l’œil à tout: au gas-oil qui
défile à une cadence trop accélérée, au pain qui depuis deux fournées est à peu
près immangeable, aux œufs (4 oeufs ont disparu et je suppose qu’ils n’ont pas
été perdus pour tout le monde), aux météos qui mettent enfin en chantier le
chemin dit de l’observateur, aux radios pour trouver une place à leur moteur
électrique, etc. Et toute la journée j’ai cavalé dans le camp.
Ce
soir ça va et comme hier soir, je suis en forme, posé et résigné car c’est
de la résignation l’état qui veut que l’on ne réagisse pas à l’épreuve morale
par une révolte physique. J’en ai assez de cet isolement. Ma mie, mes enfants
me manquent terriblement, pour une fois, depuis mon mariage. Je prends
conscience de la valeur du temps. Je me rends compte qu’une vie heureuse est
faite d’une multitude de choses, que ce n’est pas simplement une vie faite d’un
travail honnête, d’une nourriture abondante et d’un bon sommeil.
Le
climat de la Nouvelle-Amsterdam n’est pas dur, d’accord; c’est une température
uniforme et la pluie n’est pas plus fréquente qu’en Bretagne ou dans le Nord.
Il y a le vent, mais il ne vient que comme ‘leitmotiv’ dans la scène qui se
joue.
Jamais
personne n’a mis l’accent sur le véritable caractère de l’île: c’est une petite
île, déserte et isolée.
Petite,
pendant six mois d’été on a fait le tour de l’île et l’on en a pratiquement
épuisé l’intérêt. D’ailleurs cet intérêt se reporte sur les six mois de beau
temps car en hiver toute la région Sud-Est est inaccessible et tous les oiseaux
ont disparu, plus d’albatros, plus de manchots, (constatation à vérifier). On
se trouve donc confiné, bon gré mal gré, dans la zone du camp.
Déserte,
ça se passe d’explication. Il y a, ici, 29 hommes un point c’est tout et en
dehors du travail, de quelques rares jeux de cartes, il n’y a pas de
distraction. Nous n’avons même pas reçu l’électrophone.
Isolée
et ça c’est important, pas de journaux, pas de nouvelles, pas de lettres et
même pas de bonnes émissions radio. On pourrait facilement compter le nombre
d’émissions correctes captées à la radio, seule ‘ the voice of América’ était
facilement audible.
J’extrapole
peut-être en disant que cet isolement touchait tout le monde, pourtant il n’est
que de voir combien chacun attend son message, message qui lui apporte quoi?
...25 mots passés en ‘Morse’. Combien une simple liaison phonie avec le Père de
Ker peut être intéressante, combien elle est écoutée etc. Il y a les frustes,
ceux qui sont des végétatifs, ceux-là, peut-être coulent un séjour acceptable.
Il y a les individualistes fuyant une société qui ne les assimile pas ou qu’ils
n’ont pas assimilée. Il y a les ‘équipes’ sorte de transfert d’affectivité, un
magnifique exemple chez un réunionnais qui depuis le départ de ses camarades de
la Réunion se trouve nettement en baisse de forme morale.
D’une
façon générale tout le monde, en gros, est marqué par le séjour et je vois des
traductions physiques. Elles valent ce qu’elles valent: c’est le vieillissement
rapide de tous les êtres, ici il n’est que de comparer les photos ‘arrivée’,
‘départ’. C’est la courbe pondérale qui aux environs du 5 em, 6 em mois amorce
une chute continuelle et uniforme. Chose curieuse cette chute n’existe pas chez
certains, rares, l’un qui a prolongé son séjour au-delà d’un an, l’autre,
marin, habitué à ce genre d’éloignement encore que la vie sur l’île n’ait rien
de comparable à un embarquement: il n’y a pas d’escales.
On
comprend mieux alors la nécessité absolue de souder l’équipe car dans cet
isolement nous sommes condamnés à nous supporter continuellement. Le moindre
heurt risque de devenir grave et peut prendre, ainsi, des proportions
considérables. (NDLR Il y aura un suicide dans une mission suivante, voir ‘Le
moine bleu’ de Jacques Bessuge). Faire équipe c’est accepter, chacun, un
certain nombre de concessions. Par bonheur je n’ai cette fois personne
d’absolu, personne de catégorique et quoiqu’il soit un peu tôt pour l’affirmer
je ne pense pas que nous ayons des ennuis d’ici la mi-Octobre.
Isolement
encore pour le ‘chef’. Nous sommes loin de Paris et le fait d’être patron
pendant un an d’une boutique pareille, sans avoir reçu de directives, sans
recevoir ni appréciation ni encouragement, sans savoir même si on est dans le
bon chemin, sans savoir, ce qui est pire, ce qu’ils veulent ceux d’en haut, le
savent-ils d’ailleurs, n’est pas sans influer sur le tonus, sur ce que
j’appellerai les forces vives du chef.
19
Juin.
Cette
fois nous goûtons sérieusement à l’hiver Austral. Le vent a soufflé toute la
journée à plus de 70 kms/h et la mer est déchaînée. À 14 h quand nous avons été
voir avec L… la cale du haut de la Marine, nous avons eu une idée exacte de
‘cette terre balayée par les tempêtes australes’. C’est gris, c’est triste et
le vent serait pénible si l’on n’en prenait pas l’habitude.
Les
sapeurs ont attaqué la baraque Fillod. Nous passons, cette fois, aux
réalisations proprement dites. Tout ce que je souhaite c’est que cela aille
vite pour que nous ayons le temps de réaliser la totalité du programme.
J’ai
adressé les messages de voeux pour la ‘Mid-winter’ à Perth, Mac-Robertson et
Ker. Reçu dès ce soir une réponse bien sympathique de Perth.
J’ai
démonté complètement la table d’opération pour le nettoyage et le
graissage-préparatifs de relève-.
Opération
‘Virus’. J’espère que le virus de l’Institut Pasteur va être très actif sur les
rats.
20
Juin.
J’ai
passé la journée au chantier. Ce matin j’ai fait l’approvisionnement en sable
avec le Lt L…, ce soir j’ai fait de la pierre, tout seul. J’ai terminé très
fatigué. J’ai récupéré depuis grâce à une bonne douche.
Les
rats ont mangé absolument tout le blé-virus mis à leur intention; J’espère que
le résultat sera bon.
Les
sapeurs ont commencé la maçonnerie de la baraque fillod. Je n’ai rien dit ce
soir mais le lieutenant laisse travailler comme maçon un type qui monte des
murs pas très droits. Avantages et inconvénients, L… travaille plus vite, mais
le travail qu’il exécute n’a pas le fini de celui d’E….
Accrochage
entre C… et un sapeur. Il ne sera pas possible d’empêcher C… d’être Adjudant
donc vache et P… d’être Sapeur donc c... Cela se terminera certainement par une
punition.
Message
d’E…, ma demande de prolongation par un séjour à Madagascar a été transmise à
Paris avec avis favorable. J’en suis heureux et remercie Dieu de me permettre
de réaliser ainsi mes vœux.
Discussion
entre catholiques, parpaillots et athées ce soir après le repas. Le pont ainsi
jeté entre météos et sapeurs n’est pas négligeable. Ces discussions d’après le
repas, d’une façon générale, resserrent les liens du personnel.
21
Juin.
J’ai
passé la journée dans la salle d’opération. J’ai remonté, après l’avoir astiqué
pièce par pièce et vaselinée la table d’opération. J’ai enlevé la poussière et
les boys ont lessivé le parterre. Ce soir j’ai une salle d’opération presque
impeccable, je dis presque car la fontaine chirurgicale a besoin d’une bonne
réparation. Après un an de séjour j’ai l’impression que je laisserai encore des
choses à faire derrière moi.
Ce
matin nous nous sommes réveillés avec une bonne dépression sur le dos,
baromètre effondré, vents de 120 à 140 kms/h, pluie, un vrai temps de cochon.
Puis le trou est passé et la journée a été correcte.
Malgré
le temps les maçons ont continué les fondations de la baraque pendant que
Legendre assemble les premières fermes.
C…
travaille toujours à la bétonnière. Le poulailler, sous le poids des sacs de
farine, s’est affaissé; le menuisier et un charpentier l’ont remis en place.
Malgré
le vent violent les météos ont réussi leur lancer de ballon. Comme dit Petit
Louis: ‘chapeau’.
Reçu
un message plein de douceur de ma petite Mie pour la St Jean.
22
Juin.
Rien
de bien neuf dans le poste sinon qu’un anticyclone a succédé à la dépression
mais un anticyclone froid: + 6°.
A
part ça C… est venu à bout de la benne et les sapeurs terminent les fondations
de la baraque.
Moi
j’ai tiré ma flemme lamentablement perdant mon temps dans des babioles pas
rentables. Entre autres, j’ai essayé de mettre au point le ‘Foca’ de la mission
car il ne marchait pas du tout et les premières photos faites sont minables. On
verra les suivantes. J’ai fait une stérilisation ce matin, soigné les dents à
un sapeur, lavé les carreaux du cabinet de dentisterie, essayé le fioul dans le
poêle et été à la chasse aux chats sans voir la queue d’un.
Je ne
suis pas du tout content de ma journée. J’essaierai de me rattraper demain. Il
faut à tout prix que je revoie tout le matériel chirurgical, que je fasse une
stérilisation à l’autoclave et que je nettoie la verrerie du labo. Après ça
l’hôpital sera à peu près en ordre. Lundi j’attaquerai l’inventaire intendance,
je n’ai pas fini.
23
Juin.
En
dépit d’une matinée bien employée, je n’en ai pas terminé avec les instruments
de chirurgie. J’ai fait une fois encore un essai de stérilisation à
l’autoclave, mêmes déboires que la première fois les boîtes ressortent
absolument saturées d’eau.
Reçu
un message de Mamine.
L’après-midi
nous profitons d’un temps clément qui ne durera pas pour faire avec le
Lieutenant une virée, Camp, cratères aux arbres, Good-year, pointe du Vélor,
pointe et plateau de la Recherche, camp. Nous avons retrouvé à la Recherche de
très nombreuses otaries, les petites ont des fourrures splendides bleu-nuit
cendré. Elles tètent encore.
En
rentrant, après m’être sérieusement désaltéré, j’apprends à P… à développer ses
films. J’y consacre la soirée
24
Juin.
Les
familles Deramond-Diana sont rassemblées à l’Agandon. Ici la tempête fait rage,
des rouleaux impressionnants déferlent sur la cale. J’ai mis ma chambre en
ordre. j’ai nettoyé consciencieusement mon ‘Semflex’, séché au poupinel deux
boites de compresses.
À
midi pour passer à table, je me suis mis en tenue civile, complet bleu et nœud
papillon.
Après
le repas, photos à la cale. Puis j’ai nettoyé au trichlore le costume et l’ai
rangé. J’ai lavé un tricot et un pantalon de laine et l’après-midi s’est
terminée. La tempête reprend.
25
Juin.
Deux
choses caractérisent cette journée: tout d’abord je me suis tenu à mon travail
et j’ai pratiquement terminé la révision du matériel chirurgical. La deuxième
c’est que nous avons eu ce soir avec L… une discussion de près de deux heures
sur maints sujets, mariage, religion, etc. Je suis, là, sur un terrain que je
connais très bien où je suis servi, grâce à Dieu, par une expérience
merveilleuse et je suis heureux de parler de mon bonheur, de ma conception de
la vie, de mes filles, etc. Peut-être reviendrai-je sur la question demain.
Pour ce soir j’en ai quand même assez et j’ai besoin que les idées se décantent
un peu car parallèlement je suis en train d’élaborer dans mon esprit un plan de
passation de service. J’ai l’intention de préparer un petit travail avec un
certain nombre de considérations et un plan de rapport de fin de campagne. Cela
fait beaucoup à penser pour un seul homme!
26
Juin.
J’ai
longtemps hésité avant de venir écrire le compte-rendu de la journée car un
télégramme de la F.O.M me demandant de réduire les commandes m’avait mis dans
un drôle d’état. De plus en plus R… se dévoile sous un jour nettement
défavorable et les Terres Australes se confirment comme étant un sacré
‘foutoir’ mais passons pour l’instant.
Journée
de travail correct, j’ai terminé la mise en ordre du matériel chirurgical. Si
je consacre Mercredi au chantier et Jeudi aux soins, je pourrai entamer les
inventaires ‘intendance’ peut-être Vendredi mais, en gros, je ne pense pas y
travailler avant Lundi prochain car je consacrerai peut-être une journée à
mettre pas mal de choses par écrit.
Hier
soir à 10 h je suis sorti à la chasse au clair de lune et tué une chatte
sauvage. Ayant vu un petit j’y suis revenu ce soir, le clair de lune étant
chose rare maintenant et j’ai eu un jeune chat.
27
Juin.
Journée
passée, comme tous les Mercredis au chantier. Ce matin nous avons mis la
bétonnière en place puis nous avons attaqué immédiatement le béton. La
bétonnière a marché à la perfection. Nous avons coulé la dalle d’étanchéité et
de propreté et mis en place les madriers de la baraque Fillod. Cet après-midi
nous avons mis en place les deux premières fermes et les premiers panneaux et
voilà la journée passée.
Reçu
par la voie officieuse, F…, un message de Ker nous apprenant que Ker contactait
depuis deux mois la Terre Adélie. Nous demandions le matin à Mirny (la base
russe) de nous passer les observations de la Terre Adélie. Il est déplorable de
voir Ker nous traiter en quantité négligeable et surtout de voir un
sous-officier, le radio de Ker, faire preuve de tant de mauvaise volonté.
28
Juin.
J’ai
eu ce soir vers 5 h une crise de découragement. J’en avais franchement assez.
Je venais de faire pendant 2 heures le dentiste puis de me taper le nettoyage
de tous les instruments. De plus les histoires de Kerguelen au sujet des
vacations radio avec la Terre Adélie, de Paris au sujet des commandes m’ont mis
dans un état qui n’a rien de drôle. J’en ai assez, franchement assez et si cela
continue, j’arriverai à saturation bien avant la fin du séjour. Je me souviens
de crises analogues au premier semestre, mais cette fois il s’y ajoute une présence
aux Terres Australes et un isolement de huit mois.
Fort
heureusement j’ai eu ce soir avec L… une très longue discussion sur un peu tous
les sujets comme d’habitude, mais le thème était en gros le bonheur, notre
bonheur sur terre et nous parlions du ‘Berger’. Est-il heureux, n’est-il pas
heureux? L… regrette le moyen-âge., moi non car la civilisation me donne la
possibilité de concevoir mon bonheur. D’accord elle me donne aussi des
emmerdements et la conscience de ces empoisonnements. Une fois posé le bilan
positif de notre vie j’estime que plus on prend conscience mieux cela vaut.
Nous
avons pu parler ainsi de nos familles, à mots discrets bien sûr mais que
d’évocations intérieures correspondaient au moindre mot. Une fois de plus j’ai
pris conscience de mon bonheur et une fois de plus j’en remerciais Dieu.
29
Juin.
Grâce
à une idée susurrée ce matin, le Lt L… réussit à déplacer la baraque Fillod,
entièrement montée, de quelques centimètres et à la replacer au milieu des
madriers. J’en suis heureux car étant donné le mal qu’il se donne j’aurais été
embêté qu’il y ait un vice de construction.
C…,
grâce à une autre suggestion réussit à faire dans sa matinée 90 anneaux
d’ancrage pour les haubans des antennes radio. Je ne tire pas gloriole de ces
faits, je constate simplement que je suis capable de m’intéresser à beaucoup de
choses, pour mon malheur car, à mon avis, cela diminue mon aura de
médecin. La polyvalence n’est plus de mise.
Les
premiers poussins sortent de leur coquille. J’espère qu’ils auront plus de
chance que ceux de la couvée de Février.
U… à
la pêche: le matin il n’a rien pris, l’après-midi il pêche à la cale une
quarantaine de langoustes.
Je
retrouve, étant parti pour la chercher, la génisse perdue il y a quelques
jours. Elle a toujours son collier et sa chaîne mais cela ne l’a pas empêché de
galoper et de me faire piquer une bonne suée.
Reçu
un doux message de ma Mie et un bon message de Mamine.
Je
recommence à mal dormir et cette nuit j’ai bien cru qu’il m’était arrivé un
incident technique. La cadence s’accélère. C’est mauvais signe dans l’état
actuel des choses: l’isolement.
30
Juin- Tg: 19 semaines ou 132 jours.
Quatre
mois encore à passer mais nous entamons demain le premier et le dernier sera le
mois de l’embarquement. Pourtant ces quatre mois me paraissent encore
terriblement longs, le moral n’est plus le même.
L…
est un compagnon fort agréable; il a des sautes d’humeur, des instants où il se
ferme mais il est du point de vue pensée, conversation plus agréable que E….
Deux êtres totalement différents, ayant chacun leurs qualités et par bonheur
deux êtres sociables dont la fréquentation apporte quelque chose. D… lui-même
est plus abordable, il garde une certaine façade, mais se révèle tout
doucement. J’en arrive presque à regretter le message échangé à son sujet, mais
je suis idiot, j’oublie trop facilement que j’en ai bavé et que lui n’a rien
fait pour m’aider.
Les
problèmes changent d’aspect mais restent toujours les mêmes. Après la
Nouvelle-Amsterdam c’est Kerguelen qui vient mettre la difficulté dans notre
existence: échanges de messages presque virulents puis ce soir la prise à
partie par D… (radio à Ker) de F…. Lâchement l’adjudant-chef de Ker m’offre son
amitié mais éreinte F… publiquement puisque tout le monde était rassemblé pour écouter
le Père. J’ai quand même à la faveur de cette phonie réussi à lancer un appel à
l’amitié à l’entente; entente qui n’est possible que par des contacts et tous
nos maux viennent de ce manque de contacts. L’éternelle histoire!
F…
repart en guerre. Je le comprends, il est mis en cause, il se défend et a
raison sur le principe même. J’ai tort dans un certain sens d’avoir plus ou
moins tablé sur le service radio pour faire secouer les puces à D…. On n’en
sort pas et j’en ai plein le dos car à chaque pas on rencontre la
dissimulation, chacun, comme dit Tournier joue sa petite comédie.
1er
Juillet.
Promenade
au Faux sommet, Museau de tanche, Dives et retour. J’ai vu cette fois le lac du
Museau de tanche et étant donné la quantité d’eau, le projet d’adduction est de
plus en plus du domaine de la fantaisie.
Nous
nous sommes amusés pour parvenir jusqu’au Museau de Tanche car les mousses sont
très humides et personnellement j’ai terminé à quatre pattes.
Le
vent s’est levé en début d’après-midi et sur les contreforts de la Dives nous
marchions penchés. Retour au camp d’assez bonne heure. J’en ai profité pour
laver deux pantalons treillis que j’avais mis à tremper et pour repasser un
pantalon de laine. Je suis content de ma journée.
Au
camp l’histoire F…-D… semble se tasser.
2
Juillet.
Je
n’ai pas le courage aujourd’hui d’attaquer les inventaires. Ce matin j’ai tapé
la dernière commande pour Paris, commande menuiseries et rédigé deux
télégrammes officiels. Cet après-midi je me suis, une fois de plus, occupé de
mes appareils photos et j’ai fait de la thérapeutique en commençant à revoir
totalement la question de la lèpre restée assez confuse dans mon esprit.
Ce
soir, ayant invité L… à écouter un peu de musique, nous nous sommes mis à
discuter ménages, mariages. J’ai trouvé quelqu’un qui face au problème de la
mort, de la séparation définitive réagit exactement comme moi ou d’une façon
similaire par une angoisse, par un malaise.
Et
c’est, je crois le gros problème de ma vie, le seul. Toute ma vie est basée sur
notre union. Je n’ai commencé véritablement à vivre une vie véritable que le
jour où j’ai connu ma Mie. Tous mes actes n’ont de sens que par elle, en elle,
pour elle. A travers cet état de choses que deviennent mes relations avec Dieu?
Elles sont une soumission totale, complète à l’intérieur de mon bonheur. Y
a-t-il échange, y a-t-il marchandage: “je supporte tout mais ne touche pas
ça” ? Je ne crois pas. Je crois être sincère en disant que Dieu m’a donné
la possibilité de vivre sur la terre un bonheur qu’il m’a donné, qu’en suivant
le chemin que je suis, je suis dans la voie de Seigneur. Il n’y a en moi aucun
esprit de révolte, aucun marchandage. Il y a uniquement l’affirmation d’un
bonheur divin, d’une union parfaite des deux êtres au sein de Jésus notre
sauveur. Je crois parce que je suis heureux. Je crois parce qu’il m’est permis
de voir dans ma vie le signe de l’amour infini de Dieu, la promesse d’une vie
idéale qui ne sera que la réalisation complète de notre amour, de l’amour
humain en général. Car rien n’est parfait sur terre et surtout, nous apportons
malgré nous nos bassesses humaines, nos défauts qui ne sont pas dignes
totalement du bonheur qui nous est donné. Mais nous reconnaissons nos fautes,
nous confessons nos pêchés et si nos pensées ne sont pas totalement pures, si
nous ne pouvons justement résoudre le problème de la pureté de notre foi c’est
que nous sommes de pauvres humains.
Le
problème n’est pas simple. Ainsi, ce soir, j’avais l’impression de perdre mon
temps ici, de gâcher les joies qui me sont promises près de ma femme, près de
mes enfants. Est-ce un manque de confiance en Dieu?...Non, je ne fais même pas
le rapprochement entre ce long isolement et la vie merveilleuse qui nous reste
à vivre. Pour moi l’une est la suite logique de l’autre la continuité étant
leur seul lien commun. Je fais confiance à Dieu, je crois au bonheur qu’il nous
donne et qu’il nous promet mais je sens très bien que là je ne suis pas sûr de
moi, que malgré tout, j’ai peur. Et cela me rapproche de ma petite femme chérie
qui sait si bien d’une caresse écarter cette peur, cette angoisse effroyable.
Étant petit j’avais peur de la mort, peur de la mort en elle-même, pour
moi-même comme l’anéantissement de tout. Maintenant ce n’est plus pour moi que
j’ai peur, ce n’est plus en tant que mort détruisant ma personne physique c’est
en tant que mort détruisant mon bonheur. C’est pour mes êtres chers que j’ai
peur.
Oh
Dieu apporte-moi la lumière....
Chérie,
mon amour, ma petite femme adorée, je t’aime. Je t’adresse à travers les
espaces un message d’amour infini, la promesse d’un bonheur que tu mérites,
l’affirmation d’une joie profonde qui inonde mon cœur et me fait crier: Chérie
j’ai hâte de prier avec toi persuadé que notre prière en commun aura plus de
valeur car elle sera le vivant témoignage de notre reconnaissance envers Dieu.
3
Juillet.
Je
suis assez content de ma journée quoique ayant travaillé sans trop grande
conviction. J’ai quand même vérifié et mis sur fiche l’inventaire photo et la
commande loisirs et terminé la clinique de la lèpre.
Oh ce
n’est pas une journée harassante et je reconnais que le cœur n’y est pas. Le
travail que je fais en ce moment ne m’intéresse pas du tout.
Pourtant
demain je continue en principe les inventaires en faisant avec D…l’inventaire
du magasin.
La journée
a été caractérisée par le passage d’une dépression typique. Nous sommes passés,
en l’espace de 10 minutes d’un vent violent à un vent pratiquement nul puis, à
nouveau en quelques minutes, le vent est monté à 70 nœuds.
-
Début d’incendie à la météo où M… avait essayé de rallumer le poêle après une
fuite de gas-oil. Les extincteurs sont rentrés en batterie.
- C…
révise le premier “Duvan”; la prochaine fois il lui faudra changer chemise et
piston.
À
part la relation toute crue des faits de la journée, je n’ai rien à ajouter ce
soir. Je sens, bien sûr, que ça ne tourne pas rond. Je n’ai pas encore trouvé
mon second souffle. J’avais cru au moment de la relève que je partirais ensuite
du pied gauche littéralement porté vers la fin du séjour. En fait les jours,
les semaines se traînent lamentablement. Je n’ose plus regarder le calendrier y
retrouvant sans cesse les mêmes chiffres, inexorables. Je ne comprends pas, je
suis pourtant patient, mon moral est excellent. Je n’ai, à aucun moment un
fléchissement qui puisse motiver mon état d’âme. Je crois que je suis tué en
fait par l’ennui, l’ennui d’un travail qui ne m’intéresse plus, pour lequel
j’ai perdu la foi. Je l’ai déjà écrit, j'ai lancé mon affaire, j’ai sorti
l’établissement de sa léthargie, maintenant il tourne prenant de plus en plus
un aspect organisé et nous nous heurtons au manque de moyens. Je me suis
bêtement laissé posséder et maintenant je paie car je souffre véritablement de
ces restrictions minables que je suis en train d’imposer. Je reconnais que je
ne suis pas fait pour tout prévoir et que c’est une charge terrible que d’être
responsable de la marche d’une boutique comme celle-ci sans avoir, pendant six
mois aucun recours. Grâce à Dieu, on a retrouvé 700 kgs de riz sortis de
derrière les fagots et je revis un peu mais cela me sert de leçon et je ne
diminuerai absolument pas les quantités demandées à Paris pour Octobre.
Cet
après-midi, L… ayant entamé le chemin météo, j’ai invité D… à venir faire deux
voyages de scories avec moi. Je dois dire qu’il l’a fait avec le sourire et
qu’il semble priser à sa juste valeur l’effort que fait le Génie pour la météo.
Je
pense toujours à ma Mie et à son voyage et trouve toujours le temps aussi long.
Cette semaine N°20 est terrible.
Reçu
un message d’E…. Les photos lui sont parvenus et je pense avoir des nouvelles
du médecin général Le R… bientôt.
7
Juillet.
C’est
de mémoire, une fois de plus que je mets à jour ce cahier. En effet Samedi
soir, j’ai fait de la photo et hier soir, ayant eu une otarie à dépouiller d’urgence
j’ai terminé ma journée à 10 h du soir absolument éreinté.
Pourtant,
Samedi, j’aurais voulu inscrire ici tout ce que j’ai pu penser, imaginer au
cours de ma promenade solitaire à la Recherche. La matinée de Samedi a été sans
importance. Je ne me souviens plus d’ailleurs de ce que j’ai fait exactement.
L’après-midi, profitant d’un rayon de soleil, je suis parti à la Recherche pour
faire une série de photos d’otaries. N’ayant trouvé personne pour
m’accompagner, je suis parti seul. J’ai passé plus d’une heure à photographier
les petites otaries. Puis je suis rentré avec mes deux appareils photos, mon
pied et ma petite casquette. J’étais seul et pourtant en étroite communion avec
ma petite Mie. J’ai été envahi par une joie intérieure immense et je me suis
laissé aller à parler tout haut, à chanter mon bonheur, mon amour, à appeler
l’être adoré. J’ai vécu, je crois, l’heure la plus douce de mon séjour. J’étais
cette fois seul, bien seul avec ma mie, absolument dépouillé de ce manteau
insupportable de chef d’établissement. Cette heure a enchanté ma fin de
semaine, la fin de la 19 em semaine; j’avais peur de me tromper en marquant 19.
Le
soir j’ai développé, en compagnie du Lieutenant, les films pris dans la
journée, nous avons terminé très tard.
8
Juillet.
Le
matin j’ai tiré 72 cartes postales pour faire quelques collections de timbres
que je compte offrir. L’après-midi, le temps était correct. J’ai décidé d’aller
à la Recherche récupérer une petite otarie trouvée malade la veille. Les
sapeurs prétendant en avoir trouvé une morte je les emmène avec moi. Nous
reviendrons avec la pluie portant deux otaries. La mienne pèse 20 kgs. L’otarie
morte étant assez avancée je suis dans l’obligation; pour essayer de récupérer
la peau de la dépecer le soir même. Je m’y attelle sitôt après avoir glacé mes
photos. La préparation de la peau me prendra jusqu’au soir 10 heures. J’ai un
point de côté dans le dos et j’aspire à aller me coucher. Ces diverses
activités ont eu un avantage c’est que je n’ai pas vu le temps passer.
Lundi
9 Juillet .
Journée
quelconque faite, d’un peu de bureau, d’un peu de travail manuel, de
dentisterie et de supervision: entre autres nécessités de passer un savon à un
sergent.
Je me
suis intéressé à ma petite otarie malade à qui j’ai fait de la Pénicilline hier
soir et qui dort actuellement dans ma chambre. Elle est, la pauvre,
complètement amorphe, mais goûte quand même les caresses que L… et moi ne
cessons de lui prodiguer.
Mardi
10 Juillet.
J’en
ai assez et cela doit se voir car L… m’a dit ce soir:” vous avez l’air
fatigué”.
Pour
m’achever aujourd’hui j’ai eu droit à la délégation de malgaches venus
revendiquer. Ces messieurs désirent 1 litre de vin supplémentaire. J’avais
écouté d’une oreille complaisante hier soir leurs doléances au sujet de la
viande. Les meneurs, car meneurs il y a, sont bien sûr repérés et par le
truchement du cuisinier, Samuel, que j’ai seul reçu, je leur ai fait savoir que
j’envisageais leur rapatriement au mois d’Octobre.
Ce
qui me dégoûte c’est qu’une fois de plus nous payons les petits tripotages et
passe-droits de l’administration car si Samuelson et Victor sont ici c’est
grâce à l’intervention de Mr P..... C’est même plus grave que ça on se demande
si Samuelson n’a pas barre sur quelqu'un de haut placé ce qui aurait motivé son
choix et celui de son frère. Tout ça ce n’est pas bien joli, joli mais en
attendant c’est moi qui en bave.
J’avais
eu deux mois de répit sans problème particulier avec le personnel européen ou
malgache, me voila à nouveau en plein bain et il me reste quatre mois à faire.
Oh! je n’abdique pas, mais vraiment le fardeau est lourd à porter surtout en
étant seul, en ayant pas près de moi le soir l’être cher qui me réconforte et
me redonne confiance. Chérie, ma petite femme adorée, je t’aime et tu me manques.
11
Juillet .
Dans
quatre mois exactement j’espère être sur le bateau. Demain, à 15 heures, il y
aura 8 mois que nous sommes, D…, F… et moi sur l’île. Indiscutablement je
trouve le temps long.
Aujourd’hui,
comme en général tous les Mercredis, j’ai été sur le chantier. En fait j’ai
fait le peintre ayant peint au pistolet la grande salle, futur salon-fumoir.
Cette journée de travail physique est pour moi un excellent dérivatif et comme
c’est le milieu de la semaine ou presque cela coupe admirablement la semaine en
deux.
- Les
météos en panne de récepteur R.W.
- Les
radios travaillent à l’installation de leur convertisseur.
- C…,
lui, est mis à toutes les sauces.
- Pas
de réaction du côté des malgaches.
12
Juillet.
Je
n’avais pas grand courage, ce soir, pour mettre mes journaux à jour. Le bilan
de la journée est assez pauvre; je n’ai pourtant pas souvent quitté mon bureau.
J’ai quand même mis l’inventaire du magasin sur fiches et lu une ou deux
questions de thérapeutique, même trois: rage, scarlatine et rougeole. Je ne
compte pas l’herpès, une ou deux (encore) petites bricoles à l’hôpital et trois
photos histoire de voir ce que donnent les otaries prises l’autre jour.
Un
fait est à noter, capital, j’ai été invité ce soir à prendre un pot par D… en
compagnie de D… et C…. Comme je le disais à L… ça marche vraiment bien cette
fois ci et il n’y a pas de clan.
Comme
je l’écrivais hier, pressé de le constater, nous avons passé le cap des 2/3
depuis aujourd’hui 15 heures.
13
Juillet: (mise à jour le 14 à 7 heures).
J’ai
nettoyé et astiqué mon bureau et ma chambre ce matin pour recevoir les
Malgaches convoqués à 10 heures. Je les ai faits venir individuellement, siège,
cigarette et tout en leur demandant des nouvelles de leur famille, je leur ai
expliqué mon point de vue. Je leur ai dit ouvertement que je n’aimais pas les
manifestations collectives. J’ai appris que le boy Samuelson avait perdu son
père tué lors des événements de 1947 (NDLR date de la rébellion à
Madagascar).Quand à Victor il en est à sa 5em ou 6em place. Je pense l’histoire
des Malgaches réglée. Je mettrai aujourd’hui, à l’occasion du 14 Juillet fête
malgache par excellence un point final à tout ça.
L’après-midi
j’ai mis en ordre et nettoyé le labo photo.
Hier
soir à 17 h on a monté le nouveau mât de pavillon fait par C…. Cocarde ou pas
cela nous a fait plaisir de retrouver, au milieu du camp, ce mât.
Vaine
tentative hier soir pour faire les amateurs, il ne passait strictement rien sur
la bande.
14
Juillet.
Journée
très réussie dont je suis extrêmement content et dont je remercie Dieu car elle
fera partie des journées marquantes. Le résultat est que ce soir je suis
littéralement claqué.
Ce
matin à 7 h : amateurs. Nous avons réussi à contacter quelques O.M de
Madagascar et la Réunion et avons appris ainsi que nous rentrerions, sous peu,
en liaison avec les premiers éléments de l’année de géophysique.
À 9 h
: couleurs. Étaient présents: les sapeurs, quatre sous-officiers et le marin.
Cérémonie très réussie... Petit jus aux sapeurs.
J’ai
préparé, ensuite, les lots avec U…. Je porte la petite otarie au bord de l’eau.
Midi, pardon 11 h jus aux Malgaches à qui je rappelle certaines vérités, mais
que j’invite à fêter avec nous le 14 Juillet. J’évoque pour eux la fête de la
famille malgache.
Repas
pantagruélique (D… estime que ce devrait être toujours comme ça): radis beurre,
jambon, oeufs mimosa, champignons, poulet, petit-pois, salade, fromages
assortis, gâteau, champagne, vins fins, chants divers. L… raconte une histoire
excellente, l’histoire du Bon Dieu qui écarte un nuage et regarde ce qui se
passe à la Nouvelle-Amsterdam.
À 14
h, course au trésor: Nous lançons une fusée dans la nature, il fallait la
ramener. C’est un Malgache, le mécanicien, qui la retrouve et gagne ainsi le
prix fort copieux. Je suis d’ailleurs fort content de cette coïncidence car il
fallait absolument que les Malgaches se sentent associés à nos jeux.
À 15
h: concours de tir sur bouteille et sur ballon.
Le
soir: lampions, fusées et lancer de ballon pilots.
15
Juillet.
J’écris
sur mon lit où j’ai passé les trois quarts de ma journée. Le matin, levé à 6 h
1/2, j’ai été voir le chef avec le chef radio si nous pouvions contacter
quelques amateurs. Nous n’avons rien fait à part Vic à 8 h 1/4. Après ça j’ai
été faire le radio-sondage avec P… au R.W puis, vers 10 h après m’être rasé, je
me suis installé avec quelques bouquins sur mon lit et je n’en ai pas bougé de
la journée si ce n’est pour aller à table. Ce soir je suis un peu groggy
d’avoir tant lu, mais la journée a été dure pour moi. Le fait de voir arriver
12 Télav à midi et de ne pas en avoir pour moi a également contribué à faire de
cette journée une journée pénible. L’inaction est, dans la solitude, la pire
des choses car elle vous laisse le temps de penser, de sentir que l’on est seul
et que l’on a mal. L’homme n’est pas fait pour vivre seul et l’’on-dit’ qui
veut que l’homme marié perd 5 % de sa valeur est à mon avis faux. L’homme pour
faire son travail consciencieusement, avec, amour a besoin d’une vie stable, il
a besoin d’un réconfort moral dans les coups durs qui ne peut lui être apporté
que dans le mariage.
Je
suis éprouvé ce soir, nettement éprouvé et le fait de ne pas avoir de message
n’est pas le facteur dominant. Le fait dominant c’est que, loin de ma Mie, les
heures sont désespérément longues. C’est une sensation profonde contre laquelle
on ne peut strictement rien. Pourquoi les heures, les jours de bonheur
s’écoulent avec une facilité, une rapidité à peine contrôlable. Pourquoi les
heures difficiles, les minutes d’angoisse ont elles une durée qui nous semble
plus importante. L’intensité des sensations a peut-être la même valeur, seule
la nature change et ce changement de nature suffit à modifier totalement notre
rythme de vie.
La
solitude me pèse et me laisse totalement désarmé. C’est un mal contre lequel
j’ai lutté pendant six mois en vivant sur l’enthousiasme de début, sur
l’étendue du travail à accomplir. Je n’ai, maintenant plus rien à offrir à mon
besoin d’activité ou bien il faudrait que je me déguise chaque jour en maçon ou
en manœuvre. Or je me rends compte que ce manque d’activité me tue, je me sens
absolument sans réaction. Je ne suis pas fait pour vivre loin de ma femme et de
mes enfants et je me demande quelle aurait été ma réaction si ce long isolement
m’avait été imposé. Je remercie Dieu de m’avoir évité une pareille épreuve.
16
Juillet.
Trente
deux ans. J’arrive à peine à me souvenir de mon âge et je suis obligé de
calculer. Cela me paraît extraordinaire car 32 ans c’est l’âge qu’avaient nos
parents ou presque à l’éveil de notre personnalité et nous avons pris
conscience de la vie et du monde en regardant vivre des gens de 32 ans. Cela ne
paraît que plus curieux car nous voila de l’autre coté de la barrière jouant à
notre tour les adultes ayant pignon sur rue.
Journée
médicale: Un consultant ce matin que j’ai hospitalisé pour pneumopathie, le Lt
L… à qui j’ai soigné trois dents. Tout cela m’a donné pas mal de travail. Avec
trois messages officiels, la journée a passé relativement vite.
J’ai
quand même eu un coup de noir ce soir à 16 h 30 mais cela est passé et
maintenant ça va. Je pense à ma Mie et je suis sûr qu’elle serait terriblement
malheureuse si elle savait que j’attends un message qui n’a pas voulu arriver
pour mon anniversaire.
Au
point de vue établissement, le mât Mors de 18 mètres est en place, prêt à être
gonflé. La baraque Fillod est totalement peinte extérieurement. La première
liaison officielle a été réalisée avec la Terre Adélie à qui j’ai passé un
message de sympathie.
17
Juillet.
Hier
soir à 19 h j’ai reçu les chefs de service à qui j’ai payé un pot. Réunion très
amicale qui manquait au semestre précédent.
À 19
h 35 en me mettant à table, j’ai reçu un message de ma Mie arrivé, je ne sais
pas comment, ni à quelle heure ni par quel avion. C’est comme si ma résignation
ou plutôt le fait que je sorte de l’attente idiote avait fait arriver le
message. Message plein d’amour et de tendresse. Je suis persuadé que c’est lui
qui est responsable d’un certain débordement nocturne qui m’a fort désagréablement
surpris. Cela devient trop fréquent.
J’ai
passé la journée à soigner mon hospitalisé, à faire de la comptabilité-matière
et à bûcher un peu de thérapeutique. Mais l’après-midi a été tellement chaude
dans ma chambre que je m’endormais sur mes bouquins.
À 5 h
1/2, ce soir, L… est venu m’offrir un jus de fruits. Hier soir il est resté
jusqu’à 10 h 1/4. En fait de gars peu sociable, il l’est beaucoup plus que
n’importe qui. Hier soir il m’a parlé de son fils qui demeurait insupportable.
Et ce
soir j’ai été gâté, un message de Vonette pour mon anniversaire, message plein
d’amour et un message de mes parents. Je sens que ma petite Mie a de la peine à
se contenir. Elle déborde d’amour inexprimé dans ces messages ouverts et trop
courts. Pauvre petite caille le temps doit lui sembler long à elle aussi.
18
Juillet.
J’ai
travaillé aujourd’hui à la mare aux éléphants de mer. Avec les soins à mon
malade, une visite au cratère aux arbres et une stérilisation, cela fait une
journée bien remplie. C’est une journée qui est passée relativement vite.
Un
message officiel du Haussaire (NDLR: Haut Commissaire à Madagascar, équivalent
de Gouverneur) au sujet de la relève malgache contribue également à donner
l’impression que le grand jour approche.
Mie
chérie, ma petite femme, je pense à toi, le soir surtout. J’essaie d’imaginer
ce que sera le jour où nous nous retrouverons. Je n’ai pas de nouvelles d’E….
J’ignore s’il a vu le Médecin Général ou s’il a des nouvelles de mon
affectation. On est quand même
isolé dans ce pays et l’on a plus d’une fois l’occasion de le constater. Il y a
une foule de choses que l’on voudrait savoir mais comment? Je voudrais pouvoir
suivre au jour le jour ma demande de prolongation puis la demande de concession
de passage, savoir déjà que ma Mie viendra, qu’elle arrivera presque en même
temps que moi. Oh je voudrais en savoir des choses car au fond nous ne sommes
plus qu’à quatre mois, en gros, de cet événement si important pour nous deux.
19
Juillet.
Ce
matin j’ai fait de la thérapeutique après une nuit pas très reposante. J’ai
essayé le BrK, j’ai failli m’en repentir car 1/4 h après la prise, j’avais un
point douloureux épigastrique inquiétant, douleur diffuse que je déteste. Je ne
saurais dire si l’effet recherché à été atteint.
Cet
après-midi j’ai fait quatre voyages avec Jeep et remorque à la mare aux
éléphants pour ramener de la terre. Nous avons, avec L…, aménagé deux
plate-bandes à l’entrée de la nouvelle baraque Fillod.
J’ai
gueulé, gentiment mais fermement auprès des radios et de F… en particulier car
je trouve que son chantier est un véritable ‘bordel’. Il a entrepris trente-six
travaux et rien ne semble approcher de la fin. On totalise déjà un nombre
impressionnant d'heures de travail sur ces installations radio : sapeurs,
mécanicien, menuisier etc. cela commence à me fatiguer.
Au
point de vue moral ça va; j’ai l’impression, maintenant, qu’on a enfin amorcé
la pente descendante. Juillet est bien malade, le troisième trimestre aussi et
on approche du père Cent. Une seule chose me dégoûte, c’est le mutisme de
Paris.
20
Juillet.
Aujourd’hui
j’ai surtout fait le dentiste, une séance ce matin, une séance comptant pour
deux cet après-midi. Plus les soins au malade et deux consultations.
- Les
radios auxquels j’ai secoué les puces hier ont fait un travail considérable,
haubans, anneaux d’amarrage, mise en place du convertisseur...
- C…
a jumelé les deux réservoirs d’eau des Duvant.
- Le
menuisier et un sapeur font les huisseries du bloc sanitaire.
-
Deux sapeurs sont au ferraillage;
- Le
jardinier agrandit le jardin météo.
En
résumé la boutique tourne vraiment rond.
Un
message de la Terre Adélie répondant à mon message de la première liaison m’a
fait un plaisir immense. Je le reproduis ici:
“Docteur
Deramond chef établissement Nouvelle Amsterdam- Merci pour vos vœux stop sommes
heureux avoir une liaison avec vous stop tous les membres de l’expédition
souhaitent à vous-mêmes et à votre équipe une bonne fin de séjour à Amsterdam
et la meilleure réussite dans votre travail stop bien amicalement stop R G…”
Cela
nous change de l’esprit de Kerguelen. On sent immédiatement la classe des types
qui se trouvent là-bas. Ils auraient pu, pourtant, nous traiter en parents
pauvres.
Sur
le plan personnel, je suis impatient. Je pense à ma Mie plus que jamais et je
dois reconnaître qu’il s’y mêle un certain désir physique que je n’arrive pas à
étouffer complètement. Hier soir ça allait bien, le bromure avait fait son
effet. Ce soir ce n’est pas pareil.
J’ai
de la peine à dire ce que je ressens mais tout mon être est tendu vers ce jour,
celui où nous nous retrouverons. Je voudrais pouvoir hâter les choses,
bousculer les événements, mais tout s’écoule inexorablement et j’ai
l’impression d’être étranger au temps qui passe.
Le
manque de courrier joue d’ailleurs dans le même sens car pendant ces six mois
que l’on ne peut rattacher à aucun événement cher, on vit en étranger à sa
famille et au fond c’est un trou dans sa propre vie. Pour moi, loin de ma
femme, loin de mes enfants il n’y a pas de vie telle que je la conçois. Il manque
ce que j’appellerais l’esprit. La vie matérielle se poursuit, on travaille, on
mange, on dort, on écrit même et on pense, mais il n’y a pas cette communion
des êtres qui éclaire chaque événement d’un jour divin.
Il
manque à la Nouvelle-Amsterdam l’amour, l’amour que Dieu met dans chaque chose
pour la rendre plus proche de lui. L’amour c’est le message de Terre Adélie,
c’est le message hebdomadaire, mais de la part des TAAF il n’y a aucun signe
d’amour et c’est pour ça que l’on se détache des TAAF, de la Nouvelle-Amsterdam
et que nous devenons des étrangers.
Dans
la vie quotidienne, près de ma Mie il y a notre amour qui donne à tous les
actes de notre vie un intérêt passionnant. Oh! combien je dois à Dieu de
m’avoir permis de vivre une vie si pleine de joies profondes, d’intérêt et de
bonheur.
22
Juillet.
Hier
soir, captivé par mon métier de cordonnier, je n’ai pas mis à jour mon journal.
Samedi
matin, nous attendions un anticyclone, c’est une dépression que nous avons
ramassée. Aussi c’est sous la pluie que les sapeurs coulent les semelles des
cloisons du bloc sanitaire, font l’approvisionnement en sable, préparent le
ferraillage.
- C…
jumelle ses deux réservoirs Duvant.
- Je
fais du nettoyage avec un sapeur. Avant le nettoyage, j’avais fait une
demi-heure d’amateur contactant les stations de Tananarive, Tamatave, Ruan de
Nova, La Réunion.
Dès
deux heures, je me suis attelé à mes mocassins que j’ai totalement refaits
terminant l’un hier au soir et l’autre à midi ce matin. J’étais très content de
pouvoir rechausser ces chaussures très pratiques.
Après-midi
passée en nettoyage. J’ai lavé un pantalon de laine puis lessivé ma chambre et
je l’ai en partie encaustiquée. Piqûres intradermiques à M et il est 18 h 15.
La journée est terminée. Nous attaquons la dernière semaine de Juillet, la 16
em avant la fin. Il y a neuf mois nous quittions la France
Cet
après-midi nous avons écouté Mirny la station Russe de l’Antarctique diffusant
de la musique à l’intention de Kerguelen.
23
Juillet.
Après
avoir presque perdu ma matinée, j’ai donné un coup de main à C… qui travaille
aujourd’hui à l’hôpital et ma journée a été bien remplie.
Le
temps est toujours très mauvais, les sapeurs ont abandonné la maçonnerie pour
préparer l’aire d’abattage derrière la cuisine. Voilà un coin qui va bientôt
être définitivement transformé.
Les
radios ne pouvant, à cause du vent, travailler aux mâts d’antenne ont installé
le tableau de commande de la commutatrice.
Les
météos ont réussi un magnifique lancer ce matin. Ce soir on a assisté a un magnifique
retour offensif des météos qui ont parlé des inscriptions laissées par les
sapeurs dans le ciment, du sujet devenu classique de l’hydrogène etc. J’ai
marqué le coup en lançant: « Je crois que la soirée est aux
revendications ». J’ai l’impression qu’il va falloir revenir un peu en
arrière, nous avons trop tendu la main.
-
Message de ma petite Mie plein d’amour mais trahissant une certaine lassitude.
Elle en a assez d’être seule et je la comprends car moi aussi j’en ai plein le
dos.
24
Juillet.
Il me
serait impossible de dire quels sont les éléments de certitude mais une fois de
plus je sens que la bataille des météos est perdue. Il est difficile d’être à
la fois juge et partie et de dire l’échec vient de ceci ou de cela. Je pensais,
honnêtement que la relève changerait tout. En fait au bout de deux mois, on se
retrouve avec les mêmes éléments, M…valant D…, P…. un peu mieux que G… et C…
ayant avantageusement remplacé G….
À
l’origine je ne pensais pas que tout fût perdu mais peu à peu l’esprit météo a
repris nettement le dessus et nous nous retrouvons maintenant devant des gens
qui pensent: « nous les météos nous sommes les chefs, l’établissement
n’existe que par notre seule présence, tout le personnel de l’établissement est
à notre botte ».
Est-ce
une manifestation obligatoire inhérente à la fonction ou est-ce qu’une méchante
petite brebis galeuse susurre les bonnes paroles et a réussi au bout de deux
mois à persuader ses collègues? La
dernière fois, on avait incriminé les sapeurs en disant que c’est eux qui
avaient creusé le fossé. Cette fois est-ce encore les sapeurs qui auront tort?
En
tout cas les météos ont, depuis le débarquement réalisé deux prouesses :
la première est de se désintéresser totalement du débarquement ce qui avait
valu, d’ailleurs une sortie à l’adresse de C…. La seconde c’est de regarder
faire, les mains dans les poches, le chemin de l’observateur. En fait d’équipe,
je crois que l’on fait mieux.
Ce
qui me tue dans l’histoire c’est que je suis la tête de Turc. Je suis n’est-ce
pas le représentant des Terres Australes... Je paie cher ce privilège qui ne
rapporte strictement rien.
À mon
avis la coexistence des militaires et de météos est strictement impossible et
l’établissement ira cahin-caha tant que l’uniformité de recrutement ne sera pas
faite.
- Les
sapeurs mettent à profit un rayon de soleil pour faire 226 parpaings dans la
matinée. L’après-midi ils ont attaqué le mur du bloc sanitaire.
-
Remis à D… les fiches nécessaires à la prise d’inventaire sur fiche.
- La
bétonnière est en panne.
- Les
météos sèchent sur leur carte.
25
Juillet.
J’ai
travaillé sur le chantier comme tous les Mercredis. Ce matin je suis descendu
deux fois au sable tout seul avec le 4X4 et la remorque de GMC. Je m’en suis
très bien tiré, mais j’en ai bavé.
Cet
après-midi j’ai fait de la pierre avec L…. J’ai terminé ma journée complètement
lessivé.
- Les
sapeurs continuent à monter les murs.
- C…
dépanne la bétonnière.
-
Reçu message de Paris ainsi conçu: « Vous signale que plans installations
portuaires annoncés ne sont pas parvenus. ADSUPTAAF ». La rédaction de ce
message me dégoûte; j’ai répondu par le message suivant: « Plan projet
mare aux éléphants de mer tenus vraisemblablement à votre disposition par
commandement du Génie à Tananarive stop Reconnaissant me faire savoir si
totalité monographie comprenant texte et photos, plan du camp, sont en votre
possession ».
-
Tana PTT est d’accord pour rendre officielle l’émission Synops.
26
Juillet.
J’ai
passé ma journée dans le ‘chiffre’ ayant reçu un chiffré ce matin me réclamant
les notes de D…, G… et G….
Je
suis las ce soir, J’ai pourtant bon moral et je vois arriver avec joie la fin
du mois de Juillet...
Août
devrait être le mois marquant; le mois des décisions, nomination de mon
remplaçant, ma désignation pour Madagascar. Je garde l’espoir de voir passer
les mois qui viennent plus rapidement.
Je me
fais quelques soucis actuellement au sujet de la concession de passage, des
vaccinations, de la voiture etc. C’est quand même pénible d’être sans courrier.
L… s’en passe très bien, c’est, je crois, un ‘pur esprit’ que les questions
d’organisation intérieure intéressent fort peu.
-
Activité du camp absolument identique à celle d’hier. U… a été marquer la fin
de la piste d’accès au cratère aux arbres.
-
Télégraphié aujourd’hui à P…, compte rendu des émissions synops, phonie avec E…
demandée.
27
Juillet.
J’espérais,
mais je ne pensais pas que cela viendrait si vite. J’ai reçu par la voie du
Géniesuper Tananarive, commandant d’armes N.A : Avis de la D.M n°
38389(TC) PO2 du 13/07/56 m’autorisant à poursuivre mon séjour à
Madagascar. C’est fou le poids que cela m’enlève. Je remercie Dieu, au combien,
car pour moi c’est vraiment une chose sur laquelle je comptais beaucoup, mais
qui tombe néanmoins du Ciel avec beaucoup d’à propos.
Immédiatement
j’ai bâti une foule de projets. J’ai pris une option sur l’avenir. J’ai peiné
ce soir à exprimer par écrit ma joie, mon désir de vivre ce jour où je
retrouverai ma Mie. Le voilà qui prend tournure maintenant, ce qui n’était
qu’un vague désir devient presque une réalité tangible. Le petit Nourson
attendant sa Mie à la descente d’avion. Mon dieu, mon Dieu merci, je suis
heureux, je suis comblé par la vie que tu me donnes de vivre Seigneur.
Mie,
mon amour, ma chérie, dans quelques jours tu recevras mon message et comme moi
je suis sûr que cette DM apportera un grand espoir. Les choses vont se
précipiter pour toi. La demande de concession lancée, c’est l’affaire de 15
jours, tu auras dans l’ordre les vaccinations, les emplettes puis les caisses à
préparer et enfin le déménagement. Il ne te restera plus qu’à attendre l’avion.
Je ne sais pas comment tu organiseras ton programme: Août vaccinations
complètes, Septembre caisses et expédition début Octobre. C’est maintenant que
les messages vont être encore plus insuffisants.
Autre
nouvelle le Galliéni ne quittera Tamatave que le 30 Octobre 10 jours en retard
sur l’horaire. Peu importe le rendez-vous est fixé entre le 25 Novembre et le 5
Décembre, j’espère y arriver le premier.
28
Juillet.
Ma
journée a été bien remplie: lavage, corvée de waters, piqûres de TABDT. Aussi
la journée est passée relativement vite, mais je me retrouve ce soir avec un
grand vide autour de moi. Ma mie me manque terriblement et en dépit des
activités multiples je ne retrouve plus l’aplomb du milieu de séjour. Je passe
par des alternatives brutales, de véritables douches écossaises. Tantôt j’ai
l’impression que le séjour touche à sa fin d’autres fois, je trouve le temps
terriblement long. Les histoires, les petites histoires d’un poste d’une
vingtaine d’hommes finissent par être insupportables car chacun met à jour
l’être humain dans toute son horreur et l’on finit par être dégoûté. À midi,
accrochage C… U…. On pourrait croire à une incompatibilité de caractère mais
pas du tout. .U… a gardé son amitié au prédécesseur, F…, avec qui, moyennant
quelques litres de vin, il avait des boîtes de langoustes soudées et en
attaquant C… il espère défendre F.. où en quelque sorte lui rester fidèle.
C’est lamentable. Les Malgaches sont toujours peu sûrs. Je serais obligé d’en
virer un. J’en ai véritablement assez.
29
Juillet.
J’ai
très mal dormi et je me suis réveillé très tôt. Je me suis levé à 6 h 1/2, j’ai
allumé la chaudière et mis en route le feu sous la machine à laver. J’ai eu de
grosses difficultés à faire bouillir mon linge et bien qu’ayant commencé très
tôt je n’ai pas pu finir ma lessive avant 10 h. Pendant ce temps, L… préparait
les sacs de ravitaillement et à 10 h 30 L…, P… et moi partions pour Good-Year.
Nous avons fait une excellente promenade, avons poussé jusqu’au Cap de
l’attente. J’ai été surpris de trouver une quantité d’otaries à terre dont
quelques beaux mâles. Nous avons également trouvé deux avortons d’otaries
manifestement malades.
Retour
le soir sans encombre, nous avons réussi à ramener chacun un beau morceau de
bois d’épave. Je suis quand même arrivé au camp très fatigué et j’ai mis
presque une bonne heure avant de m’en remettre; fort heureusement une bonne
douche est venue me donner un peu de courage pour soigner mes malades.
Après
le repas du soir, j’ai glacé des photos. Je possède maintenant une collection
de cartes postales complète. L… a passé près d’une heure, hier soir, à écouter
les messages adressés par la Russie à Mirny. Les femmes, les enfants venaient
au micro dire leur message.
30
Juillet.
Le
mois de juillet s’étire en longueur et ne veut pas mourir. Ce matin je n’étais
pas en forme et j’ai tourné toute la matinée comme un chien malade... La seule
chose que j’ai réussie à faire est le séchage de ma lessive.
Cet après-midi
je me suis un peu ressaisi et j’ai commencé mon rapport d’activité ayant
préparé le plan, j’ai pondu les prémices. Je pense passer sur ce travail une
bonne partie du mois d’Août réservant au mois de Septembre tout le rayon des
inventaires de passation de service. En principe je ne devrais pas être
bousculé, mais les desseins de Paris sont impénétrables et sans doute les
derniers mois apporteront plus de travail que je ne pense.
- Les
sapeurs ont repris leur travail au bloc hygiène d’une part, à l’aire d’abattage
de l’autre. L’état sanitaire du détachement est moyen, deux vaccinés samedi, un
malade alité, un fiévreux.
- Les
météos s’agitent (enfin). M… a fait le ménage de la station, ce n’était pas un
luxe et D… et D… font du grand nettoyage à l’abri Plantier et à l’abri de
lancement.
- Des
difficultés avec la levure pour faire le pain.
31
Juillet.
J’ai
reclassé toute une série de papiers et j’ai essayé de remettre en route la
radiographie. Deuxième tentative qui se solde une fois de plus par un échec.
- C…
a démonté un Duvant et va le passer à l’huile détergente.
- Les
sapeurs continuent le bloc hygiène qui monte assez vite. Il est vrai que ce
sont toujours les finitions qui demandent du temps.
Très
mauvaise phonie avec Tana ce matin ce qui fait que je n’ai pas pu demander les
renseignements dont j’avais besoin pour la 403.
1er
Août: trois messages de la FOM aujourd’hui. Chacun m’a inspiré des commentaires
divers.
1-
« Création frais régime de représentation ne peut être envisagée avant
l’installation coopérative locale permettant achat qui les justifierait. »
Deux choses, on offre et on ne tient pas car c’est R… lui-même qui m’en avait
parlé. Deuxièmement création d’une coopérative locale, les successeurs n’ont
pas fini de rigoler.
2-
Pour amortir sans doute le message précédent voici le second au sujet des
émissions synops: « Initiative excellente stop transmettez
félicitations. »
3- Le
troisième message en dit long sur les économies de bouts de chandelles des
Terres Australes, il demande le bilan de soude et de ferrosilicium à ce jour.
Ils sont tombés sur la tête, on ne les a pas mangés.
Fort
heureusement L… est venu discuter comme souvent le soir après cinq heures et
aux quelques considérations sur le bordel de TAAF ont suivi des considérations
sur le mariage et notre fonction sociale qui m’ont permis d’affirmer quelques
idées que j’ai eu plaisir à exposer. Entre autres sur la théologie du mariage
et sur la véritable raison d’être qui est” Amour” dans tous les domaines. L…
disait ; “art et amour...” je ne me souviens plus et j’ai répondu pour moi
l’amour tout court et dans tous les domaines. De là nous sommes partis sur la
médecine et sur nos métiers respectifs et j’ai sorti cette boutade qui nous a
beaucoup amusé car L… prétendait que la société l’empêchait d’être amour, j’ai
répondu: « j’ai choisi un rang social, une place dans la société qui me
permet de pratiquer mon sport favori en toute quiétude ». En fait j’ai
ajouté que la médecine est un des rares métiers où l’on puisse trouver aisément
le contact humain permettant d’apporter dans son travail même l’amour du
prochain.
- Les
sapeurs ont fait 250 parpaings et mis en place le ferraillage de fenêtres.
- Le
Duvant ouest révisé, il ne tient toujours pas la charge.
-
Papiers et dentisterie tel est le bilan de ma journée.
2
Août.
L’évènement
marquant de la journée est l’accrochage sérieux avec D… secondé moralement par
D…. C’était inévitable. J’ai longtemps cru, quelle naïveté je ne guérirai
jamais, que cela allait marcher avec les météos et que nous en resterions, tout
au moins, à nos positions réciproques sans critique et sans accrochage. Nous
avons même avec L… tendu sérieusement la perche en faisant le chemin de
l’observateur.
J’ai
partagé bien des nouvelles avec D…, mais le mur qui nous sépare ne peut
absolument pas disparaître. Nous ne parlons pas le même langage. D’un côté il y
a ceux qui, faisant fi des difficultés, des déceptions, continuent à faire leur
travail avec foi. De l’autre il y a ceux qui considèrerons toujours qu’ils en
font trop. Nous ne comprendrons jamais cet esprit de revendication perpétuel
des civils de l’établissement. Tant que la manne céleste s’abat sur eux, ils
trouvent ça normal. Le jour où, par leur faute bien souvent, elle tarit ils
gueulent mais comme le chacal; ils le font sans gloire, en se préservant des
coups. Pas un seul ne prendra d’initiative. Ils e... le monde par satisfaction
personnelle mais pas pour en sortir quelque chose.
3
Août.
Hier
après-midi, après l’accrochage météo, j’ai été me promener au cratère des
arbres. Cela m’a fait beaucoup de bien. Je me suis amusé avec la chienne qui
m’avait suivi et j’ai oublié un instant que j’étais chef d’établissement.
Les
arbres poussent bien et cette fois le cycle est bon, Ils commencent à
bourgeonner, c’est le printemps austral.
Aujourd’hui,
j’ai fait du papier, messages, comptes rendus, etc. En fin de soirée, j’ai
renouvelé l’opération ‘Rat’ au virus de l’I.P.
Le
compte rendu adressé à Paris est, ce mois-ci, particulièrement soigné.
Les
météos sont revenus à de meilleurs sentiments ou plutôt il faut distinguer
trois groupes: les nouveaux arrivés n’ont pas pris parti et je les ai retrouvés
ce matin, comme toujours, très ouverts. D…, lui, comme toujours après les coups
durs, se met en frais. D… reste nettement sur ses positions et confirme son
attitude de ‘salopard ‘; c’est le seul, maintenant à avoir hérité à 100%
du ‘bon passé’.
Enfin
ça va mieux et je prie pour que les jours passent me rapprochant de ma Mie. On
s’efforce, dans cette solitude, à ne pas penser aux joies familiales, le cœur
comme anesthésié par une indifférence obligatoire. Nous ne pourrions pas vivre
si nous nous laissions aller à réaliser la vanité de notre vie loin de l’être
aimé. Vanité, tristesse car cette vie n’a pas de sens ou ce qu’elle peut avoir
comme signification reste rattaché à ce que nous avons laissé.
4
Août.
Je
n’ai pas chômé ce matin et je me suis payé une bonne séance de dentiste.
L’après-midi,
détente promenade à la mare aux éléphants de mer. L… et moi on s’est amusé presque
une heure avec un éléphant de mer. C’est la première fois que j’en trouve un
suffisamment sociable pour que l’on puisse danser sur son dos.
Le
soir, bavardage assez tardif avec le Lieutenant.
5
Août.
Levé
tard, 7 h 20, une bonne douche, un excellent petit-déjeuner, 1/4 d’heure
d’amateurs, la liaison habituelle avec FB8BC de Tananarive, couleurs à 8 h,
tout seul. J’ai ensuite repassé trois chemises de laine et rangé une douzaine
de paires de chaussettes.
À 10
h promenade à Ribault, j’y ai trouvé le premier manchot, les deux sacs de
ciment du Bougainville, vu également les traces anciennes d’une chèvre qui
venait s’abriter là, donc pas mal de constatations intéressantes. Le Lieutenant
pris de flemmatite n’a pas voulu m’accompagner.
Bon
repas ce midi, j’ai repris du poids, 80 kgs tout habillé. J’ai invité les
disponibles à m’accompagner cet après-midi, tout le monde s’est dégonflé, quand
au lieutenant c’est la deuxième fois qu’il me fait faux-bond, je tacherai de
lui valoir ça un jour pour.
Je
suis donc parti seul vers Good Year pour retrouver les moutons. J’avais pris
mes précautions, la chienne, un Colt (NDLR risque toujours possible d’être
chargé par un taureau). J’ai été d’autre part extrêmement prudent. Non
seulement j’ai trouvé les moutons, mais j’ai pu pousser dans de très bonnes
conditions jusqu’au pied du Fernand. Retour à la nuit tombante très content de
ma promenade qui m’a permis de faire passer le Dimanche un peu plus vite.
6
Août.
Hier
soir je n’arrivais pas à m’endormir. J’ai probablement fourni un trop gros
effort dans l’après-midi. Et pourtant j’éprouve le besoin de me dépenser
physiquement. Aujourd’hui, j’ai pris la direction du chantier et toute la
journée j’ai travaillé manuellement en terminant par la mise en savon de deux
treillis.
Ce
soir je suis fatigué, rompu, mes mains tremblent. Je ne trouve pas dans le
travail le doux repos dont j’aurais tellement besoin.
- Ce
matin on a coulé la dalle du couloir.
- Les
piliers Sud ont été décoffrés, les linteaux sont magnifiques, un pilier est moins
beau.
-
Mise en place des scories pour le chemin d’accès à l’aire d’abattage.
- On
a monté le mât pneumatique de 18 mètres. Cela change totalement le paysage.
- Le
soir, sur les instances du Lieutenant L..: ‘Le grand inquisiteur’ passage
des frères Karamazof de Dostoïewsky. Je demanderai au
Lieutenant pourquoi il m’a donné ça à lire car cela me permettra de situer le
Lieutenant. J’ai déjà une idée précise de sa personne, mais si le passage qu’il
m’a donné à lire représente quelque chose pour lui c’est la fin de tout. C’est
un tissu de négations sur les problèmes essentiels de la foi. Je ne suis qu’un
pâle croyant venu très tard à la religion et n’ayant que fort peu de
connaissances mais les idées exposées dans ces quelques pages me font bondir
par la grossièreté de leurs erreurs. Un moment j’ai cru que je trouverais au
moins la contrepartie mais rien. La réplique donnée par Aliocha à Yvan est
d’une telle turpitude que l’on reste confondu. Une chose est à retenir, c’est
que ce passage est une sorte d”apologie du communisme; ceci joint à
l’admiration sans bornes du Lieutenant pour le peuple russe me laisse
franchement rêveur.
7
Août.
Hier
soir pour clôturer la journée j’ai reçu un chiffré de 400 groupes. J’ai
travaillé là-dessus jusqu’à 1 h 1/2 du matin. J’ai repris ce travail fastidieux
à 8 h ce matin et n’ai terminé la mise au propre qu’à 15 h.
Il a
fait un temps de cochon toute la journée et à l’heure où j’écris, 19 h, il
pleut averse mais cela ne dure que quelques secondes, de véritables ondées.
Reçu
un message de ma petite Mie hier soir. Il est plein de lassitude, elle n’avait
pas encore reçu le message de mon affectation à Madagascar. J’espère que cela
lui redonnera un peu de courage. Pauvre petite femme chérie, si elle savait
combien, moi aussi, je suis désemparé. Depuis une semaine environ je suis en
baisse de moral très nette, le bateau retardé de 10 jours cela m’a touché plus
que je n’aurais cru. Je ne suis vraiment pas fait pour vivre seul. Je renonce à
vivre comme une brute non pensante oubliant son bonheur sur terre pour se
plonger dans quelques activités bassement terre-à-terre.
8
Août.
Hier
soir je me suis levé pour aller chercher L… pour écouter ‘il signor Bruschini’
et le ‘Danube bleu’. Le premier morceau m’a fait penser très fort à ma Mie.
Aujourd’hui
j’ai travaillé derrière les cuisines à assainir le coin. J’ai décidé de
travailler au moins une quinzaine de jours manuellement car je commençais à
tourner sérieusement en rond.
Les
murs du bloc hygiène sont montés; les maçons vont donc attendre, maintenant que
le coffrage soit terminé pour couler la dalle. Début Septembre le gros oeuvre
sera terminé et on attaquera les finitions. Je pense que fin Septembre le bloc
sera totalement terminé, il nous restera un mois pour faire la route de la
cale.
Deux
sapeurs, disponibles, ont attaqué le poulailler. Cela me fait vraiment plaisir
car ce coin demeurait l’opprobre du camp. On peut faire quelque chose de très
joli.
9
Août.
J’ai
terminé d’empierrer l’énorme trou qu’il y avait derrière la cuisine. J’y ai
passé la journée, mais comme il faisait beau temps cela m’a fait le plus grand
bien.
Le
portique a été mis en place sur l’aire d’abattage. L’ensemble donne une
impression d’ordre et de propreté. Il ne reste plus qu’à dresser les boys pour
que le coin reste propre.
Le
travail au poulailler a avancé à pas de géant. Le travail accompli et
considérable. Déjà, là aussi on retrouve ordre et propreté.
Les
radios ont monté le mât Casanova. Chez eux aussi le travail progresse. Seules
les météos réussissent à échapper à la contagion.
C….
fait l’adduction d’eau.
10
Août.
La
journée a été marquée par deux choses: primo les malaises de L… qui l’ont
obligé à s’allonger deux fois au cours de la journée. J’avoue ne pas comprendre
de quoi il s’agit.
La
seconde chose est la phonie avec E… qui m’a appris deux nouvelles: la première
est que les météos avaient présenté une pétition par l’intermédiaire de leur
syndicat concernant les conditions qu’on leur faisait à la Nouvelle-Amsterdam.
La seconde est que le gars R… n’est pas du tout de taille à me soutenir; il
faut donc que je m’attende à un sérieux coup de bâton. J’ai pris aujourd’hui
les devants en envoyant, sous couvert du Haut Commissaire un confidentiel
chiffré au Médecin Général: « Honneur vous demander de bien vouloir
transmettre sous pli confidentiel à la Direction Générale du service de Santé
le message suivant: citation: Honneur vous rendre compte qu’il serait largement
souhaitable que successeur, s’il doit assumer responsabilité de chef
d’établissement soit muni par Monsieur l’Administrateur des TAAF d’instructions
écrites, signées concernant notamment- marche de l’établissement, conduite à
tenir vis-à-vis du personnel civil, programme de travaux et moyens mis à sa
disposition- débarquement du matériel à Kerguelen et Nouvelle Amsterdam-
Sécurité du personnel- recours en cas de nécessité absolue. En l’absence
instructions écrites risque voir politique générale désavouée et toutes les
responsabilités supportées par le service de Santé. Médecin capitaine
Deramond. » Fin de citation.
Malgré
ce message, quoiqu’il me reste une chance de m’en tirer avec les honneurs de la
guerre, je suis las, fatigué par ces éternelles histoires. Kaédi avec G…,
Vernon avec le Lieutenant H…, La Nouvelle Amsterdam avec R…. Il faudrait que je
m’astreigne à ne plus jouer les Don Quichotte. Je finirai par me briser les
reins, l’histoire du pot de fleurs de Cyrano.
Arriverai-je
un jour à avoir une diplomatie suffisante pour vivre correctement en société.
En dépit de tous mes efforts, j’ai la nette impression d’être un a-social. Ici
comme au lycée ou à l’école de Santé Navale autrefois je me retrouve seul,
tellement seul par orgueil peut-être, par intransigeance certainement.
Heureusement
dans ma vie il y a ma Mie. Elle est là restant le symbole du bien sur la terre.
Elle est la raison de croire que tout n’est pas mauvais, que Dieu a mis dans
l’homme le mauvais mais aussi le bon et l’amour qu’il nous donne sur terre est
à l’image de Dieu, il reste quelque chose de pur, d’incorruptible (le véritable
amour s’entend). Ma chérie, j’ai besoin de te retrouver, de venir trouver près
de toi, une fois de plus, la consolation, le courage, le bonheur.
Il
est minuit dix, j’ai lu et je suis là seul au milieu du silence du camp que ne
vient troubler que le hurlement du vent dans la cheminée de la baraque. Je suis
comme un malade vivant un long cauchemar car on ne voit pas la fin de cette
immense et terrible solitude. Car ce ne sont ni le vent ni la pluie ni le froid
qui font de ce pays une terre de tristesse, c’est l’éloignement. On ne peut pas
imaginer ce que représente pour un esprit ouvert à la vie cette sorte de
réclusion. Nous sommes là 25 coupés du reste du monde et les nouvelles nous
arrivent lointaines, filtrées n’apportant pas même un lien solide entre le
monde et nous. Les messages officiels ou privés transmis en morse n’ont aucune
signification, ils ne servent qu’à échanger quelques idées banales laissant les
problèmes de fond dans l’obscurité.
Oui
détresse de l’isolement, tristesse de l'être séparé de tout contact humain
ayant épuisé les quelques contacts au sein de la mission.
Que
de pensées vers l’être aimé. Quelle déroute dans l’esprit habitué aux
confidences, aux pensées partagées, à la véritable communion entre deux êtres.
La vie est vide, ridiculement vide véritable pantin de chiffon que l’on a vidé
de son son. Et rien ne vient remplacer ces joies intérieures, la foi dans le
travail n’est pas permise, l’esprit d’équipe n’existe pas. Hors de son monde
divinement organisé, on ne trouve que fange et bassesse, qu’indifférence.
Vie
tu n’as de sens que dans l’amour, l'amour du prochain, amour de l'être aimé et
de ses enfants.
Samedi
11 Août.
10 h
du matin, je note quelques idées qui ont motivé le message d’hier à la DSS
-
J’ai été mis à la tête d’un établissement sans autre instruction que de vagues
instructions orales.
-
J’ai servi de confident à des critiques sur les prédécesseurs, critiques qui se
sont révélées par la suite pas toujours justifiées.
-
J’ai rapidement réalisé, sur place, que l’ADSUP TAAF qui n’a fait qu’un séjour
de deux ou trois jours ici, ignore tout des problèmes essentiels de
l’établissement et que, d’ailleurs, cela ne l’intéresse pas.
-
J’ai eu deux détachements du génie, le premier ayant reçu une vague mission,
l’autre rien.
-
J’ai pris position dans l’organisation du travail du camp y compris la météo. Je
n’ai pas été suivi par R…. Je sais depuis que je risque d’être désavoué sur
cette question-là.
Le
principe des Terres Australes est le suivant: demander aux gens le maximum par
chantage moral mais ne pas s’engager soi-même. Bénéficier des réussites,
désavouer les échecs.
Journée
passée en douceur. J’ai bricolé, fait le dentiste et j’ai un peu l’impression,
ce soir, d’avoir attendu la fin de la journée, la fin de la semaine.
12
Août.
Envoi
des couleurs ce matin : grand pavillon.
À 9 h
1/2 nous avons quitté le camp avec le Lieutenant pour le Fernand. Vers 11 h,
nous avons trouvé les moutons au dessus de Good Year. Nous les avons perdus peu
après en raison d’un brouillard particulièrement intense. Les “stratus bas” ne
nous ont pas quitté de la journée. Nous avons quand même repéré la fameuse
coulée du Fernand qui est une véritable vision d’enfer, éboulis de roches
calcinées et pourries suspendues au-dessus d’un vide impressionnant. Le
brouillard poussé par un vent violent remontant la pente déchiquetée ajoutait
au paysage une impression dantesque.
En
rentrant l’après-midi nous avons récupéré les moutons et nous les avons ramenés
jusqu’au Dumas. L’attrait de la poursuite a fait paraître le chemin du retour
très court.
13
Août.
J’ai
été heureux de trouver aujourd’hui dans l’histoire des moutons un dérivatif à
mon attente car j’attendais le message de ma Mie, premier message depuis
qu’elle connaissait notre affectation à Madagascar
Ce matin j’ai été avec B…, le menuisier,
repérer les moutons. Je les ai retrouvés du côté du piton herbeux, mais ils ont
pris immédiatement la direction du bois de phylicas, j’ai donc abandonné la
poursuite.
La
fin de matinée s’est passée à ne savoir trop que faire. À 13 h 30, départ d’une
expédition complète, 9 sapeurs, 5 malgaches, le Lieutenant, l’adjudant
mécanicien et moi, plus le marin, j’oubliais, 18 donc en tout. Il n’y avait
personne en trop. Nous avons réussi après une drôle de course dans les joncs à
récupérer les 5 moutons. 4 ont pu être ramenés dés ce soir au camp.
En
rentrant j’ai trouvé immédiatement deux messages, un de mes parents, un de ma Mie.
Cela m’a fait le plus grand plaisir. Tout en France se déroule comme je le
pense, Vonette ira à Paris à la fin du mois puis rentrera à Breil.
Un
mot reçu en graphie par F… et venant de Terre Adélie suggère pour moi quelques
pensées. Le mot: « Le moral est bon, pas plus. » Il y a tout d’abord
la satisfaction d’être les confidents de ces isolés. Le fait qu’ils puissent
dire leur peine et déjà une grande chose et ce n’est pas de nous que devrait
leur venir le réconfort mais de France. L’autre idée c’est que ce sont avant
tout des hommes. On a trop tendance à les considérer comme de rudes
volontaires, inaccessibles à tout sentiment humain. On les considère comme tels
car c’est tellement plus facile. Que de difficultés s’il fallait penser qu’il y
a là-bas des hommes qui ont besoin de savoir que l’on pense à eux, que l’on se
préoccupe de leurs pensées, de leur moral. Comme dit L…, en France, les gens
ont d’autres choses à penser que de penser aux gens des missions lointaines et
ceux qui devraient y penser, ADSUP et autres par profession, pensent surtout à
leur avancement et aux profits qu’ils pourront tirer de leur prochaine mission.
On
peut affirmer que plus que partout ailleurs les contacts humains ont, ici, une
importance capitale vue l’isolement.
14
Août.
Ce
début de mois aura passé relativement vite et pourtant il me semble qu’il reste
encore un énorme temps à faire. J’ai l’impression que je n’en verrai jamais la
fin.
Une
dépression est passée cette nuit, assez brutale et j’ai mal dormi. Est-ce à
cause du vent ou de la pluie, je ne saurais le dire.
À 8
h, je pars en Jeep avec U… et deux sapeurs. Après les averses de la nuit,
l’herbe fleurait bon le printemps. Il faisait un temps délicieux. Nous étions
de retour vers 9 h avec la dernière brebis. La journée est passée à courir
après les moutons car vers 10 h, malgré une chaîne les reliant les deux béliers
partaient entraînant les brebis à leur suite.
Coup
de pompe après le repas de midi dû à la fois à la fatigue et au temps
particulièrement doux invitant au ‘ dolce farnienté’. J’ai quand même pris des
photos des chantiers, poulailler, bloc sanitaire puis mis de l’ordre dans
l’hôpital et préparé des produits photo. Ce soir je me suis rasé et je me suis
présenté à table très correct et en assez bonne forme. Jusqu’ici je n’ai pas
manqué un seul repas, D… en est à sa deuxième absence en 8 jours.
D’une
façon générale, on observe une baisse de forme nette chez les gens. L… lui-même
accusait le coup aujourd’hui. Moi ce n’est pas brillant et j’ai eu du mal à
rédiger un message correct pour ma Mie tant j’avais envie de lui avouer que
j’en ai assez. Mais à quoi bon, elle a besoin de courage, de beaucoup de
courage elle aussi et ce n’est pas en lui faisant part de mon découragement que
je l’aiderai à tenir le coup.
15
Août.
Je
viens d’essayer honnêtement, cet après-midi, de lire: ’la fin d’une liaison’ de
Graham Greene. Après avoir lu une cinquantaine de pages et sondé le bouquin en
plusieurs points, j’ai abandonné. Je suis de plus en plus déçu par les lectures
préconisées par L…. Il fait partie de ces gens que l’exposé des conflits
humains, de déséquilibres moraux, etc. laisse pantois d’admiration. C’est au
fond la position du médecin devant un brillant exposé de malade.... C’est
magnifique, cela est admirablement décrit. Moi cela m’ennui. Je trouve à chaque
phrase une erreur monumentale, erreur dans la façon d’être, erreur dans le
sentiment, erreur dans l’appréciation. Je n’ai pas la prétention d’être un Dieu
et il s’en faut de beaucoup. Je suis et j’ai la sensation d’être un homme avec
une multitude de faiblesses mais si Dieu m’avait donné la possibilité d’écrire,
je la mettrais aussitôt au service de ce que nous avons de plus beau sur terre,
au service de ce que Dieu nous a laissé du Paradis Perdu: l’amour. (NDLR lire
ou relire ‘Le cantique des cantiques’. Que l’on ne me dise pas que cet amour
n’intéresserait personne. Je suis persuadé que l’histoire de l’amour divin est
une histoire aussi passionnante que celle de l’amour. Elle sent peut-être un
peu trop l’eau de rose mais c’est parce que l’on éprouve le besoin en parlant
de cet amour-là, de l’élaguer de tous les problèmes de toutes les difficultés
qu’il peut lui aussi rencontrer. L’amour tel que Dieu nous l’a donné n’est pas
un conte de fée, ce n’est pas une histoire divine où seul interviennent les
anges. C’est une histoire humaine, terriblement humaine mais éclairée d’une
flamme, d’une lumière qui est tout à fait en dehors de la lumière particulière
de la littérature moderne.
Romantisme
ou amour pur déçu, modernisme ou amour dit passion à la petite semaine.
Classicisme avec ses conflits, il faut remonter au moyen-âge pour retrouver le
chant de l’amour divin mais la naïveté de l’époque n’a pas permis de lui donner
une expression à la mesure de sa valeur.
Quelle
tristesse de voir que tout ce que nous avons accumulé, de science, de culture,
de connaissance, en un mot de conscience ne nous sert qu’à concevoir les cotés
les plus bas de notre espèce. Je ne veux pas être d’un optimisme exagéré encore
une fois. Je me défends de ne voir que ce que je veux voir ou d’avoir sur les
yeux les lunettes de la foi. Je ne dis pas que tout est merveilleux mais c’est
justement parce que tout n’est pas merveilleux que l’amour, lorsqu’il est pur
prend un relief qui suffit à le rendre remarquable.
Il
est des gens qui posent la question: « parce que vous avez
confiance » et ils me remplissent de pitié; non pas parce qu’il ne
connaissent pas la confiance mais je considère que c’est un stade dépassé. Il
ne s’agit plus de confiance, ce mot a encore quelque chose d’humain, on fait
confiance à son homme d’affaire, à son Pasteur, à sa femme, on ne fait pas
confiance à sa compagne à cet autre vous-même qu’est l’être profondément aimé.
Faire confiance c’est se poser la question, c’est se demander ce qu’en certaines
circonstances ferait l’époux et y répondre d’une façon qui satisfait sa propre
morale et sa conception de la vie. C’est tellement vrai que tel mari peut faire
confiance à sa femme sachant très bien qu’elle flirtera mais ne couchera jamais
avec quelqu’un d’autre.
Au
stade que je conçois on ne se pose plus de question car il n’existe, à mon
avis, plus de problème. L’être qui s’est donné dans un amour divin a épuisé ce
que Dieu lui a donné de tendresse, d’affection, de don de soi et par don de
soi, j’entends le don de son être: corps, âme et esprit. Il ne lui restera plus
à offrir à d’autres, que son corps ou son esprit mais jamais plus il ne pourra
connaître ce qui vient avec l’enthousiasme de la jeunesse et se fortifie avec
la maturité.
Alors,
pourquoi se poser une question? Poser la question c’est blasphémer le nom de
Dieu, c’est nier ce qu’il a pu mettre en nous d’amour.
Je
suis parti sur ce sujet de la confiance car dans le roman ‘Fin d’une liaison’
il y a, à la base même du roman, le manque de confiance. Ce n’est pas tellement
l’éternelle histoire du cocufiage que je condamne (agrémentée cette fois de
scènes piquantes, on baise sur le parquet de la cuisine, dans le fossé glacé),
c’est l’absence de confiance qui fait que je considère cet amour hors mariage
comme dérisoire et inutile.
Je
voudrais pouvoir écrire, un jour, à mes filles un petit livre où elles puissent
trouver ce qu’elles ne trouveront que peu ou pas dans les bouquins. Un livre où
je puisse leur dire, un peu à la manière du Pasteur Waultier d’Aygueillé, qu’il
existe un amour avec un grand A, que cet amour, tout en restant d’inspiration
divine, est humain, qu’il a son histoire humaine mais que cet amour a ceci de
particulier c’est que loin d’avilir l’homme, il l’aide à sortir de l’ornière,
le transforme. Que cet amour a d’autre part, je le disais tout-à-l’heure, de
transformer toutes choses et que telle conduite qui dans certaines conditions
avilie l’homme et le refoule au rang de mammifère bipède omnivore, à la lumière
de cet amour, a quelque chose de merveilleux et de grandiose.
Dieu
que les mots sont lourds pour expliquer cette légèreté qui vous envahit en
présence de l’être aimé, de cette satisfaction qui préside à tous les actes de
la vie à deux.
Qu’il
me tarde, oh combien! de retrouver cette vie, cet amour. Je reconnais que mon
impatience est immense, elle est à la mesure de la joie et du bonheur que Dieu
a mis en moi, qu’il m’a permis de concevoir.
Je
l’ai écrit dans les lettres à ma Mie, cette séparation aura eu l’avantage de
nous faire prendre conscience de nous-mêmes et de notre amour. Après 10 ans de
mariage et 16 ans de connaissance l’un de l’autre, cela n’est pas un mal bien
au contraire. Cette séparation aura permis de prendre conscience également de
quelques erreurs peut-être et sans doute nous sera-t-il permis d’y apporter
remède. Être plus doux avec ma mie, voir s'il ne m’est pas arrivé de rester
trop longtemps sans lu parler d’amour par exemple; ne pas jouer le personnage
mais être plus profondément encore être moi-même, tel que Dieu l’a créé avec sa
puissance et ses faiblesses.
Chérie,
chérie, mon amour, ma Mie, je suis tendu vers ces jours où nous allons nous
retrouver, où nous allons repartir vers une nouvelle lune de miel qui sera
forte cette fois d’une expérience considérable dans une foule de domaines. Lune
de miel de deux amoureux qui ont déjà conçu des enfants. Cela me paraît
tellement beau que je ne peux pas en parler sans une certaine ivresse qui
m’oblige à m’arrêter. Ne pas trop penser à ces joies promises pour ne pas
trouver la vie actuelle vide et insipide. Ne pas trop penser au bonheur futur
pour ne pas trouver les jours qui passent interminables. Oh Dieu qui nous donne
aujourd’hui de tant souffrir vient à notre secours et conservez nous cette vie
que vous nous avez donné si belle et si douce!
FIN DEUXIÈME CAHIER JOURNAL NOUVELLE AMSTERDAM
_________________________
16
Août.
J’aurais
voulu commencer ce cahier par une jolie page pareille à celle qui termine le
cahier précédent mais rien dans une journée quelconque ne vient inspirer mon
esprit obnubilé par une seule idée: retrouver bientôt ma petite Mie et
retrouver, auprès d’elle, une vie normale.
Je
n’ai plus cette volonté de travail que j’avais les six premiers mois.
Aujourd’hui, j’ai nettoyé des instruments, fait de la stérilisation, soigné des
dents, passé une visite d’aptitude, rédigé trois messages officiels, fait un
peu de thérapeutique, oblitéré mes photos carte-postales. Cela fait pas mal de
choses, mais tout a été fait sans intérêt, comme si l’être qui accomplissait ce
travail était malade.
Chose
extraordinaire, beaucoup accusent le coup et le Lieutenant qui n’est là que
depuis trois mois est aussi à plat que moi; seulement lui réagit autrement et
ce soir j’ai dû le vexer (s’il est capable de se vexer) car il a sorti une
plaisanterie très grossière et très sérieusement j’ai fait remarquer: ‘c’est
très drôle’. Une fois de plus je ne suis pas au même niveau que ceux qui vivent
près de moi et je me retrouve seul, étrangement seul. Pourtant je devrais
reprendre confiance et courage, dans 75 jours exactement le bateau quittera
Tamatave et il me reste trois choses à faire: Le rapport de fin de campagne,
les inventaires de passation de service et l’astiquage de tout l’outillage et
de l’hôpital.
Inutile
d’insister, je vais aller au lit lire un peu et peut-être le sommeil viendra
-t-il sans trop de difficultés, mais j’en ai assez.
17
Août.
Rien
de sensationnel à part que, pour moi, la journée a passé plus vite que je ne le
pensais car j’ai reçu, ce matin, 4 chiffrés ou plutôt surchiffrés de 80 groupes
et plus et j’ai passé à déchiffrer tous ces messages la journée entière et
encore je n’ai pas fini de remettre le tout au propre. À part un petit coup
d’œil au chantier, fouille de la fosse septique, coffrage et ferraillage de la
dalle, c’est absolument tout ce que j’ai fait. Au fond, je souhaiterais avoir
beaucoup de journées comme ça.
18
Août.
J’avais
l’intention de travailler à mon rapport, mais après avoir arrêté un sapeur et
vu L… qui s’était blessé j’ai été sur le chantier car deux hommes en moins pour
couler la dalle de la fosse septique cela était embêtant.
Après-midi
bien calme. Après avoir aidé le marin à mettre le canot à l’eau avec une mer
encore dure, j’ai travaillé au chiffre transmissions avec l’adjudant-chef F….
Le soir nous avons écouté, en chœur, les amateurs en particulier Giaccomo di
Bergamo.
19
Août.
Nous
devions aller aux monts du Château aujourd’hui avec les sapeurs et
éventuellement le Lieutenant. Le matin j’étais réveillé très tôt et à 6 h 1/2
je me suis levé. Cela m’a permis d’assister à un lever de soleil magnifique sur
le Faux-sommet. A 7 h 1/2 promenade décommandée en raison d’une invasion de
stratus bas avec crachin. Je descends à la cale aider U… à mettre le canot à
l’eau. Il va à la pêche avec Petit Louis et E…. Avant de remonter je les vois
remonter un casier de langoustes.
8 H,
le temps se lève un peu. Nous décidons de partir, le lieutenant ne vient
pas...Le Lieutenant, j’ouvre une parenthèse est en train de subir une évolution
et surtout il se referme. Très certainement deux ou trois choses ne lui ont pas
plu, par exemple la critique assez vive des livres qu’il m’a donné à lire, le
fait que j’ai tempéré à plusieurs reprises son ardeur à admirer les Russes, le
fait que peu de choses m’échappent. Hier encore je regardais un mur du bloc
sanitaire qui n’était pas droit. Je n’ai rien dit, mais L… a surpris mon regard
et regardait à son tour puis m’a regardé; il n’avait que trop compris. Cet
ensemble de faits convergent vers le même résultat c’est que L…semble me fuir
maintenant, je représente pour lui un élément trop stable, tant pis! Je dois
dire que dans l’état actuel des choses je me passe fort bien de sa compagnie.
Je
reprends ma promenade. Nous partons donc trois sapeurs et moi. Un peu de brumes
par-ci par-là mais pas de vent et il fait chaud à tel point qu’à mi-chemin du
Faux-sommet nous nous mettons torse nu. Après le Faux-sommet nous sommes dans
le brouillard épais et je passe quelques minutes à hésiter sur le chemin à
suivre. Je retrouve le pied de la Dive sans difficulté, Dive, Monts du Château
sans histoire. Le temps se lève rapidement et le ciel étant d’une pureté
exceptionnelle nous ne tardons pas à avoir un coup d’œil magnifique sur la Dive
et le Fernand.
A
midi nous déjeunons aux monts du Château. Les Gorfous sont déjà arrivés à
Enrecasteaux et du bas nous monte un vacarme assourdissant. Par contre, pas
d’albatros. Le brouillard ne nous laissera entrevoir le plateau et la pointe
Sébastien Del Cano que quelques secondes. Nous constatons à plusieurs
reprises, dans le brouillard, des halos semblables à des arcs-en-ciel
entourant notre silhouette projetée par le soleil. D… me dit que c’est un
phénomène rarement constaté dans les stations de haute montagne et qui
s’appelle: ‘les gloires’.
Retour
par le pied du Fernand, le temps très clair de ce coté me permet de voir qu’il
est impossible de descendre directement du Fernand à la plage sans risquer sa
vie. Je n’irai donc pas à la plage du Fernand par cette voie. Nous observons
une magnifique onde de réfléchissement autour du Solitaire à Good Year.
Arrivée
au camp à 17 h après être parti à 9 h du matin, une prouesse.
Le
marin, m’a-t-on dit, a fait une pêche magnifique, entre autres il a pris je
crois 6 bleus, variété de dorades, chose inusitée.
20
Août.
Journée
où j’ai véritablement tiré ma flemme. J’ai travaillé à mettre quelques idées
sur le papier et à mon rapport de fin de campagne mais j’ai eu de grosses
difficultés et je n’étais absolument pas inspiré. J’en ai par-dessus la tête
des Terres Australes qui continuent à nous traiter en quantité négligeable. Le
bilan de la journée est pratiquement nul, cela n’aide pas la journée à passer.
Ce
matin j’ai envoyé, par Vic, un message assez long à mon successeur. J’espère
qu’en dépit de l’adresse fantaisiste: Médecin-chef Nouvelle-Amsterdam relève
Octobre, le message lui parviendra sinon j’attaquerai par la voie de P….
Adressé
un télégramme de rappel à l’ADSUP TAAF au sujet de la cuisinière ‘Amsta’.
Reçu
un message de ma petite Mie. Je la devine comme moi, impatiente de retrouver le
terrain stable de notre bonheur conjugal.
21
Août.
Je
suis bien las ce soir et je connais ces heures de lassitude et de découragement
habituelles lorsque je rencontre devant moi l’infini de tout ce qu’il y aurait
à faire, de tout ce qu’il y aurait à dire. Je me trouve dans de mauvaises
dispositions d’esprit pour réagir. J’ai quelques histoires qui me pèsent et je
n’en sors pas.
-
Tout d’abord L… est entrain de peiner sur son bâtiment. Il est au point de vue
aptitude à la réalisation de ce genre de chantier un peu jeune je crois. Aussi
ne domine-t-il pas la question et a accumulé quelques petits pépins qui
évidemment le mettent en boule. Comme je me désintéresse un peu de la question
cela à l’air de l’irriter davantage. Je suis ainsi partagé entre le désir de
voir et de faire remarquer certains trucs ou bien de m’abstenir et de le
mécontenter. Ce soir le Lieutenant m’a relancé pour une histoire de W.C plus
hauts ou plus bas que le cabinet de toilette. J’ai été obligé de désapprouver
sa façon de voir. Je préférerais maintenant rester tout à fait en dehors de la
question. Autre histoire, le silence absolu de Paris me gêne. J’ai peur d’un
coup de pied en vache. À remuer un peu trop la m... je ne l’aurais bien sûr pas
volé, mais je voudrais pouvoir me défendre. Je pensais avoir éveillé auprès de
la DSS un écho de sympathie quelconque mais rien! Le silence absolu sur un
chiffré pourtant corsé. Peut-être que là aussi je gêne tous ces messieurs.
- Le
Commandant des transmissions de Tananarive s’étonne que l’on n’ait pas demandé
des renseignements complémentaires à Kerguelen. Encore un qui veut nous faire
dépendre de Kerguelen.
J’en
ai assez, je porte actuellement un fardeau qui pèse lourd sur mes épaules et je
n’ai pas ma petite Mie près de moi.
22
Août.
Le
temps n’était pas prometteur ce matin et la journée s’est révélée être ce qu’elle
devait être: vent, Pluie, froid. Pourtant j’ai été travailler sur les chantiers
ne voulant pas qu’il soit dit que le temps me faisait reculer. Ce matin j’ai
aidé le Lieutenant, cet après-midi j’ai aidé C… qui terminait l’adduction d’eau
bassin-hôpital. Journée sans histoire.
Les
sapeurs ont mis le derrick en place pour couler la dalle d’ancrage. L… a laissé
le 4X4 à la mare aux éléphants de mer, embourbé. Sa nature diffère de la mienne
en cela que je n’aurais jamais laissé le 4x4 dans la nature.
23 Août.
Je me
suis levé à 7 h 10 et je n’ai été au réfectoire qu’à 7 h 1/2 frais et dispos.
Le Lieutenant et Carbou n’ayant pas réussi à sortir le 4x4 j’ai préparé avec
Carbou une nouvelle expédition et après la liaison de 8 h 1/4 avec FB8BC,
toujours fidèle au rendez-vous, je suis parti pour la mare. Nous avons sorti le
4X4 et la remorque sans les décharger et sans grande difficulté à deux.
Lancé
sur la mécanique, j’ai passé ma journée avec C…. Nous avons démonté le Tirefort
et passé une partie de notre temps à le remonter car quelqu’un, je suppose que
c’est L… l’avait remonté avec des pièces inversées. Nous avons réussi à
remettre le Tirefort en état. Nous avons ensuite monté en grande partie le
derrick et arrangé la pomme des douches.
Je
suis fatigué mais content de ma journée...Le moral n’est toujours pas
formidable.
24
août.
J’ai
passé ma journée à reprendre l’inventaire des disques et je n’ai pas terminé.
Les
sapeurs ont attaqué la route de la cale pendant qu’une partie termine les
préparatifs pour couler la dalle et la fosse septique. Vie bien calme et bien
monotone. Je ne sais pas si l’ensemble de la vie du camp subit un
ralentissement ou si je vois avec des yeux fatigués le travail qui s’accomplit
autour de moi. Il est un fait certain c’est que j’accuse le coup et que cela
doit se voir ne serait-ce que parce que je suis plus large d’idée, parce que je
passe maintenant sur des choses qui, il y a quelques mois, m’auraient fait
bondir.
Les
histoires du canal de Suez qui viennent se greffer là-dessus viennent ajouter à
l’incertitude de notre position. Je ne me vois pas avec un bateau retardé
encore de 10 jours, la situation, tant du point de vue moral que matériel,
deviendrait catastrophique car le ravitaillement est déjà plus que juste.
Je
suis fatigué, vraiment fatigué et j’ai de la peine à supporter jusqu’au bout le
poids de ma position de Chef d’établissement.
25
août.
Regain
de moral en fin de semaine, ce qu’il y a de curieux c’est que ce regain de
moral semble affecter l’ensemble du personnel. À quoi cela est-ce dû, il serait
difficile de le dire, mais un fait est certain c’est que la relève approche.
Dans 66 jours seulement, sauf coup dur imprévisible, le bateau quittera le port
de Tamatave.
Journée
très variée où les gens, une fois de plus n’ont pas chômé. Un fait éminemment
notable c’est la phonie d’une heure avec Tananarive qui a permis à D… de
liquider la question d’une commande de voiture sous triptyque. Cette liaison
amateur de FB8ZZ à FB8BC est une chose remarquable. On ne peut s’empêcher de
penser que l’on pourrait, sur le plan officiel avoir des liaisons aussi
fréquentes que l’on voudrait s’il y avait un correspondant à Tananarive.
- C…
est plongé dans les moteurs, il avale sa révision d’un moteur toutes les 48
heures, Deville Bernard, etc.
- Le tronçon
de route devant la marine est prêt à recevoir le béton.
Le
Lieutenant L… est un peu moins tendu et semble revenir un tantinet mais cette
fois c’est moi qui bloque car j’en ai assez et je ne suis plus en forme pour
faire des concessions. Je pense que je suis un être difficile à vivre. Ce soir nous
étions à la radio, L… a crayonné 5 ou 6 feuillets de TELAV. J’ai de la peine à
me contenir devant des trucs comme ça. Je me rends compte en freinant
continuellement mes instincts que je risque de devenir un être impossible et je
pense à ma petite Mie. Je suis dur quelquefois avec elle et je le sais.
26
Août, Dimanche.
Un
dimanche que j’ai mal pris car j’avais compté sur le mauvais temps. Or si le
vent de Sud est assez fort et froid le soleil, par contre, est splendide
et très chaud. D’autre part hier soir j’ai lu jusqu’à deux heures du matin et
ce n’est pas sans retentir ce matin sur mon tonus physique et moral. Je
voudrais surtout trouver une occupation pour la journée, une occupation qui ne
me laisse pas trop libre de penser à ma douce Mie et à mes petites pimprenelles
car c’est irrésistiblement vers ces êtres aimés que vont mes pensées.
Oh!
douceur de vivre près de toi ma petite Mie.
27
Août.
Hier,
à part ces quelques notes, je n’ai rien mentionné. En fait la journée a été
pauvre en événements et personnellement c’est tout juste si j’ai été à Ribault
compter les manchots et relever le numéro d’un manchot bagué (N°BA.239). À 18
h, j’ai fait des amateurs et j’ai contacté 6 ou 7 postes américains et un Japonais.
Ce
matin levé à 6 h 1/2. Nous devions couler la dalle si le temps le permettait.
Or, nous avons récolté l’anticyclone le plus fort, en pression, que nous ayons
jamais eu. Un temps magnifique qui a regonflé à bloc l’ensemble du personnel.
La
dalle a été coulée en un temps record, 3 heures. Le derrick a fait merveille et
le chantier avait quelque chose d’une petite entreprise de France.
28
Août.
Je ne
me suis pas fatigué aujourd’hui, mais j’ai remis mon hôpital en ordre et fait
une stérilisation après avoir révisé les aiguilles de Reverdin et les
bistouris.
Pas
mal d’activité dans le camp aujourd’hui encore; F… a fait la lessive, trois
maçons ont fait l’enduit de la dalle, deux sapeurs ont travaillé au coffrage de
la fosse septique, les autres ont approvisionné le futur chantier route en
scories, sable et ciment.
C… a
arrangé le moteur de la bétonnière et a peint le mât de pavillon qui sera prêt
à être mis en place Samedi.
Rien
à signaler, le moral est bon, je commence à concevoir la fin de cet isolement.
29
Août.
Ce
matin j’ai joué les chefs d’établissement étant tour à tour à la radio, à la
mécanique, aidant à tirer la bétonnière d’un trou, aidant à mettre en place un
mât d’antenne. Cet après-midi, mât radio puis rédaction du petit topo du
journal du REF, enfin coupe de cheveux. J’ai été, également, jeter un petit
coup d’œil sur le chantier de la route de la cale.
En
montant l’antenne radio un amarrage de hauban a cédé. C’est grave car ces
amarrages supportent 5 haubans, tout un côté. J’avais fait confiance à L… puis
au vu des travaux, je m’étais dit que cela ne tiendrait pas. Je ne pensais pas
que cela arriverait si vite. Cela fait déjà deux ou trois petites choses qui
clochent. L… est d’ailleurs de plus en plus fermé. Est-ce moi, est-ce lui? Je
n’en sais rien. En tout cas je suis de plus en plus muet évitant de donner mon
avis, lâchant la bride absolument. Ce soir il m’a montré un message officiel
que j’avais déjà vu, fort heureusement d’ailleurs car cela m’a permis de ne pas
bondir. On lui demande les notes de deux caporaux affectés, en fait à
l’établissement. J’aurai pu exiger avoir à émettre mon avis à ce sujet. J’ai
simplement dit à L…: « vous savez ce qu’il vous reste à faire? ».
Lui: « oui, prendre ma plus belle plume et répondre ». Me
montrera-t-il les notes? qui vivra verra dit-on.
En
tout cas le cas L… est un ‘Cas’... ce type là n’a pas fini de m’étonner.
30
Août.
Quelle
lassitude, me voila condamné à 10 jours supplémentaires, cela fait au bas mot
20 jours de plus que prévu. En effet, le bateau, aux dernières nouvelles,
officieuses et confiées à F… par Ker, passe par les îles Crozet avec R… à bord.
Cela nous promet outre la traversée un bon séjour du bateau là-bas car il y
aura pas mal de matériel à débarquer et d’autre part il faut compter avec les
touristes.
À
quoi bon s’affoler, Dieu aura pitié de nous et je retrouverai ma Mie début
Décembre, Petite mie...
Aujourd’hui
j’ai travaillé sur la piste du sable avec L…. J’ai senti qu’il fallait lui
donner un peu de mou et de fait il a passé sa soirée dans ma chambre à
bavarder, signe net de détente.
C… a
travaillé pour la météo (paniers à Ferro) puis pour la radio (isolateurs).
Pendant ce temps, les Malgaches mettent en place les fûts pour la récupération
de l’eau au poulailler.
U… a
tué un taureau qui avait reçu, probablement il y a longtemps, une balle dans la
panse, panse adhérente à la paroi, tissu inflammatoire.
31
Août.
Journée
de travail où à part quelques coups d’œil de Chef d’établissement, je n’ai pas
perdu mon temps. J’ai tapé ce matin la moitié des inventaires ‘disques’ et cet
après-midi un topo de trois pages dactylographiées destinées au journal des
radio-amateurs du REF.
Ce
soir nous avons réalisé un nouvel exploit radio, nous avons maintenu le contact
avec FB8BC pendant 1 h 1/4 assurant successivement une phonie avec E…, puis
passant un message venu de Terre Adélie et enfin passant les trois pages
dactylographiées, le tout dans des conditions remarquables.
La
phonie avait été demandée par le Commandant du Génie à Tananarive qui désirait
contacter L…. ‘Manque de pot’, le Commandant n'est pas venu et d’autre part il
ne désirait pas tellement contacter L… mais il avait besoin surtout de
renseignements sur les travaux effectués à la Nouvelle-Amsterdam pour pouvoir
en faire état lors d’une prochaine inspection du Général de Larminat.
J’ai
eu des nouvelles de la demande de concession de passage qui, selon E…, sera
accordée pour que Vonette puisse arriver en même temps que moi. D’autre part E…
va essayer de savoir quelle affectation m’attend à mon retour.
Le
QSO avait ce soir un caractère de famille bien sympathique et vraiment il
apportait quelque chose d’humain (NDLR: enfin).
-
Nouveau platelage à la carrière de sable.
- F…
et C… travaillent aux antennes radio.
-
L’installation d’eau au poulailler est terminée.
-
Décoffrage de la fosse septique.
1er
Septembre.
Enfin
le mois de Septembre. C’est curieux ce mois ne correspond pas du tout à ce
qu’il est en France, le basculement vers l’hiver, la fin des beaux jours, la
rentrée prochaine des écoles, le raisin... Pourtant le bateau approche, il
quittera Tamatave dans 59 jours. D’autre part c’est Samedi la fin de la
semaine -11, bientôt les chiffres
des unités et pourtant, malgré une remontée du moral certaine, la relève me
paraît encore terriblement lointaine. Je ne saurais d’ailleurs pas décrire mon
état d’âme actuel, il est fait d’une sorte d’engourdissement, d’une sorte de
refus de prendre conscience de la réalité car au fond la réalité n’est pas
belle. L’isolement de l’établissement est plus net que jamais. Paris est
toujours aussi muet, la direction du service de Santé même chose et les
messages privés sont bien courts pourtant ils apportent à chaque fois une
bouffée d’amour.
- Le
génie approvisionne le chantier en sable et scories.
- Les
radios aidés par C… terminent la mise en place de l’antenne en V Ouest avec
descente d’antenne et déplacement du premier émetteur.
-
Après avoir tapé un peu à la machine, pas beaucoup, j’ai préparé du révélateur ‘Papier’.
L’après-midi j’ai fait de la photo, mes photos du Fernand et du chantier sont
assez bien réussies.
2
Septembre.
Journée
bien calme, quelques promeneurs à la Recherche, quelques joueurs de boules. En
fait le vent a incité pas mal d’entre nous à rester à l’abri. Je n’ai pas fait
grand chose de la journée et pourtant ça n’a pas été, pour moi, une journée
calme.
Les
deux canetons sauvés de la couvée de Juin et mis hier soir au poulailler ont
disparu mangés par les rats ou les chats, traces de sang sur la paille.
C…
m’a remis le bilan carburant, la situation, au point de vue gas-oil est
sérieuse. Le mât Mors se dégonfle. Il faudra descendre le mât de pavillon la
drisse étant mal engagée, etc.
3
Septembre.
Journée
étrange, biscornue, fertile en revirements pour moi. Ce matin j’ai rédigé
quelques messages officiels puis j’ai étudié de très près la question gas-oil.
La situation m’a presque collé mal à la tête et en tout cas m’avait
sérieusement découragé.
A 13
H 30, pesée mensuelle. À 14 h M… me propose d’aller au Faux Sommet. Je saute
sur l’occasion et de fait cela me fait une détente fort salutaire. Nous
trouvons là-haut du brouillard, du vent froid et de la pluie. La descente est
très instructive pour moi car j’apprends que P… a été sauvagement brimé par D…
pour être venu se promener avec nous. J’apprends, d’autre part que M… et P… ont
été obligés de faire bloc contre l’équipe D…-D… renforcée par C…. D… cherche
par tous les moyens à empoisonner l’existence de M… et P… et ne leur pardonne
pas de se s’intéresser de la vie de l’établissement; chasse, pêche, balades,
chantiers.
Je
suis rentré au camp pas très fatigué, une déception m’attendait, les antennes
étant descendues la vacation avec Tana avait été supprimée, pas de TELAV. Je
rentre à l’hôpital et vers 18 h 30 F… vient se faire payer un pot, il
m’annonçait que la concession de passage gratuite était accordée à partir du
1er Décembre. Enfin une certitude s’ajoutait à la certitude de mon affectation
à Madagascar, le cycle était bouclé. Mon Dieu quelle ingratitude, je n’ai pas
encore pensé combien était grande la lumière que tu jetais sur notre amour. Mon
vœu le plus cher est exaucé, nous arriverons en même temps à Tananarive. Il n’y
a plus d’inconnue maintenant, ma petite Mie va pouvoir faire ses caisses.
4
Septembre.
Rédigé
trois messages officiels et tapé la fin des inventaires ‘disques’. en fin de
journée, avec l’aide de C…, j’ai mis par terre le vieux pylône d’éolienne. Je
n’ai pas perdu de temps dans ma journée.
- Les
sapeurs travaillent à la route bétonnée à l’intérieur du camp. Ils ont déblayé
la terre et les bosses; sans doute demain feront-ils les approvisionnements.
- Les
radios eux en mettent un sérieux coup. Je pense que demain soir ou Jeudi au
plus tard on pourra démonter le vieux pylône de sur la baraque Fillod.
J’ai
reçu aujourd’hui un bien doux message de la petite Mie. Elle a reçu sa
concession de passage et l’on sent très bien qu’elle est impatiente,
puisqu’elle le dit ouvertement mais qu’en même temps le moral est en hausse,
l’espoir plus net. Petite Mie ce que nous allons être heureux...
5
Septembre.
Ce
matin dès 7 h j’ai mis un poisson rare au formol. Le travail m’a fait oublier
le TELAV sur ma table. À midi il n’a pas pu passer et cela m’a inquiété toute
la journée.
Après
le poisson, je suis parti à la cave avec U…. J’ai fait deux voyages de scories
et nous avons littéralement transformé les installations intérieures.
À 14
heures malgré un vent violent, avec l’aide d’U… et de D…, j’ai descendu
l’ancien pylône radio. Cela s’est passé sans autre casse qu’une drisse radio.
Même les haubans de l’antenne Rawin n’ont pas souffert. Le Lieutenant était
sceptique sur l’opération. Au total, journée bien remplie mais qui ne fait pas
avancer de beaucoup le séjour, le temps est long, terriblement long.
F… a
pu contacter un amateur de La Réunion, le seul, je crois. Je lui avais dit de
demander la date du départ en pêche du Sapmer. La réponse ne s’est pas faite
attendre puisque 24 h après nous savions que le Sapmer toucherait La Réunion en
Octobre. Il semble, à première vue que le Sapmer arrivera plus tôt cette année
sur les lieux de pêche, cela m’arrangerait terriblement.
-Les
sapeurs ont fait les approvisionnements et si le temps permet attaqueront
demain le béton de la route intérieure au camp.
- Le
menuisier travaille aux fauteuils pour le salon et son dessin est très bien.
- C…
a réussi à fabriquer un arbre de transmission pour le treuil du Dodge.
6
Septembre.
J’ai
travaillé mollement ce matin à classer des bouquins et cet après-midi j’ai tiré
ma ‘cosse’. C’est la deuxième fois dans la semaine. Nettement le moral n’y est
plus. Il faut dire que l’inspiration n’y est pas non plus car je n’ai toujours
pas de nouvelles de la monographie et étant donné le silence sur les commandes,
la relève, etc. on a de plus en plus l’impression de travailler pour le roi de
Prusse...
Le
moral est bon, mais le temps est terriblement long, les semaines se traînent
lamentablement.
- Les
sapeurs ont fait sauter une coulée de lave qui barrait la route du camp à
quelques mètres de l’hôpital puis ont arrêté tout travail en raison du mauvais
temps.
- U…
a terminé la cave.
- C…
a fini de dépanner le treuil du 4x4.
-
Double lancer du ballon-sonde et remise en place du câble Rawin en demi-aérien.
-
Trouvé deux otaries montées à 50 mètres de la cale, un record.
7
Septembre , Je note les petits
faits de la journée avant de passer aux deux événements de plus d’importance.
J’ai
travaillé ce matin à la bibliothèque, mis en place des bouquins, cela prendra
une quinzaine de jours. Cet après-midi après avoir surveillé et donné un coup
de main aux Malgaches qui ont nettoyé le réfectoire j’ai préparé et fait une
stérilisation. Les sapeurs, en dépit du temps ont coulé la moitié de la route
intérieure au camp.
- C…
s’est arrêté une demi-journée, céphalées, sciatique. J’ai dû en venir aux
thérapeutiques héroïques.
P… a
travaillé à la ligne interphone du Rawin, M… a été à la corvée de viande. La
scission au sein de l’équipe météo s’accuse.
J’en
arrive aux événements plus importants: le premier est l’esprit de revendication
des sapeurs qui s’est manifesté ce soir parce que nous avions du beefsteak et
avaient,eux, du cassoulet. N’ayant pas trouvé d’oreille complaisante en la
personne d’U…, cambusier, qui les a sérieusement remis en place, deux sapeurs
ont été porter leurs doléances devant la météo Nationale. Une question à régler
demain. Éternel recommencement, j’en ai assez de cette guerre continuelle.
Le
deuxième événement vient fort heureusement me faire oublier l’heure présente.
J’ai reçu,35 heures après, la réponse de la DSS à mon message au sujet des
bagages. Le télégramme est bref : « diriger bagages Manakara. À F… »
mais pour moi, il est le dernier point acquis de la suite affectation à
Madagascar, concession de passage, lieu approximatif d’affectation. Il n’y a
plus qu’à attendre. Il est 11 h moins 10 je vais aller au lit. Je suis fatigué
ce soir et je suis las, le temps me pèse plus que jamais, mais l’expérience
doit se poursuivre jusqu’au bout.
8
Septembre.
Je
mets mon journal à jour Dimanche soir et j’ai un peu de mal à retrouver
l’emploi, du temps exact de ma journée. Le matin j’ai fait du papier messages,
compte rendu d’activité que j’ai décidé de ne pas envoyer à Paris. J’ai
également fait une stérilisation. L’après-midi j’avais convoqué B…, E… et
Naivrot…. J’ai eu un assez long entretien avec E… qui s’est assez bien ouvert
et m’a un peu raconté sa vie. Je n’ai pas eu à faire le méchant car j’ai trouvé
un type extrêmement compréhensif.
Vers
15 h 30 nous avons été avec L… voir les otaries. Nous avons passé près d’une
heure à observer et à jouer avec les jeunes otaries rassemblées dans une mare.
À 18 h 15 nous avons eu Ker en phonie: un court message du Père, le “curé”
comme dit D… (radio de Ker) puis j’ai bavardé avec le Dr B… qui sous prétexte de
me parler d’une épidémie bizarre de 15 cas qu’il a eue à Ker a pu demander
cette liaison.
- À
19 h 45, magnifique aurore Australe. Après le dîner timide essai d’amateurs
puis ‘bavette’ avec le Lieutenant et courte lecture.
9
Septembre.
La
journée se résume à peu de choses. Toute la journée F…, C… et B… ont travaillé
sur l’antenne ZL Spéciale. Le Lieutenant n’a bougé de son lit que pour déjeuner
et dîner ou presque. Les sapeurs ont été invisibles. Les météos ont lancé deux
fois ce matin. Le temps est lamentable.
Pour
ne pas changer j’en ai assez et suis vraiment à saturation.
10
Septembre.
Je me
suis levé ce matin à 6 h 1/2 étant réveillé depuis 6 h et passablement excité.
J’ai préparé une séance de dentisterie puis le scellement de l’antenne ZL. Une
poulie de l’antenne 14.000 Kcs ayant cassé cette nuit, j’ai aidé D… à déposer
et remonter le mât Casanova Ouest. J’ai ensuite avec l’aide de C… fait le béton
et coulé le bloc support d’antenne.
Cet
après-midi j’ai fait le dentiste puis le toubib et j’ai préparé une nouvelle
stérilisation. J’ai un peu tourné en rond car j’attendais mon Télav. À 18 h 30
j’étais à la radio attendant la fin de la liaison avec Tana. J’ai eu deux
Télav, mes parents et Vonette. Grâce à eux j’ai pu suivre le voyage de ma
petite Mie. Elle ne parle, n’étant pas encore arrivée à Breil ni des comptes ni
du lieu d’affectation. J’espère avoir la semaine prochaine un Télav chargé de
renseignements.
Me
voila au seuil d’une nouvelle semaine. Je connais, indubitablement, un regain
d’activité. J’ai besoin d’agir, besoin de travailler. Je peux difficilement
rester en place et cela a un inconvénient c’est que je néglige certains
travaux, thérapeutique, bibliothèque pour d’autres plus actifs, plus manuels.
D’autre part il me faut à nouveau m’attacher à deux séances de dentisterie et
ça me coûte, je dois faire un effort net sur moi-même pour travailler et
surtout laisser la totalité du matériel en ordre. Malgré moi je compte les
jours, je surveille la fuite du temps. Je sais que cela est idiot. Il est
probable que si j’avais eu un autre Patron (NDLR il s’agit de l’Administrateur
Supérieur des TAAF), un Patron qui sache m’intéresser au travail jusqu’au bout
je n’aurais pas acquis, ou tout au moins pas à ce degré, cet état
d’indifférence qui rend toute chose vide de sens.
11
Septembre.
J’ai
travaillé ce matin 3 heures à la bibliothèque ensuite j’ai travaillé avec D… à
refaire l’installation 32 volts du dortoir. Depuis 5 ou 6 jours, les câbles
traînaient sur le ciment et cela me chiffonnait. Toute la journée j’ai
travaillé sans un moment de répit, j’avais besoin de ça... Ce matin j’ai eu un
moment de défaillance, je me suis senti seul, horriblement seul et j’en avais
gros sur la patate. Tout ça parce que L… s’obstinait à faire passer les
véhicules sur ce qui restait de correct dans le camp. Comme il dit l’herbe
repoussera... Je suis idiot de m’en faire mais ce n’est pas tellement les
soucis que me donne la conduite du camp qui me pèsent que l’isolement dans
lequel je me trouve. Cet isolement est dû en grande partie au fait que je suis
Chef d’établissement car il est impossible de commander sans immédiatement
créer un fossé entre le subordonné et soi. Ceci vient du fait que l’on ne peut
maintenir un certain rendement, un ordre déterminé qu’en fonction d’une
discipline imposée, gentiment imposée mais imposée tout de même. A partir du
moment où l’on est amené à jouer les croque-mitaines on se trouve rejeté sur un
autre plan. Je me rends compte par exemple que L… s’est mis dans une position
telle que lui-même me craint et cela nous éloigne l’un de l’autre. Il ne peut y
avoir de véritable lien humain et l’une des raisons majeures est l’isolement.
Je
viens d’écouter les informations. Il serait temps que le dernier ravitaillement
quitte la France car l’affaire de Suez ne semble pas du tout s’améliorer.
Je
suis fatigué, tendu ce soir ou plutôt je sens mon corps tendu. Je retrouve cette
espèce d’excitation épuisante que j’ai connu en Janvier ou Février dernier.
J’ai réalisé, en me mettant à table que j’avais l’esprit d’un chronique qui ne
voit pas la fin de sa maladie. On a pleinement conscience de l’état dans lequel
on se trouve et l’on réalise pleinement que ce n’est pas un état naturel.
12
Septembre.
Il y
a dix mois nous débarquions sur cette île, dans 60 jours le bateau aurait du
être là. Il ne sera pas au rendez-vous et, sans doute, il s’en faudra de
beaucoup. Pourtant dans 48 jours le Galliéni devrait quitter le port de
Tamatave. Ces 48 jours vont me paraître encore terriblement longs. Les
difficultés s’amoncellent, U… m’apprend qu’il n’y a plus de sucre. Après le
problème du vin, du gas-oil, du chocolat, le problème du sucre. J’en ai assez,
je suis épuisé par cette sensation d’impuissance et d’isolement. D’impuissance,
pas sur le plan Nouvelle-Amsterdam mais sur le plan des relations avec Paris.
Je me débats dans le noir absolu, littéralement submergé et j’avoue humblement
mon impuissance. Je ne sais plus à quel saint me vouer.
J’ai
travaillé à la bibliothèque, puis fait le vitrier, puis haubané la ZL et enfin
fait un peu de thérapeutique, mais le cœur n’y est pas et je n’en puis plus.
Le
mauvais temps continue et les sapeurs ont travaillé à l’intérieur.
Ce
soir ma prière sera une soumission entière à l’épreuve que Dieu m’envoie. Oui
je souffre, oui les difficultés m’épuisent mais le bonheur qui m’est donné sur
cette terre vaut bien cette même souffrance qui n’est rien comparée au bonheur
qui m’est donné.
13
Septembre.
Je
n’ai pratiquement rien fait de la journée trop occupé par la décision à prendre
et les conséquences qu’elle pourrait avoir. Dieu m’est venu en aide et m’a
inspiré une note de service qui, j’ai l’impression a fait avaler la pilule sans
trop de difficultés et je dirais même avec un certain optimisme. Le moral du
personnel est remarquable et c’est tant mieux.
Le
Lieutenant a monté une sorte de petit garage pour que je puisse disposer, pour
la petite truie du garage du poulailler.
Rien
de neuf du côté de Paris si ce n’est que D… connait le nom de son remplaçant.
Il
nous reste une centaine de kilos de sucre pour arriver au 15 Novembre.
14
Septembre.
Une
journée absolument perdue puisque je n’ai pratiquement pas quitté le
poulailler. En effet hier soir il manquait deux poussins et j’ai passé ma
journée à l’affût espérant tuer un chat. En fait je n’ai strictement rien vu et
je suppose, tout bêtement que le jardinier n’a pas fermé les poulets hier soir
et qu’ils ont ainsi passé la nuit dehors.
J’ai
quand même trouvé une heure pour finir de recopier les messages adressés à R…
et ayant une certaine importance. J’ai quelques messages reçus à recopier et ce
sera tout.
Toujours
sans nouvelles des TAAF. Nous savons par les Télav que les familles ont été
prévenues que le courrier devait être posté avant le 20 Octobre.
-Les
sapeurs ont bétonné 25 mètres de route. Le bloc hygiène est décoffré.
15
Septembre.
Je
n’ai pas pris une minute de repos aujourd’hui. J’ai tondu la brebis et je l’ai
amputée de la queue. Cet après-midi j’ai aidé C… et F… à monter le mat de la ZL
Spéciale. Nous avons juste terminé pour la phonie avec Ker. Le Père nous a
parlé du premier commandement et du second qui lui est semblable : « tu
aimeras ton prochain... » C’est d’actualité. D… est toujours aussi truand:
« Alors on passe les machins ».
Je
reprends ce journal à 21 h 45 pour quelques considérations. Primo j’ai les
mains dans un état minable, noires, calleuses avec des plaies; pratiquement je
n’ai jamais les mains sans un bobo. Il faut absolument que je change un peu ma
façon d’agir et que je me remette sérieusement à un travail de bureau.
La
deuxième chose c’est l’état de L…. Il devient de plus en plus ours et malgré
moi je sens nettement que je le précipite dans son isolement. D’autre part j’ai
remarqué qu’il était cyclothymique et traverse des phases où il ne pense qu’à
son travail puis à ses auteurs Russes. Il est d’autre part affecté d’un
complexe de supériorité qui n’arrange pas les choses. Je suis sûr que la
conclusion, de son côté comme du mien, est: « il faut vraiment que je sois
dans une île comme la Nouvelle-Amsterdam pour supporter un type pareil ».
15
Septembre.
Dimanche
calme. Je me suis levé tard, 7 h 1/4. J’ai envoyé les couleurs puis j’ai lavé
mes lainages chaussettes pantalons, chemises de laine. Vers 11 h, j’ai été
jusqu’à Ribault. L’après-midi j’ai peint mes cantines et traîné un peu dans le
camp. Message de Papa m’annonçant que j’étais Tonton.
17
Septembre.
J’ai
passé la totalité de ma journée à la ZL qui est enfin montée. J’étais furieux
car vraiment je trouve que ce cadeau (NDLR cadeau des radio-amateurs) commence
à nous coûter cher en heures de travail et si FB8BC ne nous rendez pas par
ailleurs d’énormes services, il y a longtemps que j’aurai tout envoyé au
diable.
J’ai
d’ailleurs fort mal commencé ma journée en comptant le gas-oil qui file à une
allure vertigineuse puis en passant un poil à B…. Sur ce, tombe P… qui lui
aussi ramasse une engueulade sérieuse.
Journée
pénible, terrible tant au point de vue physique que moral. Comme dit L…:
« on vieillit terriblement ici ».Fort heureusement j’ai terminé ma
journée avec un Télav de ma petite Mie qui dit être en pleine forme, dont le
moral a l’air d'être excellent.
18
Septembre.
La
journée a été dominée par la question gas-oil. Les essais du Vandeuvre ont
donné 2 litres 4 en charge et 1 l 6 en demi-charge. Les premiers essais du
Duvant ont donné 5 l à l’heure en demi-charge. Nous ferons des essais ce soir
en charge.
Je
suis vraiment touché par cette question de gas-oil. Je ne suis pas directement
responsable puisque j’ai attiré l’attention de C… sur la situation un mois
après le débarquement mais je ne puis m’empêcher d’endosser la totalité de la
responsabilité de même que je ne puis me défendre d’un certain pincement quand
je vois le vin rationné, le sucre compté. Je n’y suis pour rien et pourtant
j’en souffre terriblement et je suis très touché par toutes ces histoires: le
fait que le bateau soit reculé aux calendes grecques n’arrange absolument rien.
19
Septembre 7 h 45 le matin.
Ça va
un peu mieux ce matin; Un programme journalier de consommation est établi et
nous devrions étaler jusqu’au 20 Novembre. Je veillerai d’ailleurs, maintenant
de beaucoup plus près puisqu’une fois de plus je ne peux me fier à personne.
D’autre part c’est le milieu de la semaine et c’est une semaine de moins pour
moi qui compte les semaines et les jours. Enfin il y a 11 mois, je quittais
Breil, cela me semble terriblement loin et le temps qui s’est écoulé est fort
heureusement passé. Ce sont des mois qui comptent. Ma petite Mie doit être dans
les cantines jusqu’au cou. Cela va la faire patienter un peu et le temps le
plus long pour elle sera de la mi-Octobre à début Décembre car ce sera vraiment
l’attente.
J’ai
commencé la journée sur un échec. J’ai essayé d’arracher une dent à U… et je
n’ai pas pu avoir les racines, cela m’ennuie pour lui et demain il me faudra
recommencer avec T….
Je me
suis changé vers 9 h et j’ai été me mettre à la disposition de L… pour
reprendre les bonnes habitudes du Mercredi. J’ai aidé C… à mettre la boîte de
transfert sur le 4X4 puis j’ai approvisionné le chantier en eau. Cet après-midi
nous avons été en nombre au Dumas et avons fait tomber la couronne de scories
qui menaçait les sapeurs venant à la carrière.
La ZL
qui nous a donné tant de mal est déjà HS; Pas de nouveau problème depuis hier.
Ça va mieux ce soir et la vie reprend à peu près normalement mais je redoute le
premier jour de froid car ça va gueuler un peu.
20 et
21 Septembre.
Ces
deux dernières journées ont été fertiles en événements. Le travail de base,
pour moi, la bibliothèque, pour L… le bloc sanitaire. Hier deux faits saillant
primo l’accrochage avec D… au sujet du chauffage. Je n’avais pas, jusqu’ici,
tranché la question. D… a pris l’initiative, dieu m’a inspiré et la solution a
été rapide et efficace.
À 7 h
1/2 hier soir la première truie commençait à mettre bas: 10 porcelets dont 7
ont pu être sauvés. Ça a l’air de bien marcher.
Aujourd’hui, par
la phonie du matin avec FB8BC nous avons appris qu’il était question d’un
détachement du Génie. Ce soir nous avons eu une phonie d’une demi-heure avec E…
et le Commandant V…. La question du détachement a été étudiée à fond. La phonie
était très sympathique, vraiment humaine. Je me réserve de revenir sur la
question au sujet de la réaction des météos.
Autre
nouvelle, un Télav de ma petite Mie, ennuyée, m’apprend que le remplaçant
s’appelle A…. Enfin si les histoires de Suez ne s’aggravent pas le Sapmer sera
là le 12 Novembre.
Dernier
fait, il mérite d’être signalé car il montre que les TAAF ne sont pas mortes,
j’ai reçu ce matin un chiffré me demandant le nom des promus à un ordre
colonial!!
23Septembre.
Je
reviens sur la question de la relève des sapeurs. Cela a provoqué au sein de la
météorologie une vive réaction. Pour les météos, les sapeurs sont les
individus qui sont responsables du manque d’apéritif, du manque de gas-oil.
Messieurs les météos, petits-bourgeois qui ne voient pas plus loin que le bout
de leur nez, sont incapables de considérer le travail qui se fait. Ils oublient
et l’image est une parabole que les coulées à m.... étaient bouchées, que les
fosses Perfecta n’avaient plus que quelques mois à fonctionner. Par bonheur il
y a un détachement du Génie et on construit un bloc d’hygiène. Le détachement
sauve l’établissement de sa merde, mais ça les météos se refusent à le voir.
D’autre part le détachement est l’élément dynamique, je l’ai déjà dit et je le
répète, il impose le rythme et la discipline, deux choses qui ne sont pas
faites pour plaire. Enfin tant que D… et D… seront là on n’aura pas liquidé le
passé. Nous sommes des intrus qui voulons tout changer et nous ne changerons
rien à leur façon de voir.
24
Septembre.
La
journée de Samedi a été vraiment quelconque. Le matin je n’ai pas fait grand
chose et l’après-midi j’ai passé, avec L…, le plus clair de mon temps à jouer
au bord de la mer avec les jeunes otaries.
La
journée de Dimanche a été par contre beaucoup plus marquante et m’a inspiré une
foule de réflexions.
Premier
Dimanche correct depuis longtemps aussi ça a été l’exode massif du personnel: 3
sapeurs ont fait le tour, cratère Chevalier, Dives, Monts du château, Fernand -
2 météos, 1 radio, le marin, 1 sapeur ont été par la Dives à la chaussée des
Kerguelen - Enfin le Lieutenant, 4 sapeurs et moi avons été à la plage du
Fernand. La marée d’équinoxe nous a permis de passer à pied sec les fameux
passages entre Good Year et le Fernand. Nous avons trouvé pas mal de manchots en
train de couver. Beaucoup avaient déjà deux oeufs quelques-uns un seulement.
Ceux qui n’en avaient qu’un étaient situés en haut de la rookerie, les premiers
arrivés ayant probablement occupé le bas.
C’est
après que commence l’aventure dont je ne suis vraiment pas fier. Le Lieutenant
voulait trouver un passage pour remonter vers le Fernand. Malgré ce que j’avais
dit et redit au sujet de la coulée du Fernand je me suis laissé tenter. Je
n’essaierai pas de trouver de raisons, elles sont multiples et aussi peu valables
les une que les autres. J’avais quand même l’espoir de pouvoir sortir de la
coulée avant d’arriver en haut. Il n’en fut rien et une fois engagés il nous a
bien fallu suivre notre chemin bon gré mal gré. Les derniers 200 mètres
d’ascension ont été extrêmement dangereux et L… qui était très confiant a même
failli dévisser. J’ai terminé le premier tant j’avais hâte d’en sortir, mais en
arrivant je me suis jeté à genoux et j’ai remercié Dieu en même temps que je le
suppliais de protéger mes compagnons pour qui le plus dur restait encore à
faire. J’ai eu conscience d’avoir transgressé la promesse que j’avais faite à
ma petite Mie de ne jamais risquer ma vie inutilement mais c’était trop tard et
j’en ai demandé pardon à elle et à Dieu. L’aventure s’est bien terminée, je ne
recommencerai plus quitte à passer pour un pleutre.
Arrivé
au Fernand je n’avais pas faim en dépit de l’heure avancée. Pourtant l’appétit
vint en mangeant d’autant que les sapeurs avaient emporté d’excellents beefs,
la poêle, etc.
Malgré
l’heure tardive nous avons poussé une pointe jusqu’aux Monts du Château. Le
spectacle en valait la peine; en effet tous les albatros étaient sur leur nid
au milieu de l’herbe très verte en cette saison.
Retour
au camp dans un temps record pour éviter de faire une partie du chemin de nuit.
Hier
soir je me suis mis en tenue civile N°1 fêtant à ma manière et secrètement le
dixième anniversaire de mariage.
Aujourd’hui
repos. Je me suis occupé de moi-même. J’ai refait ma cantine lainages, réparé
le compartiment de la malle cabine, mis de l’ordre dans ma chambre, mis mes
journaux à jour et échangé mon caban de marin (mission) contre un Duffel-coat
des missions antérieures. J’ai gagné grandement au change. C’est le côté rapine
qui réapparaît mais je n’ai vraiment pas conscience de voler les TAAF en la
matière (NDLR 47 ans après ce duffel-coat est toujours en service).
25
Septembre.
Je me
contente aujourd’hui de recopier le journal officiel:
Travail
de bibliothèque.
Le
menuisier mène de front la table à bridge, le divan et la discothèque.
C…
travaille à réparer les remorques de Jeep qui n’en pouvaient plus. D…, D… font
la lessive.
Passage
à 11 h du ‘Port of Sydney’. Échange de salutations, sirène, dynamite, sirène,
pavillon, sirène.
Je
suis avisé par Ker que nous ne recevrons pas de récepteur neuf pour la radio,
cela touche énormément F….
J’ajoute
que j’ai reçu pour ce jour anniversaire de mariage un bien doux message de ma
petite Mie.
26
Septembre.
Je
suis fatigué ce soir et le moral s’en ressent terriblement. Ma journée a été
chargée: messages officiels ce matin puis j’ai donné un coup de main aux radios
pour dresser leurs mâts d’antenne. J’ai fait le vétérinaire, 8 cochons de plus
car la deuxième truie a mis bas. J’ai cassé des cailloux car L… avait déversé
de gros blocs devant l’hôpital et cela faisait minable. Il me reste encore une
journée de travail pour arranger ce coin, mais j’y arriverai.
Legendre
fait la gueule une fois de plus; ça lui arrive de plus en plus souvent. Je
suppose qu’aujourd’hui il n’est pas content de ne pas m’avoir vu sur le
chantier. D’autre part il se crève sur son chantier et voudrait, sans doute,
que j’en fasse autant. Pas question, j’ai d’autres chats à fouetter.
J’ai
arrêté de casser les cailloux à 18 h et me suis mis à mes journaux. Le temps,
comme je l’ai télégraphié à Vonette me paraît interminable, les jours se
traînent et j’en ai assez.
À
noter que Paris ‘déconne ‘ de plus en plus. On m’a demandé ce matin la liste
nominative du personnel rapatrié. Il serait temps!
27
Septembre.
Reçu
un message de Paris annonçant que le bateau de relève ne touchera la
Nouvelle-Amsterdam que le 28 Novembre et demandant si j’aurai assez de
carburant. L’histoire a diversement éprouvé les gens, les plus touchés sont
ceux qui restent, comprenne qui pourra. L… a terriblement accusé le coup. Je
suis peut-être méchant, je le suis sûrement, mais je n’arrive pas à le plaindre
car il a délibérément quitté sa femme pour l’aventure et lui ne comprend pas
ceux qui ne sont pas ‘militaires’. Quelle vie de chien, il y a 3 ou 4 jours D…
faisait la tête, maintenant il est charmant et c’est le Lieutenant qui ne
desserre pas les dents à table.
J’ai
passé ma journée à mettre un peu d’ordre dans le camp, ce matin avec U… j’ai
brûlé des caisses, cet après-midi j’ai fini de casser les cailloux devant
l’hôpital.
Ce
soir je n’ai pas eu le courage de faire quoique ce soit. J’ai fui l’hôpital
tenant à laisser L… dans son jus. Me voila dans ma chambre à 21 h 30 écoutant à
Radio-Montécarlo ‘blue Tango’ et bien sûr j’ai un peu le cafard. Le jour ça va
encore, je m’occupe, je ne veux rien et je ne pense à rien mais le soir vient
avec ces heures pénibles, les heures où je pense un peu plus encore à ma petite
Mie, à mes pimprenelles.
28
Septembre, Tg 58.
Ce
matin j’ai été réveillé de très bonne heure par un soleil qui arrivait droit
dans mon lit. À 7 h 30 je soignais un sapeur et à 8 h je suis parti en mer avec
U…. Nous avons fait une bonne pèche et je n’ai pas été malade mais je ne suis
jamais parfaitement bien sûr un bateau et même après plusieurs heures je ne me
sentais pas encore parfaitement bien dans mon assiette.
Cet
après-midi j’ai fait le dentiste puis j’ai passé plus de deux heures à nettoyer
les instruments car j’avais pris un certain retard. Je n’ai « goût à rien
faire » dirait Mamine.
Le
Lieutenant a fait un tronçon de route ce matin puis, cet après-midi, il a
abandonné la route pour le bloc sanitaire. Je ne dis plus rien au sujet des
chantiers, je laisse aller au maximum.
C…
est sur les véhicules jusqu’au cou, ce matin il a révisé le pont avant du 4x4,
on s’est aperçu que le châssis du 4X4 était faussé.
D… et
D… repeignent leurs cantines au pistolet, on ne se refuse rien.
Télégramme
de Ker.. Amitiés de P… l’administrateur. Message du Gallieni: bonjour du
commandant, amitiés de l’équipage. Ces deux contacts non officiels me font bien
plaisir.
29
Septembre.
La
nouvelle de ce matin: “le bateau de relève touchera la Nouvelle Amsterdam avant
Ker”.Si elle m’ôte un gros souci, celui des approvisionnements, cette
information est pour moi l’objet de nouvelles préoccupations (NDLR jamais
content). En effet 15 à 20 jours de mer ne sont pas faits pour me plaire bien
au contraire et je ne tiens pas à arriver à Tananarive complètement HS. J’ai
prévenu ma petite Mie en lui demandant de prévoir son arrivée à Tana le 7
Décembre si possible. Je voudrais tant arriver 48 heures avant elle pour lui
préparer un bon petit nid douillet car nous passerons très certainement 4 ou 5
jours à Tana.
J’ai
mis mon linge à tremper. L’après-midi nous avons démonté l’antenne ZL. Le soir
j’ai lu un peu ‘ les contes des collines’ de Kipling.
30
Septembre.
Lever
à 5 h 30, à 6 h je mettais la machine à laver en route, approvisionnais en eau.
À 10 h ce matin toute ma lessive était terminée. J’ai ensuite amené de l’eau
pour L…, je me suis rasé, fait joli! Midi excellent repas, bonne ambiance.
Cet
après-midi je n’ai pas fait grand chose, j’ai soigné un malade, mis au propre 2
pages de mon rapport de fin d’année, j’ai été au cratère aux arbres, j’ai
cherché vainement une vache subclaquante et me voila écrivant. Je ne suis pas
en forme. J’en ai assez, le mois de Décembre est encore loin pourtant nous
attaquons demain le mois d’octobre.
1er
Octobre.
J’entame
le dernier mois de séjour avec une certaine ardeur. Le soleil se levant tôt, je
suis réveillé vers 5 h 30. Je me suis levé ce matin et après avoir fait un
petit tour, truie, météo je me suis mis immédiatement au travail à la
bibliothèque. Un sapeur que j’ai arrêté pour 24 ou 48 heures est venu me donner
un coup de main et j’ai pu déblayer, ainsi, un nombre considérable de bouquins;
En principe, demain soir, je devrais terminer ce qui reste dans les
caisses. Il me resterait alors les bouquins disséminés dans les chambres.
Je
n’ai pris dans ma journée qu’une heure de repos ou plutôt de semi-repos, c’est
de 5 à 6 h pour surveiller la truie qui fort probablement va mettre bas ce
soir. J’ai repassé avant la soupe deux vestes de treillis et j’en ai
franchement assez. Pourtant je voudrais surveiller la truie.
Nous
avons eu à 18 h 30 une liaison radio avec le Gallieni fort sympathique. Je
pense que tout marchera très bien pour le prochain débarquement et la
traversée.
J’ai
passé commande de 1 bouteille de Pastis, 1 Martini; 4 Sylvaner, 6 Bougognes et
1 cognac car je compte recevoir dignement mes invités.
2
Octobre.
Ça
tourne ferme. Je n’ai pas, bien sûr, le même tonus qu’hier mais la journée a
été quand même bien remplie.
Lever
6 h 30 : Prospection vers le piton herbeux pour essayer de retrouver une
vache. Résultat nul.
Travail
à la bibliothèque toute la journée. J’ai acquis suffisamment d’avance pour
pouvoir donner un coup de main à L… demain après avoir réglé quelques papiers.
- Le
Génie a coulé aujourd’hui la chape intérieure du bloc sanitaire et fait un
nouveau tronçon de route bétonnée. Il reste en gros cinq jours de travail sur
la route.
- C…
termine la troisième remorque de Jeep.
- B… attaque l’ameublement des chambres.
- Les
radios travaillent dur sur leurs installations intérieures.
- U…,
à la tête des malgaches, a entrepris le ménage du camp.
3
Octobre.
Je
suis fatigué ce soir. J’ai commencé ce matin par une stérilisation et un peu de
nettoyage au labo puis j’ai classé une série de bouquins. Après ça, je suis
monté au Dumas faire tomber des scories avec les sapeurs. Cet après-midi j’ai
ramené de la terre pour faire une bordure à la route bétonnée. Enfin ce soir
j’ai repassé les 3/4 de mon linge.
Activités
du camp: les météos travaillent au Rawin. Les radios continuent de travailler
comme des brutes. C’est très bien, mais il est regrettable qu’ils aient attendu
que je le leur dise pour terminer les installations.
- Le
lieutenant a fait de menus travaux aujourd’hui; d’après lui la route serait
terminée mardi. Je ne vois pas du tout le bloc sanitaire terminé, mais L… a
l’air d’avoir confiance.
- B…
travaille à un divan pour la chambre du Lieutenant.
-C ;;;
a remonté le Bernard de la bétonnière.
4
Octobre.
La
journée aurait été terriblement pareille à la veille s’il n’y avait eu
l’incident “promeneurs”. Hier matin D… me demandait s’il pouvait aller à la
Dives et à 9 H 1/2 D…, D…, C… et B… partaient. À 20 H 30 hier soir personne
n’était rentré et le mauvais temps s’amenait grand train.
Une
expédition a été rapidement montée et à 20 h 45 sept sapeurs le Lieutenant et
moi prenions la route du Faux Sommet.. F… a eu l’excellente idée de nous faire
prendre le poste à piles de D… réglé sur la fréquence amateur. Les sapeurs
étaient en pleine forme; il fallait ça car avec la nuit et le brouillard,
l’expédition s’annonçait difficile. À 21 h 30 nous avions fait un bon bout de
chemin, mais la radio nous signale, alors, deux lumières en vue du coté de La
Recherche. Deux choses étaient plaisantes à voir, la caravane de 8 hommes,
chacun armé d’une lampe torche légèrement voilée par la brume montant dans la
rocaille, la seconde était le spectacle de tous ces jeunes rassemblés
autour du poste radio et d’entendre, en pleine nature, au plus profond d’une
nuit d’encre le: “allô DOC, allô Doc ici Guy qui vous appelle...”
À 10
h 15 les promeneurs attardés arrivaient au camp et nous faisions demi-tour.
Cette
soirée restera pour moi un excellent souvenir. Un incident au retour, le sapeur
H… a aperçu trop tard un trou, il n’a pas pu l’éviter et est tombé dans une
coulée chute de trois mètres environ sur le coccyx. J’ai été passablement
inquiet jusqu’au résultat de la radio.
La
soirée s’est terminée par un QSO avec Vic et un Parisien. Pour mon malheur,
j’avais avalé une tasse de café et je n’ai pas pu dormir avant minuit 1/2;
En
marge du journal: Question L… à traiter sur le bateau.
5
Octobre. Constatations contradictoires: Les jours ne passent pas et d’autre
part on a la nette impression que l’on n’arrivera pas à liquider avant le
bateau tout le travail qui reste à faire. L… s’affaire sur la piste bétonnée et
le bloc sanitaire. Les radios n’en finissent pas et débordent un peu top sur le
travail de la mécanique. U… poursuit, avec les malgaches le nettoyage du camp.
J’ai terminé le recensement des bouquins.
Ce
matin j’ai dit à D… que je n’avais pas beaucoup apprécié la façon dont nous
avions été reçus hier soir. Il est devenu tout miel et du coup a offert des
cigares au repas de midi. Contre-coup? C… a accepté la responsabilité de la
bibliothèque.
L…
malgré les efforts que je fais pour renouer reste distant; des exemples: il ne
vient plus me demander des cigarettes ni prendre un pot ni écouter de la
musique. Si j’étais mauvais (mais au fond je ne le pense pas du tout) je lui
dirais « c’est parce que je n’ai plus rien à vous offrir que je ne vous
vois plus ». En fait c’est bien plus grave et beaucoup plus profond. Je me
demande, en tout cas, s’il est conscient de son changement.
J’ai
noté en marge « question L… à traiter sur le bateau » car si je ne me
trompe, je le crois inquiet et tendu et l’amener, maintenant, à en prendre plus
ou moins brutalement conscience n’arrangerait strictement rien.
D’ailleurs,
moi-même j’ai conscience de changer à l’approche de la passation de service, je
deviens dur avec les autres comme je le suis devenu pour moi-même. Je crois que
c’est un phénomène général et que tout le monde est cette fois un peu tendu par
l’arrivée prochaine du bateau.
En
tout cas je n’ai plus conscience de vivre, je suis arrivé au stade
d’abrutissement intégral où mon corps vit mais mon être est en attente. Je ne
peux pas mieux comparer mon état d’âme qu’à un arbre au sortir de l’hiver,
alors que rien encore ne manifeste la montée de sève et ou tout l’arbre semble
mort.
6
Octobre.
Journée
où je me suis trouvé un peu trop indispensable à mon goût. Nous avons attaqué
très tôt avec B… le jardin contre la scorie. À 9 H 30 le Lieutenant me demande
si je peux lui donner un coup de main; je me suis donc transformé en manœuvre
et nous avons terminé de couler la route bétonnée de la cale, 250 mètres de
route en béton, cela va terriblement améliorer le débarquement du matériel.
L’après-midi,
j’ai été réquisitionné par C… pour biguer le 4X4. Ma journée de Dimanche est
déjà compromise car normalement j’aurais dû préparer des produits photo.
7
Octobre.
Long
chiffré de R… à 8 H le matin. Je me suis fait passer un poil au sujet du
vétérinaire mais en douce je l’avais un peu cherché. D’autre part je ne tiens
pas du tout à entamer une polémique interminable pour essayer de me justifier.
Paris en a profité pour me demander une foule de compte-rendus. J’ai répondu
dans la journée même pour leur prouver que lorsqu’on s’intéressait à la
question, j’étais tout prêt à répondre.
Le
Dimanche a été, bien sûr, totalement gâché. Toute la journée j’ai été sous
pression. Fort heureusement j’ai eu trois Télav qui ont éclairé un peu ma
journée.
J’ai
eu également un accrochage avec L… au sujet d’un message me demandant de muter
un sapeur pour Kerguélen. L… s’est plaint de ne pas être consulté. J’ai bondi
en lui disant qu’il me faisait regretter d’avoir mis les deux sapeurs de
l’établissement à sa disposition. À 11 h, j’ai été le retrouver à la
bibliothèque pour lui demander si son changement d’attitude avait une raison...
Il a prétendu qu’après un séjour de six mois sur l’île il y avait
obligatoirement un changement, que c’était inhérent à la vie même que nous
menions. Il me prend vraiment pour plus bête que je ne suis et a cru que ce
lieu commun me suffirait. En fait le problème est plus profond et je crois qu’à
la dernière minute L… s’entendra dire ses quatre vérités tout comme un G… a
écouté les siennes. Ces vérités seront dites d’ailleurs sans esprit de critique
et avec le secret espoir d’éveiller un écho intérieur. Au fond, je me leurre
peut-être moi-même, il y a des moments où je ne comprends plus.
8
Octobre.
Les
jours passent, dans 18 jours nous recontacterons le Gallieni et il me reste 4
messages à envoyer de la Nouvelle-Amsterdam. Déjà je pense à la chambre d’hôtel
à Tana, à la passation de service, à la visite de R…. Mais j’ai hâte d’en finir
car malgré la foule d’améliorations apportées, j’ai l’impression que je n’en
sortirai jamais.
9
Octobre.
J’ai
lu hier soir jusqu’à 1 h du matin. Je n’avais pas sommeil et je n’avais pas du
tout envie de travailler car les TAAF commencent à me sortir des yeux. Ce matin
j’ai traînassé au lit jusqu’à 7 h 1/4, j’ai tapé la fin de l’inventaire de
l’hôpital. Si je mettais un peu de cœur à l’ouvrage, je pourrais terminer les
inventaires pour la fin de la semaine, cela me donnerait ensuite de la marge.
Cet
après-midi, avec M… et B…, nous avons lessivé la bibliothèque, un gros travail
car il y avait sur le parquet une couche confortable de peinture. J’oubliais,
ce matin le four est tombé en panne et j’ai passé plus d’une heure à me démener
car U… avait sa pâte qui levait.
10
Octobre.
Journée
bien remplie, j’ai actuellement un tiers des inventaires tapés et j’ai mis sur
papier un certain nombre de notes pour la passation de service. J’ai également
encaustiqué une grande partie de la salle de bibliothèque.
- C…
s’affole car le travail à faire au bloc sanitaire est considérable et il
voudrait bien, lui aussi, mettre son service en ordre.
Pour
moi je fais des efforts pénibles pour ne pas bondir à chaque instant, par exemple
L… déplace les tubes en grés et les colle contre le mur du garage, il
débarrasse son chantier, mais couvre celui du prédécesseur. U… fait une sortie
à table, je laisse courir. Il n’y a que B… qui n’a pas eu de chance et qui ce
soir s’est fait incendier... Une fois de plus.
Je
suis absolument mort, j’en ai assez. Je ne réagis plus et pour ne pas heurter
L…, par exemple, j’abandonne mon projet de repeindre les baraques Fillod. J’en
arrive à renier mon propre travail ou plutôt le travail que j’ai inspiré.
11
Octobre.
Deuxième
décade d’Octobre, les jours passent quand même un à un. J’attends avec un peu
d’impatience la fin de la semaine car je voudrais savoir si mon retard à
l’arrivée à Madagascar n’affecte pas trop ma petite Mie. Dire que deux mois encore
ou presque nous séparent, jamais je n’aurais trouvé le temps aussi long.
L’atmosphère
du camp devient difficile, chacun a pris son travail trop à cœur. Les réparties
sont vives, les accrochages nombreux mais fort heureusement sans gravité.
Ma
journée: Inventaire ‘Mécanique’, encaustique à la bibliothèque, dépannage du
four à pain avec C…- C… fait la plomberie du bloc sanitaire, les sapeurs en
sont aux finitions.
- Le
menuisier travaille au divan pour la chambre d’hospitalisation.
- Les
météos ont repeint l’abri Plantier et terminent la peinture des petits abris.
Je
suis terriblement las et je me traîne sans enthousiasme; je n’ai plus la foi.
13
Octobre.
Hier
j’ai fait de la mécanique toute la journée et ce matin j’ai travaillé comme
promis au jardin. Ce n’est pas sérieux car j’ai un travail monstre. Paris m’a
envoyé un message pour me demander une foule de choses entre autres les
commandes pour 1957. Ça m’embête bien car il est impossible de prévoir alors
que nous n’avons pas encore reçu la commande d’Octobre.
Je
suis de plus en plus fatigué par le séjour mais fort heureusement c’est la fin,
il est temps.
-
Activités du camp: Sapeurs au bloc sanitaire, nettoyage du chantier et
approvisionnement; U… et les Malgaches ont fini de nettoyer une baraque fillod;
C… a été obligé de démonter une dynamo; Les météos peignent l’abri de
lancement.
Reçu
un message de ma Mie, elle répond à mon message au sujet de son arrivée à
Tananarive, mais a oublié la lettre du 13 Février et ne répond pas au:
« embrasse trois filles ».
14
Octobre.
Journée
chargée mais faste pour moi. Le matin de très bonne heure j'ai été récupérer
une vache subclaquante du côté du Piton Herbeux. J’ai eu du mal avec la Jeep et
la remorque et ne suis rentré au camp qu’après 9 h. La vache présentait des
lésions digestives typiques et j’ai mis le tout au formol.
En
allant laver la remorque j’ai trouvé, à la cale un oiseau inconnu. J’ai pu
remonter au camp pour prendre le fusil pour le tuer. Il s’agit, très
vraisemblablement d’un râle et en tout cas c’est l’oiseau qui correspond au
squelette retrouvé avec P… dans une coulée. Cela m’a fait plaisir.
15
Octobre.
Je me
suis débarrassé d’une corvée à savoir: note de service, notes du personnel
rentrant, ordres de mission, taux de primes pour le personnel malgache. J’ai
commencé à mettre sur papier la liste du matériel à commander pour le service
de santé.
C… a
réussi à rectifier le collecteur de la dynamo et ce soir le courant était de
220 volts sur toutes les phases.
L… a
un pot fantastique. Un bon coup de vent de Sud lui a permis de travailler à la
cale dans des conditions idéales. Cet après-midi il a fait une bonne partie de
la bordure de la route bétonnée. Il reste encore deux jours de travail à la
cale et autant sur la route. Je ne sais pas si avant la fin de la semaine il
pourra faire l’aire de ramassage.
Grande
lessive à la radio aujourd'hui, l’installation est enfin terminée dans ce
secteur... Jusqu’à la prochaine fois.
Je ne
pense à rien, je travaille, je suis la marche des travaux complètement abruti ne
sachant plus très bien où donner de la tête
16
Octobre.
Je ne
suis pas enchanté de ma journée car j’ai traînassé pas mal. J’ai pris en compte
le ‘couchage’, fait les fiches pour le matériel couchage et cuisine. J’ai
soigné les dents de B… et U… et c’est tout... (coupé les cheveux de L…). C’est
vraiment peu, il faut absolument que demain j’en mette un sérieux coup pour
taper les inventaires du magasin, du couchage et de la cuisine. J’en resterai
là pour les inventaires à moins que je n’arrive à taper aussi l’inventaire de
la bibliothèque. Ce n’est pas simple car il me faut encore contrôler le
couchage de l’hôpital, de la Marine et vérifier les sorties du magasin:
chaises, gants, treillis. Il faut absolument que je m’en tire dans la journée
en ayant aussi le dentiste à faire.
18
Octobre.
Hier
et aujourd’hui j’ai dégagé pas mal le terrain. Outre le travail de dentiste
avec la corvée habituelle du nettoyage-stérilisation, j’ai terminé les fiches
inventaires. J’ai tapé les inventaires magasin, chambres, cuisine, habillement.
J’ai jeté les bases de mon rapport médical, fait les comptes de consultants. Je
pourrai éventuellement terminer ce rapport sur le bateau si c’est nécessaire.
Une
chose a marqué la journée d’aujourd’hui. L… est venu me trouver, effondré:
« voilà Docteur le décompte des hommes/jour, je n’y arrive pas » Cela
m’a permis de lui dire que c’est moi qui avais librement fixé les programmes et
que les officiers du Génie m’en avaient rendu esclave au point de nous rendre
la vie impossible. Nous avons décidé d’abandonner l’aire de ramassage. C’était
écrit, je savais au départ que Legendre ne lèverait pas le petit doigt pour
terminer le travail d’E….
Un
travail fait également : mis de l’ordre dans ma serviette.
Nous
avons contacté hier soir F3EA des Alpes-Maritimes qui m’a promis d’écrire à
Breil puis F8LX qui nous a fixé rendez-vous Mardi pour une liaison avec le
Médecin-Capitaine A… mon successeur. Lundi matin, nous devons contacter par
FB8BC le Sous-lieutenant remplaçant L…. Les amateurs rendent vraiment de très
grands services.
19
Octobre.
Je ne
peux pas dire que j’ai travaillé dans la joie et l’enchantement. Cette question
de commandes ne m’emballe pas du tout. J’ai pourtant liquidé la moitié de mes
commandes et espère taper Lundi et Mardi les commandes Mécanique, Menuiserie et
Marine. En gros Mardi soir, je devrais être libéré de toutes les questions
papier ayant décidé de ne pas taper l’inventaire de la bibliothèque. Il me
restera alors la mise en ordre de tout l’hôpital, ma lessive et les travaux généraux
du camp.
Le
moral comme je le disais au début n’y est pas. Je suis écœuré par les Terres
Australes et je sens confusément que l’on n’a pas fini d’en entendre parler.
Immanquablement je vais servir de bouc émissaire pour un certain nombre d’histoires.
20
Octobre Ce matin jardinage. La
matinée a passé rapidement. À 11 h toilette, douche et tenue N°1;
À
midi 1/2: un blessé, Victor. Suture aux crins, tout était prêt: compresse,
aiguilles de Reverdin, ETC... et cela a tourné rondement... Après-midi
nettoyage en salle d’opération, produits photo. J’ai été mesurer l’eau dans le
bassin, il reste 51 M3 d’eau potable, 25 jours en faisant attention.
L… a
coulé à la cale ce matin. Une houle de Nord-Ouest imprévisible à tout enlevé à
midi. F… est lancé dans le ‘Contest’ sorte de concours de liaisons
radio-amateurs.
21
Octobre.
J’ai
passé toute ma journée au labo photo où je me suis dégoûté à tout jamais des
tirages en grande série. J’ai eu des ennuis sans pouvoir dire d’où ils
venaient, photos tachées et j’ai terminé très tard et très fatigué.
Du
point de vue établissement quelques promeneurs à La Recherche, quelques
pécheurs. Journée calme dans l’ensemble.
22
Octobre.
La
journée a bien commencé; levé 5 H 1/2, j’ai brûlé tout un tas de planches qui
traînaient au jardin de la scorie.
À 8 h
15 phonie avec le successeur de L…. Le Lieutenant n’a pas lâché le micro
pendant 20 minutes. C’est tordant d’ailleurs car Legendre s’épuisait en
conseils pour son successeur comme s’il détenait à coup sûr le secret de bien
faire les choses.
Après
la phonie L… a fait une ou deux sorties sur E…. Une fois de plus je constate que
Legendre n’aime pas E…. Qui aimait-il d’ailleurs?
Un
sapeur pond une sentinelle à 1 mètre de la porte de la Marine. C’est encore,
pour moi, un sujet d’étonnement. Ce sont de choses qui me dépassent. Cela a
entraîné d’ailleurs un certain nombre de réflexions sur la discipline. De tout
le séjour L… n’a pas assisté à un salut aux couleurs. Il n’a jamais exigé de
ses types une discipline quelconque. Les sapeurs sont sacrés et toutes les fois
où j’ai voulu visser j’ai trouvé un Lieutenant offensé. Le résultat est là ‘ils
nous chient des crottes’.
Matinée
passée à taper des inventaires et des commandes. L’après-midi j’ai peint au
pistolet la Centrale car C… est totalement inconscient, il accumule les
travaux, se disperse et ne pense absolument pas à la présentation de son
service.
J’ai
terminé hier soir en glaçant des photos.
23
Octobre.
Matin:
commandes, inventaires (suite). Après-midi: salle d’opération où j’ai passé la
majeure partie de mon temps sur la fontaine chirurgicale.
L… a
bien voulu faire avec moi le tour du propriétaire. On voit maintenant la fin du
travail approcher. Les pistes sont retapées, les abords sont nettoyés et la
promenade Dumas, cale, mare aux éléphants de mer est très agréable à faire. Les
Boys ont travaillé au tas de fûts. C… est sur une Jeep. B… pique la rouille et
D… monte l’antenne 500.
Ce
soir magnifique liaison avec F8LX. (NDLR cette liaison, en phonie,entre Paris
et La Nouvelle Amsterdam, exceptionnelle et qui servira, plus tard de
référence’ avait été favorisée par
les radio amateurs du monde entier qui avaient dégagé la ‘fréquence’ pour
favoriser une liaison sans interférence). L’OM Daniel A… était à l’autre bout.
Il a deux colis pour moi, je suppose que ce sont les chaussures et les films.
J’ai
pu attirer son attention sur les relations avec les TAAF et notamment sur trois
points:
- En
l’absence d’adresse télégraphique du détachement précurseur à Madagascar nous
sommes dans le black-out le plus absolu.
-
Attendre de voir pour prendre des engagements.
-
TAAF vues de Paris et Nouvelle-Amsterdam au bout d’un an ce n’est pas pareil.
La
leçon semble avoir porté ses fruits: « renseignements très intéressants
dont il va tirer le plus grand profit ».
À
demain la liaison avec le Gallieni. La radio est quand même une bien bonne
chose.
24
Octobre.
Je ne
sais plus comment je vis et ce matin j’ai failli oublier que nous étions
Mercredi. Je ne savais plus très bien si nous étions mardi ou mercredi. Je sens
d’ailleurs que je suis très fatigué, nerveux et je ferais bien de m’assurer une
bonne nuit de sommeil.
Je me
suis levé ce matin à 5 h 30. J’ai brûlé, après les avoirs triés un vieux tas de
caisses, c’est le dernier tas. Puis j’ai eu droit à ma petite séance de
machine. Je n’ai plus à taper que la commande Santé et Mécanique. J’ai
également préparé la passation du chiffre et rédigé la passation de service.
Cet
après-midi, corvée de W.C, ensuite j’ai fait joujou avec un chalumeau
découpeur. J’ai débité les emballages de la Fillod ce qui a déblayé un bon bout
de terrain.
Nous
avons eu le Gallieni en Phonie, de cette phonie, il ressort deux choses: Le
bateau quitte Tamatave le 31 encore 1 jour de retard. Le bateau ne va pas aux
Crozets, mais a plus de mille tonnes à débarquer à KER. C’est donc à Ker que
nous passerons le plus clair de notre temps. Ce séjour à Ker ne m’enchante pas,
mais je le préfère à une longue traversée. Je vais me transformer en touriste
et faire quelques photos.
C’est
le 29 Octobre que je mets ce cahier à jour. Il y a vraiment quelque chose de
changé; Il faut dire que mes journées sont très chargées et qu’il me reste très
peu de temps pour mettre mes journaux à jour.
Le 25
le détachement travaille au grand jardin puis béton à la cale.
J’ai
liquidé un certain nombre de papiers entre autres, les certificats de
résidence, (NDLR outre les fonctions d’administrateur, j’étais officier d’état
civil, par chance pas de décès à enregistrer ni de naissance..., j’étais
également juge de paix à compétence restreinte), autre papier la passation de
service. J’ai réussi à évacuer les déchets de la baraque Fillod.
26
Octobre Je suis incapable de
préciser ce que j’ai fait; J’ai tapé la commande Santé et préparé la commande
de matériel de bureau. J’ai préparé et oblitéré mes collections de timbres.
À 11
h le temps étant favorable j’ai mis sur pied la randonnée d’Entrecasteaux. À 15
h, nous partons à sept: L…, D…, P…, M…, N…, E… et moi. Nous campons au Faux
Sommet. D…, chargé du ravitaillement a évidemment bien fait les choses et nous
dînons : nouilles à l’italienne, beef saignant, dessert. Une caverne de
plus de 50 mètres nous abrite pour la nuit.
27
Octobre.
Nous
quittons le bivouac après une nuit un peu froide à 5 h du matin. À 8 h, nous
arrivons sans histoire en bas des Monts du Château. Au passage à la Dive on
voyait St Paul. Sur le chemin de la descente nous trouvons un albatros
fuligineux en train de couver. En remontant je récupérerai l’œuf pour P…. J’ai
passé cinq heures à filmer et photographier manchots et albatros
À
propos des gorfous, j’ai noté que les deux œufs trouvés au Fernand donnent deux
poussins mais l’un des poussins est littéralement gavé alors que l’autre reçoit
une ration de survie et meurt tout doucement de faim. À un certain stade, il ne
reste plus qu’un poussin par nid. En cas de mort du dauphin le second est gavé
à son tour et assure la propagation de l’espèce. Le poussin est une boule de
graisse mollasse aplatie sur le nid. La croissance est très rapide car en
quelques mois les jeunes prendront la mer.
Les
albatros sont en période de ponte: un œuf par nid.
C’est
le 27 qu’un amateur Suisse a essayé d’avoir Tournier au Micro pour la
Nouvelle-Amsterdam. J’ai regretté et regrette encore l’initiative de cet
Hurluberlu.
Des
parades ont lieu au moment de la ponte. La femelle sur son nid, phénomène
comparable chez les gorfous, se livre, de temps en temps, à une séance de
‘louanges’ sur sa progéniture. A ce moment-là, comme au temps des parades
nuptiales il apparaît sous les yeux, dans le prolongement du bec une longue
bande jaune.
La
remontée a été comme d’habitude plutôt pénible. La caméra Paillard que j’avais
promise à P… d’emporter présentait à elle seule un bon petit poids. J’ai usé de
‘coramine glucose’ et je dois reconnaître que c’est efficace. Nous sommes arrivés suffisamment tôt au
Faux Sommet pour redescendre sur le camp. Les derniers moments ont été
pénibles.
Au
camp une nouvelle m’attendait, on demandait de Paris si D… était volontaire
pour prolonger son remplaçant étant inapte. Vraiment ils ne doutent de rien à
Paris.
À 19
h, 15 incendie dans la chambre à B…. Le boy ayant posé, le matin, des vêtements
sur le radiateur, à la mise en route du chauffage les vêtements ont pris feu.
Heureusement D… étant dans la chambre voisine a senti le brûlé.
Dimanche
28 Octobre.
J’ai
passé ma journée à faire des bricoles. J’ai travaillé pour les autres. J’ai développé un film Ferrania 24X36,
j’ai emballé les oeufs à P… J’ai emballé les plantes demandées par le Père de
Kerguelen; J’ai rangé les sacs de couchage, nettoyé et graissé les chaussures,
échangé et raccourci un pantalon, mis les journaux à jour. Je me serais couché
un peu plus tôt si je n’avais pas entendu F8LX parler à F…. J’ai aussitôt bondi
à la station. Nous avons rendez-vous demain soir avec A… par FB8BC et F8LX.
Cela promet d’être extrêmement sympathique
Reçu
de l’IRSM un message qui est encore une corvée supplémentaire et qui me passe
une sacrée pommade: « profondément reconnaissant pour votre
coopération ». J’irai donc faire ce qu’ils me demandent.
J’oubliais
de noter que nous avons eu le Gallieni. Le Commandant a été assez chic pour me
faire savoir que mon matériel avait été mis de côté pour être débarqué en
priorité : gas-oil, essence, vin.
29
Octobre.
Je
mets ce cahier à jour le Mardi 30 mais je suis tendu, les nerfs absolument à
fleur de peau. Je n’en sors plus. Ce soir je croyais voir mon travail
sensiblement avancé, catastrophe le tour Quetin tombe en panne et cela me fait
rager car tout était splendidement en ordre. Je ne suis vraiment pas résigné en
ce moment.
Je
comptais sur les boys pour m’aider à astiquer l’hôpital, pas de chance les boys
sont occupés à la lessive.
Hier
j’ai révisé la totalité du matériel chirurgical et astiqué la salle
d’opération. Aujourd’hui radio et cabinet de dentisterie.
Le
Lieutenant a terminé hier le grand jardin (travail bâclé) et aujourd’hui a clôturé
les travaux du bloc. Il a fait un petit jus aux sapeurs mais s’est bien gardé
de m’inviter.
J’ai
tort de critiquer. Je dois noter que je me suis laissé aller à critiquer L…
devant P…; celui-ci a marqué le coup et m’a fait remarquer que j’avais tort de
critiquer L…. Oui j’ai tort et je le reconnais mais je ne peux pas lui
pardonner l’histoire de l’aire de ramassage. J’en ai assez, véritablement
assez.
C… a
monté le derrick à la cale et U… prépare un vivier.
Hier
soir j’ai eu A… en phonie grâce à FB8BC. Ça passait très bien et nous avons pu
discuter de pas mal de choses. A… qui est un 47 (année de promotion) a l’air de
comprendre rapidement les choses.
Je
m’en vais au lit après avoir rédigé un message à ma Mie, cela vaut bien mieux.
31
Octobre.
Levé
tôt par un soleil radieux. J’ai fait de la photo, mer bleue, calme, visibilité
parfaite. Les albatros faisaient du tourisme autour de l’île.
J’ai
repris ensuite le dépannage du tour Quétin. J’en ai bavé mais à 10 h ce matin
le tout était dépanné. J’ai ensuite fait du rangement dans ma chambre, du grand
rangement. Le problème du linge sale me préoccupe beaucoup car je ne sais pas
du tout où prendre l’eau. Sans doute le laverai-je à Ker. J’ai terminé la
journée en astiquant le labo.
Je
suis terriblement las ce soir. Les questions annexes viennent empoisonner mes
derniers jours ici. Problème de l’eau, problème de C… dont le service donne une
impression extérieure de foutoir, problème de L… qui est plus grave car il
engage pour une part l’avenir. L… a donné congé, aujourd’hui, aux deux sapeurs
de l’établissement. J’ai très peu apprécié le procédé. D’autre part il va faire
afficher, sans m’en avoir parlé un petit cadre contenant le panégyrique du
détachement! Attendons de voir.
Tout
cela me fatigue et je trouve que ma petite Mie est loin, encore trop loin. J’ai
besoin d’oublier, de ne plus penser. Ma petite Mie si tu savais comme j’ai
besoin de toi. Je ne ferais pas de vieux os tu sais sans ta douce présence.
1er
et 2 Novembre.
Hier
j’ai fait du papier, cherché une otarie et passé 15 visites de rapatriement,
mis les dossiers à jour.
Aujourd’hui
j’ai commencé la journée à 5 h 1/2 en m’occupant du problème de l’eau... Il a
plu et à 9 h ce matin, le problème de l’eau était résolu. Je dois rendre grâce
au Ciel une fois de plus. J’ai tapé la commande bureau, fait les bordereaux
d’envoi. À 14 h, nous avons été avec le Lieutenant à Ribault fleurir la stèle
du marin mort en Janvier 1950. J’ai compté, là, 7 poussins de gorfous. J’ai
fait le rapport d’activité d’Octobre. Ce soir j’ai fait du révélateur et
développé un film. Je n’en peux plus, les jours que je passe sont les plus
mauvais que je n’ais jamais connus. Je suis littéralement vidé, incapable de
dormir, sentant très bien ma fatigue mais vivant sans prendre conscience du
temps. Vivement que je sois à bord du Gallieni, malade ou pas malade je crois
que j’apprécierai hautement le repos qui me sera donné.
3
Novembre.
Je
note quelques mots en espérant que cela assurera ma main. Je viens de monter au
mât Casanova de 18 mètres. Je me suis arrêté à 12 mètres pour prendre mes
photos. La fatigue et la crainte peut-être m’ont mis à plat. Il est grand temps
que ‘je foute le camp’ car j’y laisserai mes os. Poids tout habillé 74 Kgs.
Accrochage
avec C…, sérieux mais qui se termine très bien. Cela m’a quand même permis de
juger mon état de fatigue et peut-être même de me juger tout court. C’est une
question à voir avec un certain recul. Pas maintenant car quoique ça aille
mieux je reste sous pression. J’ai fait une quantité de papiers et de choses.
4
Novembre.
Encore
un dimanche terriblement chargé. J’ai fait ma lessive, cela m’a pris toute la
matinée. L’après-midi j’ai été tout seul à La Recherche. Je suis passé au
cratère aux Arbres pour voir l’état des plants.
À La
Recherche, j’ai tué deux otaries et fait les prélèvements demandés par l’IRSM.
Je les ai dépouillées et ramené le tout. J’ai terminé la journée en rangeant
les peaux et en ramassant mon linge. Je me suis couché tôt comme le veille car
j’ai des journées très chargées et il faut que je tienne le coup.
5
Novembre.
J’ai
tapé la commande Mécanique et clôturé le dossier commandes. Avec deux messages
officiels cela m’a pris la matinée.
Cet
après-midi, repassage. J’avais réussi à me mettre sérieusement en avance. Les
fers à repasser sont tombés en panne et cela m’a fait perdre deux heures ou
presque. J’ai quand même réussi à boucler mes cantines. Il me reste quelques
bricoles et je serai fin prêt. En principe demain midi tout sera terminé. Je
vais me coucher tôt car la journée sera encore bien remplie.
12
Novembre.
Je ne
sais plus comment je vis depuis le 5 novembre. Je vais essayer de me souvenir.
6
Novembre.
Je me
souviens que nous avons été le matin préparer le cratère Dumas. L’après-midi,
lessivage des chambres. Le soir je liquide quelques papiers de dernière minute.
7
Novembre.
C’est
le jour de l’arrivée du bateau. Nous établissons le contact très tôt le matin.
Nous avons du mauvais temps, il y a une brume fantastique et le Gallieni est
obligé de nous relever d’abord au Gonio puis au Radar.
Arrivée
prévue pour midi environ. Je suis au cratère Dumas, mais la brume est telle que
je ne vois pas la Gallieni et abandonne mon feu d’artifice pour aller à table.
À 12
h 40 le Gallieni mouille au Gonio. Il ne restera pas longtemps et change
rapidement de mouillage. L’attente commençait, nous ne pensions pas qu’elle
serait si longue et si pénible. L’après-midi tout l’intérêt de l’établissement
se porte sur le mouillage des pingouins. Avec le Lieutenant, nous allons, dans la
brume, la pluie et le vent jusqu’au point dit ‘ débarquable’ ou plage du 1er
BMG. Le temps là-bas n’est pas meilleur et l’on reconnaît à peine la plage.
8
Novembre.
Nous
ramassons un temps de cochon. Des rouleaux énormes déferlent sur la cale. Avec
le Lieutenant, nous retournons à Ribault puis à la plage des pingouins partout
la tempête fait rage.
Biologie:
nous avons suivi le long de la falaise un oiseau du genre bécasse.
Le
Gallieni change à nouveau de mouillage pour la pointe Wlaming.
9
Novembre.
Les
paris sont ouverts; P… a tracé une carte très prometteuse. Il prévoit le
courrier avant midi.
Effectivement,
dans la nuit, la rotation au Sud s’est faite et au petit matin un vent de SW de
20 nœuds souffle avec insistance. Hélas ça ne suffit pas à faire tomber une
houle de fond puissante qui jette sur la cale de véritables trombes d’eau. En
fin de journée le Gallieni remonte aux Pingouins espérant travailler le
lendemain matin. La rotation au Sud ne peut pas durer et un nouveau trou est
annoncé.
10
Novembre.
La
cale est difficile, il faut néanmoins tenter quelque chose. Le Second-capitaine
nous dit son intention d’explorer la côte jusqu’à l’anse du courrier. Nous lui
demandons de faire surveiller le coffre ayant l’intention, soit le matin avant
8 heures soit l’après-midi après 15 h, à cause de la marée, de mettre le canot
à l’eau.
En
fait la décision est assez rapidement prise et à 7 h 30 U.., M… et moi partons
vers le coffre. Les rouleaux sont encore très forts. J’oubliais que de 6 h à 7
h nous avons monté, en dépit des vagues le moteur diesel sur le derrick. Nous
avons pris une sacrée douche.
Vers
8 h la vedette du bord conduite par le Capitaine en second nous accoste, le Médecin-capitaine
Auphan et le courrier sont transférés sans grande difficulté. Nous revenons à
la cale en nous déhalant sur un orin que nous avons laissé mouillé entre le
coffre et la cale. Nous sommes obligés de remonter une fois à la lame n’ayant
pas pu accrocher le canot. Le canot est enfin remonté, le moteur du derrick
cale, on termine à la main et tout se termine de façon remarquable.
La
passation de service commence immédiatement, visite de l’établissement,
premières consignes. L’après-midi tentative de débarquement. On réussit à
mettre à terre une portière de pommes de terre. J’embarque sur cette portière,
entrevue avec R…. Je ne perds pas mon temps à raconter cette entrevue, une
seule chose, j’ai atteint en moins d’une heure le sommet de l’écœurement.
Pendant
notre conversation, l'on vient nous annoncer qu’à la cale une portière a été
mise au sec, les fûts renversés, plusieurs hommes jetés à l’eau, un blessé
assez grave. Malgré le vent qui force je tiens à redescendre à terre. Fort
heureusement le personnel de la relève et les cantines ont pu être mis à terre.
Le
soir deux services. Au second service le personnel de l’établissement est réuni
autour d’une grande table. Je paie volontiers l’apéritif à tous.
Jusqu’à
23 h 30 je passe les consignes.
11
Novembre.
Levé
à 4 h du matin. J’ai peu dormi, je me recouche une heure. La journée passe, on
continue à signer des papiers, on parle de différents problèmes. La passation
officielle du service à lieu le 10 Novembre à 11 h du soir.
En
fin de journée, le Commandant du Gallieni vient m’exposer ses déboires avec la
Strass. Je reçois un TO me disant de prévoir des vacations phonie plus
fréquentes. Je réponds en demandant à l’ADSUP de m’indiquer la fréquence et les
horaires des vacations. Je n’obtiens pas de réponse.
Nous hésitons longuement le soir avec L…,
la cale est difficile, la houle brise sur les rochers; Nous décidons de ne pas
tenter de débarquement de nuit.
12
Novembre.
Échange
de TO toute la journée. Je me suis levé à 3 h du matin puis à 6 h. Les
histoires de R… m’irritent et à 13 h, à table, je ne peux pas me retenir de
pleurer. Je suis obligé de m’absenter un petit moment en compagnie d’A… pour
récupérer.
Je
serais incapable de dire ce que j’ai fait dans la journée car il n’y a plus
qu’un seul problème, la cale et nous sommes rivés au baromètre et à la radio
pour les vacations avec le Gallieni.
13
Novembre.
Le
temps est désespérément constant avec lui-même. R… se manifeste enfin en
faisant envoyer deux messages. Un du Commandant du Gallieni demandant à
modifier le contrat d’affrètement pour relâcher à destination de Kerguelen,
l’autre de l’ADSUP à Paris pour dire son intention de quitter Amsterdam pour
Ker. Je n’ai droit personnellement qu’à un message verbal transmis par le
Commandant me demandant:
- De
débarquer 20 fûts de gas-oil.
-
D’embarquer pour accompagner le bateau à Ker. (NDLR en effet il n’y a plus de
médecin à bord en cas de pépin)
Par
bonheur la cale est totalement impraticable.
A… a
fait dans la nuit du 12 au 13 l’observation à la cale de 1 h du matin, je fais
celle de 3 h avec vacation avec le Gallieni.
Dans
la nuit du 13 au 14 à 03 h c’est L… qui fait l’observation.
14
Novembre.
Pas
d’amélioration dans le temps. Ébauche d’une tentative à Ribault. Échange de
messages, mais je n’arrive pas à faire prendre à R… de décision ferme. Il ne
répond pas à mes messages ou y répond par des messages verbaux transmis par
personne interposée. La fête continue, c’est lamentable et j’en ai plus
qu’assez.
15 Novembre, écrit le 16 Novembre.
Je me suis réveillé par bonheur ce
matin à 4 H 30. Le temps d’aller à la cale, de constater qu’elle était praticable,
de réveiller L… et C…, de mettre le moteur en route, le Gallieni lançait ses
trois coups d sirène. L… répond au pétard et la phonie a lieu. Les opérations
de débarquement commencent séance tenante. Le démarrage a été un peu difficile,
mais à 9 h ça file 15 nœuds.
Le
petit noyau anticyclonique sur lequel on ne comptait absolument plus venait
d’atterrir sur l’île.
Le
Capitaine du Génie P… était sur la première portière. L… lui a fait les
honneurs du camp et lui a montré ses travaux. Le Capitaine P… était descendu à
terre pour me dire: « Mr R… veut que vous montiez à bord
immédiatement » - réponse: « je n’ai pas d’ordre écrit et pour le
moment la cale est praticable, je fais le débarquement, je suis prêt à
embarquer si la cale devenait difficile ».
Le
Capitaine P… revient à terre vers 10 h par une autre portière pour me dire:
« Mr R… va venir à terre, il a l’intention de vous remettre une petite
médaille. Il vous demande deux minutes, arrêtez le travail deux minutes ».
Les événements se sont alors précipités, je suis monté à bord du Gallieni en
partant comme un fou, c’est à peine si j’ai pu dire au revoir à quelqu’un. Avec
le recul, je suis désolé de ce départ brusqué car j’avais des choses à dire à
chacun. Mais je ne pouvais pas laisser R… faire le seul acte susceptible de
défaire le lent et patient travail d’élaboration de l’équipe. Actuellement
l’équipe est soudée, D… et D… ont perdu la face, il ne fallait pas leur donner
une arme quelconque (NDLR du genre : « il l’a eue sa médaille ».)
À 10
h 1/4 j’étais à bord essayant d’expliquer à R… qu’il fallait qu’il renonce à
son projet. Nous sommes restés chacun sur nos positions mais ayant dit que le
service étant passé je n’étais plus rien aux Terres Australes et ne descendrais que 'manu militari'.
R… a consenti à descendre seul à terre. Je n’en peux plus ce soir, je vais
m’allonger sur mon lit, la suite à demain.
(NDLR
Pour L… comme pour moi il n’était pas question de distraire les sapeurs des
opérations de débarquement pour rendre les honneurs militaires, comme il le
demandait à R…, le temps accordé pour le débarquement était trop précieux. L…
me racontera plus tard que, accueillant R… à la cale en plein travail, il lui
aurait simplement dit: « le réfectoire, c’est en haut à gauche ».
Je
reprends ce journal le 19 Novembre.
Nous
sommes mouillés devant Port aux Français. Les doigts gourds car je viens
d’assister à une heure de spectacle. Je reprends le fil de l’histoire.
Donc
le 15 Novembre, j’ai assisté du bord, seul et impuissant aux efforts de tous
pour réaliser, en dépit de conditions difficiles le débarquement de 14
tonnes de matériel. Le matin tout a marché très bien puis sont venues les
grosses pièces encombrantes, le 4X4 est tombé en panne.
R… et
Madame sont descendus à terre, j’avais demandé AU Dr A… de présenter le camp.
R… est remonté à bord, son seul commentaire a été, sur une question de moi,
« C’est très bien » Depuis pas un mot au Lieutenant L… sur son
travail, pas un mot pour moi, pas un mot sur les projets, rien.
Nous
avons quitté Amsterdam par une nuit de tempête, l’eau du ciel et de la mer
semblaient vouloir engloutir dans le noir cette pauvre île. Nous avons deviné
au passage, nous étions seuls avec le Lieutenant sur le pont, le cratère
Chevalier puis en dépassant la pointe Wlaming la houle s’est creusée.
Le
premier jour de mer a été difficile. J’ai eu quelques malades, 8 en tout pour
des affections très diverses. J’avais déjà de la peine à étaler. Puis le soir,
ça a été le coup de tabac, vers 17 h, le vent est monté en flèche à 50 puis à
60 nœuds et vers minuit nous étions au centre de la dépression. 12 mètres de
creux, le Gallieni prenait son baptême de tempête. Les parcs à moutons ont été
nettoyés en moins de deux. Sur tout le bateau c’était le branle-bas, des fûts
de gas-oil dans l’entrepont se promenaient d’un bord à l’autre. J’étais affalé
sur ma couchette et les blessés arrivaient les uns après les autres, chaque
voyage à l’infirmerie située sur la plage arrière était pour moi un véritable
calvaire. (NDLR une anecdote que je n’ai pas notée mais que je garde en
mémoire: au cours de soins donnés, ayant saisi pour me servir une bouteille
d’alcool, je n’ai pas eu le réflexe de la remettre dans son logement. Dans les
secondes suivant la bouteille se fracassait sur la cloison de l’infirmerie).
17
Novembre.
8
mètres de creux, la tempête se calme lentement. J’ai abandonné toutes velléités
de me lever. L… m’apporte deux sandwiches. Chaque fois que je mets le pied par
terre, je paye séance tenante. Je suis abruti mais pas mal en point et en fin
de journée je commence à récupérer.
18
Novembre.
C’est
terminé, j’ai récupéré à 100%. je ne manque pas un repas, me couchant par
précaution après avoir mangé mais dans ma journée, je fais ma toilette, je
relis mon courrier, prépare un petit topo de FB8 BC Doc à FB8ZZ, bavarde longuement
avec le Lieutenant L…. Je commence à apprécier la vie, la traversée, la fuite
du temps encore que se pose un problème celui du débarquement à Ker.
19
Novembre.
Je me
suis levé comme quelques autres vers 4 h du matin. J’étais curieux de voir
l’arrivée à Kerguelen. Je ne regrette rien, je n’ai pas perdu mon temps,
d’abord parce que le spectacle en valait la peine, ensuite parce que cela m’a
permis d’avoir avec le Capitaine P… un assez long entretien.
19
Novembre au soir Je reprends cette arrivée à Ker qui a été on ne peut plus
réussie. La fine équipe armait la vedette qui est arrivée au bord une heure après
l’arrivée du bateau. P…a perdu sa casquette à l’eau, ils avaient tous l’air de
braver les éléments alors qu’il n’y avait qu’un mètre de creux. Enfin vers 8 ou
9 heures, le vent ayant molli Mr R… est descendu à terre et bien sûr on ne le
reverra sans doute plus. La matinée a passé en bricoles. J’ai eu la visite du
Dr B… vers 11 h 30 ce qui nous a permis d’aller boire un pot chez le Pacha.
Enfin à 13 h ont commencé les opérations de débarquement. Avec mon équipe de la
Nouvelle-Amsterdam je travaille en cale. Ce soir excellent repas, digestif
offert aux sapeurs. J’ai dépouillé mon courrier: réclames médicales! Le temps
est long mais je reprends sérieusement le dessus. Mon histoire Amsterdam n’est
pas encore tout à fait décantée, je tacherai, d’ici Madagascar d’en extraire
l’essentiel. En attendant je suis encore terriblement dans le bain et il se
pourrait que demain matin je descende à terre remuer un peu de m...
21
Novembre.
Je
récupère sérieusement. Hier après-midi nous n’avons pas travaillé en raison du
mauvais temps. Je me suis occupé de timbres et j’ai bavardé avec L….
Ce
matin j’étais en cale jusqu’à midi. Au point de vue relations avec Ker, j’ai eu
une très longue conversation avec P… hier. Bien entendu nous sommes tombés
d’accord sur une multitude de points concernant le gars R…. P… a réalisé à Ker
une équipe peut-être plus soudée que celle d’Amsterdam, mais il a adopté la
solution de grande facilité c’est-à-dire que tout le monde s’est rangé au
niveau que j’estime celui de la Météo Nationale à Amsterdam, loisirs fréquents,
dolce farnienté. Là au moins Monsieur l’Administrateur P… était sûr de ne
heurter personne. À Ker, on organisait les loisirs comme on organisait le
travail à la Nouvelle-Amsterdam. (NDLR le personnel de Ker était sensiblement
le triple de celui de la N.A, les moyens n’étaient pas les mêmes, plus importants
et la climatologie était plus contraignante).
P…
est venu me voir ce matin à bord. La perspective de passer 6 mois avec le
patron ne lui souriait pas du tout. Je le comprends et le plains car lui, son
avenir dépend peut-être de R….
Revenons
à des choses beaucoup plus gaies. J’ai reçu un Télav de ma Mie qui semble fin
prête au départ. Je récupère sérieusement et si la traversée n’est pas trop
dure j’arriverai à Madagascar en pleine forme.
J’ai
reçu un message formidable d’A… à qui j’avais envoyé un petit message pour lui
dire que nous avions admiré l’effort fait au débarquement à Amsterdam. Ce sont
des messages qui paient vraiment de mon année de séjour.
22
Novembre.
Le
beau temps ne nous a permis que le travail du matin. L’après-midi a passé à
bouquiner et à consulter quelques revues. À 17 h 30 le Second nous a invité à
voir deux films l’un sur Madagascar l’autre sur Kerguelen et la
Nouvelle-Amsterdam. Puis comme j’offrais le champagne, nous nous sommes
retrouvés tous chez le Commandant. Le bord avait bien fait les choses, il y
avait 4 plateaux d’amuse-gueules. Nous avons passé quelques heures excellentes
mettant copieusement en boîte Mr P… le gars qui va tuer les éléphants de mer.
(NDLR Fils du Directeur des abattoirs de Paris Mr P… avait été invité, par R…
qui voulait rentabiliser les TAAF, à venir exploiter le troupeau d’éléphants de
mer. Mr P… reviendra à Ker au cours d’une autre expédition pour se marier à
Port aux Français et aura ainsi la vedette dans Paris Match. L’histoire ne dit
pas à combien le mariage!)
Le
repas du soir ne nous a pas empêché de reprendre la conversation jusqu’à 23 h
30.
23
Novembre.
Matin:
mauvais temps, nous avons passé quelques heures avec L… à lire les cartes
postales venues de France à la suite d’une émission d’Europe N°1. C’est
fantastique la quantité de braves gens qu’il existe encore en France. C’est
réconfortant.
Vers
14H B…vient voir un malade que j’avais à bord. Il me dit que R… voudrait me
voir pour la décoration. Cette fois il me semble logique de ne pas refuser.
Donc le 23 Novembre à 16 h 30 j’ai reçu l’Étoile Noire du Bénin. La cérémonie
avait l’air d’une vaste partie de rigolade. Ont été décorés P…, D… et P…
cuisinier à Ker. J’avoue que je ne suis pas mécontent d’avoir apporté l’air
d’Amsterdam dans tout cela.
J’étais
invité à dîner le soir à la table de “l’ADSUPTAAFesse”. Cela ne me disait rien
de coucher à terre aussi quand le bord a demandé la reprise du débarquement
j’ai bondi sur l’occasion en disant que c’était mon équipe qui attaquait le
travail. Effectivement de 19 h à 4 h du matin nous avons travaillé à deux
équipes de cale débarquant 110 tonnes.
24
Novembre, je me suis couché à 4 H et levé à 7 H 30. Je suis un peu sonné; Tout
le monde travaille même D… est en fond de cale.
Vers
10 h, je m’habille et descends à terre pour répondre à l’invitation de Madame
R…. Je rejoindrai le bord le plus vite possible pour reprendre le travail avec
mon équipe.
25
Novembre.
Journée
de tempête. Le vent s’est levé avec une soudaineté que nous ne connaissions pas
à la Nouvelle-Amsterdam. Une des portières n’a même pas eu le temps de quitter
le long du bord. Le bateau est resté au mouillage, le commandant ayant mouillé
une deuxième ancre.
Journée
de repos donc mais l’inaction pèse vite.
27
Novembre.
Nous
avons enlevé entre 7 H et midi 61 tonnes de gas-oil. L’après-midi j’ai été
faire un tour à terre en compagnie du Capitaine en second et de L…. Nous avons
eu la chance de trouver deux manchots royaux que j’ai mitraillés.
Le
soir nous avons repris le travail après la soupe.
27
Novembre.
Lever
à 4 H nous avons fourni un gros effort en cale 1 et nous étions prêts ce soir à
poursuivre jusqu’à la nuit. C’était inutile, la terre a fait savoir que ça
déferlait au quai. Cela nous a beaucoup amusé car du bateau, la mer
apparaissait d’huile. C’est lamentable et cela coûte 600.000 F par jour au
gouvernement.
28
Novembre.
L’équipe
Ker a fourni un gros effort et quand nous avons pris le travail à notre tour
vers 13 H il ne restait plus qu’une trentaine de tonnes.
Le
matin, en prévision d’un départ proche j’étais descendu à terre faire mes
visites d’adieu. R… s’est révélé aussi inconsistant que lors des entretiens
précédents.
A 16
H 12, le Gallieni quitte le mouillage, salue Port aux Français de trois coups
de sirène. Pas de réponse.
Nous sortons
de la baie du Morbihan de jour. Le Commandant de bord est venu nous dire à L…
et à moi que l’accès de la passerelle était libre pour nous. Nous avons été
flattés et fiers.
Nous
avons longé la côte Est qui n’avait rien de sensationnel, vu des manchots et
des éléphants de mer.
Les
services sont organisés. Je mange avec Mr P… (éléphants de mer) à la table du
Commandant. Le soir après le repas nous jouons au Barbu.
29
Novembre.
Avec
8 mètres de creux j’ai beaucoup de mal à étaler. En dehors des repas, je passe
la journée allongé sur mon lit, somnolent et mal en point mais sans incident
technique.
30
Novembre.
L’état
de la mer s’améliore lentement, cela me permet de rester debout un peu plus
longtemps et de tenir ma place pour la partie de Barbu après le repas du soir.
Un
message de ma Mie qui prend l’avion le 8 Décembre. Dieu nous vient en aide à
chaque instant et la solution de mon arrivée 48 H avant est idéale. Une seule
ombre au tableau, les bagages qui ne quittent Marseille que le 3 Décembre et
qui n’arriveront donc pas à Manakara avant la mi-Janvier en mettant les choses
au mieux. Mais je trouverai bien une solution d’attente
1er
Décembre , Il semble que ça va de
mieux en mieux puisque je peux travailler à mon bureau, aujourd’hui, et mettre
mon journal à jour.
2
Décembre.
Journée
sans histoire. Je suis, 48 H après incapable de dire ce que j’ai fait ce
jour-là.
3
Décembre.
L’état
de la mer s’est considérablement amélioré et je fais pratiquement ce que je
veux. Je suis descendu en cale ce matin pour rentrer dans ma caisse Manakara
les vêtements utilisés à Ker pour le débarquement.
Ce
soir Mr P… a quand même payé le champagne... Il y a été pratiquement obligé par
le Commandant de bord, 2 bouteilles... Il n’y a pas à dire plus les gens sont
riches plus ils sont truands.
Intéressante
conversation sur l’histoire de la ‘Langouste Française et les oubliés de l’Île
St Paul.’
Encore
deux journées pleines de navigation avant l’arrivée à Tamatave. Encore 6 jours
avant de retrouver ma petite Mie chérie, cela me paraît encore long, très long.
4
Décembre.
Il
fait presque chaud. La douche ce matin était excellente, l’arrivée approche
sérieusement.
Il
reste en gros d’après le point de ce matin 48 H de traversée. Quel soulagement!
22
Heures, on vient pour la deuxième fois de retarder nos montres d’une heure.
Cela fait une heure de gagnée sur l’heure d’arrivée à Tamatave qui étant donné
qu’on file 13 nœuds 5 est prévue pour Jeudi 14 heures.
Je
pense que nous aurons le temps de finir dans l’après-midi toutes les formalités
mais j’ignore si nous aurons la possibilité de repartir de Tamatave le
lendemain matin. Personnellement je trouverai fort agréable de ne pas
m’éterniser à Tamatave et de pouvoir Vendredi et Samedi matin liquider une
grande partie de mes obligations administratives. Il reste un peu plus de 4
jours, mais cela me paraît encore terriblement long.
5
Décembre.
Recrudescence
des vents de NW. La houle se creuse sérieusement dans l’après-midi, le bateau
doit ralentir.
Invité
par le Commandant à boire le champagne;
6
Décembre.
Arrivée
à Tamatave vers 15 H. Dans la fin d’après-midi je réussis à rendre visite au
Chef de Province et au Procureur. Les opérations de débarquement du personnel
auront lieus dés 7 heures le lendemain matin.
Invité
en ville par Mr P….
7
Décembre.
Journée
très chargée car tout n’est pas simple. Le DC4 d’Air France s’est annoncé puis
décommandé deux fois. J’ai eu des empoisonnements avec les douanes à cause des
6 manchots destinés à Tana.
Enfin
à 17 h 30 le DC4 quittait Tamatave. Nous avons vu une mer de nuage magnifique
puis traversé un bon ‘cunimb’. C’est un drôle de sport de se trouver en avion
au beau milieu d’un orage.
Au
terrain d’aviation, il y avait foule: E…, le Commandant V…, le Commandant
d’État major M… et le médecin Capitaine K….
Pris
en compte par K… j’ai été conduit à l’hôpital colonial. Sacrée déception au
point de vue hébergement. Puis j'ai dîné en compagnie d’E… et de L… chez le
Commandant V….
8
Décembre.
Dès 8
H visite à la DSS, accueil très sympathique. On m’attribue une circonscription
médicale en ‘Or’ selon des avis
objectifs. Ce serait la mieux de Madagascar.
L’après-midi
je suis condamné par le week-end à une inaction relative.
Catastrophe
l’avion n’ayant pas pu décoller de Paris est retardé de 24 heures. Encore un Dimanche
seul. J’invite E… et L… à diner au "Relais Normand”.
Fin
de saisie
Saint Malo, le 30 Septembre 2003
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